L’école abandonnée – Lettre à X.Darcos
Jack LANG – Calmann Lévy – Août 2008
Habituellement, nous ne nous hâtons pas de commenter des livres, car les bons ouvrages sont faits pour durer. Dans le cas présent c’est différent : nous ne pouvons pas attendre plusieurs semaines, au risque de donner notre avis lorsque ce livre sera tombé dans l’oubli.
Car c’est un livre de circonstance. On peut imaginer les raisons de Jack Lang : sans doute veut-il rééquilibrer son image, après ses récentes prises de position, en apportant à ses amis politiques la preuve de son orthodoxie. Judicieusement, il occupe le terrain qu’ils ont abandonné, puisque « la gauche est aux abonnés absents » lorsqu’il s’agit des réformes engagées par Xavier Darcos. Enfin, pour quelques semaines, le livre lui ouvre les médias, et lui fait une place sur l’estrade monopolisée par le ministre actuel.
Mieux écrit que la plupart des livres du genre, ce petit livre se lit bien. L’auteur a le sens de la formule, et sait trouver les points faibles de son adversaire.
Pour l’essentiel, le propos est construit sur l’opposition entre l’ombre et la lumière. Côté lumière, les programmes de 2002, quasi parfaits, sacrifiés alors qu’ils n’étaient pas complètement appliqués. Côté ombre, les programmes de 2008 de l’école primaire, qui, par leur appauvrissement, la diminution des horaires, aggravés par la diminution des effectifs d’enseignants, et, d’une façon générale, le libéralisme, vont entraîner inéluctablement la paupérisation de l’école.
Sur les programmes 2002, il est admirable de voir avec quel constance Jack Lang répète tous les arguments et contrevérités développés par son ministère et repris par Luc Ferry, y compris l’énorme tour de passe-passe de la disparition proclamée du global, suivi de son interdiction, alors que le départ global était conforté.
Voir à ce sujet :
Programmes officiels 2002
La « Réforme » Lang
Lire au CP – repérer les difficultés pour mieux agir (2002)
Luc Ferry
Ferry et Lang, même combat
Quant aux programmes 2008, auxquels nous-mêmes reprochons une rédaction souvent trop proche de celle de 2002, ils ont tout faux d’après Jack Lang, qu’il s’agisse des fondamentaux, de la liberté pédagogique, de l’abandon de la transversalité et de l’interdisciplinarité, des horaires (« travailler moins pour apprendre plus ») et naturellement de la « primauté de la mécanisation sur la compréhension ». Sans oublier qu’ils « mettent en péril la socialisation de l’enfant ».
L’auteur aurait pu reprendre la belle formule trouvée récemment sur un tract de « collectif » : « Aujourd’hui, on apprend aux élèves à réfléchir et demain ils n’apprendraient qu’à obéir ? ».
Tout cela est bien beau, mais à une condition : l’oubli absolu des réalités, des 300.000 enfants sacrifiés chaque année, de l’abaissement continu du niveau d’instruction dans le secondaire et maintenant dans l’enseignement supérieur, de l’explosion du soutien scolaire payant. « Hors sujet » nous rétorquerait sans doute le Professeur Jack Lang…
Une annexe intéressante
« Pour éclairer le lecteur et lui permettre d’établir une comparaison, en toute objectivité », Jack Lang nous présente d’une part « le texte intégral des deux programmes de lecture et d’écriture (CP et CE1) de 2008 et 2002 », d’autre part « Quelques exemples de documents d’accompagnement (des programmes 2002) destinés à aider le maître ».
• Les programmes de lecture et d’écriture.
Impressionnant ! Le programme 2008 tient en une page, le programme 2002 occupe plus de 26 pages. Mais le « texte intégral » de 2008 oublie simplement les tableaux synoptiques de Français où la lecture et l’écriture sont détaillés pour chacune des deux années CP et CE1.
Ces synoptiques sont courts, car ils se bornent à énumérer ce que l’instituteur doit enseigner, alors que le programme 2002 s’étale en de longs développements et réflexions sur l’art d’enseigner ces matières.
Voir à ce sujet nos commentaires sur les nouveaux programmes de français.
Une curiosité : A la page 45, l’auteur critique dans les programmes 2008 la phrase « l’appui sur un manuel de qualité est un gage de succès pour cet enseignement délicat » qu’il qualifie de « démission ».
Or on constate (p.93) que cette phrase figurait déjà dans le programme 2002 !
Par ailleurs, Jack Lang semble très fier des documents d’accompagnement, cosignés par Luc Ferry et Xavier Darcos. Ces documents, dont la rédaction fut visiblement confiée à ce qui se faisait de mieux en matière de pédagogisme, ne faisaient que valider les pratiques qui avaient conduit à la faillite de l’enseignement de la lecture. D’inspiration globale et idéoviosuelle, les exercices proposés ne pouvaient que renforcer l’échec d’un bon nombre d’élèves, comme l’a montré l’OIPEF en 2002, dans un rapport intitulé « Les pédagogies de l’illettrisme« . Il est heureux que ces documents disparaissent.
• Document d’accompagnement – Mathématiques : CM1 – CM2 « Un épisode de recherche, en actes »
Les élèves de CM1 et CM2 sont donc des chercheurs en mathématiques. Le document détaille deux heures de cours, pendant lesquels les élèves, travaillant par groupes, cherchent la réponse à un problème amusant. Comme l’indique le titre de cet « épisode » en 6 actes et une conclusion, les élèves travaillent par essais et erreurs (dits « essais – ajustements » dans le document).
La conclusion suggère qu’ils ont sans doute appris la nécessité de travailler méthodiquement. Mais qu’en est-il de l’arithmétique ? Acquis utilisé pour cet exercice : l’addition, et la multiplication par 3 et 4 de nombres inférieurs à 20. Quelles connaissances nouvelles en arithmétique, d’ordre général et donc abstraites, leur ont-elles été enseignées ? Le document ne le dit pas. Mais il conclut sur la nécessité de donner aux élèves la possibilité d’exprimer leur imagination et leur perspicacité.
Puisqu’il est question d’horaires, ces deux heures seront avantageusement remplacées par 30 minutes consacrées à la transmission du savoir, la socialisation des élèves dût-elle en souffrir quelque peu.
G.C.
(1) Ce n’est pas nouveau. En septembre 2007, Lionel Jospin, ancien ministre de l’Education Nationale, n’a pas souhaité répondre aux questions des journalistes de l’émission télévisée « Education Nationale, un grand corps malade«