Les mots pour le dire
Les mots pour le dire
Les Echos – [ 01/12/06 ]
ENSEIGNEMENT –
Beaucoup de parents sont saisis d’angoisse quand leur rejeton, les appelant à l’aide pour leur exercice de français, leur demande dans quel « schéma actanciel » se situe le « locuteur » du texte. Il y a donc de bonnes raisons de se réjouir de la réforme de la grammaire annoncée par le ministre de l’Education, Gilles de Robien, sur la base du rapport commandé au professeur Alain Bentolila. Il y en a aussi de mauvaises : « Les vieilles méthodes, entend-on dire, avaient fait leurs preuves, le temps les avait consacrées. Sous la pression d’un clan d’intellectuels s’est imposé un jargon incompréhensible, et qui d’ailleurs ne veut rien dire… » Les adversaires de la réforme ont beau jeu de dénoncer le conservatisme de cet argumentaire : d’une part, il est parfaitement normal que les méthodes et le contenu de l’enseignement évoluent ; d’autre part, la conception de la grammaire qui s’est répandue à partir des années 1970 reflète des travaux de linguistique dont la tradition remonte, en France, à la fin du XIXe siècle (Ferdinand de Saussure), et qui ont fait avancer de façon décisive la compréhension du langage.
Les bonnes raisons d’approuver la réforme n’en sont pas moins déterminantes. La première est que tout enseignement doit être progressif, aller du simple au complexe, du concret à l’abstrait. Aborder la « grammaire de texte » des linguistes en négligeant la « grammaire de phrase » (sujet, verbe, complément…), c’était sauter une étape. Il est étrange que cette vérité de bon sens ait été ignorée au moment même où le « pédagogisme » investissait notre système éducatif.
Il existe un trait commun entre les réformes des deux apprentissages, celui de la lecture et celui de la grammaire : c’est la réhabilitation de l’analyse. Dans la méthode globale de lecture, l’enfant est entraîné à reconnaître d’emblée le mot entier, sans passer par la décomposition syllabique. Pourtant, lui apprendre à déchiffrer un mot à partir de ses « briques » de base, c’est le former en même temps à la logique, à la combinaison d’éléments assemblés pour former un tout qui prend sens. L’analyse grammaticale traditionnelle approfondit cet apprentissage en faisant apparaître la variété des rapports possibles entre les mots, en développant l’attention aux petits signes qui déterminent ces rapports.
Mais, surtout, cette discipline de décomposition, apparemment besogneuse, a une vertu précieuse : elle est, si l’on peut dire, réversible. Apprendre à analyser une phrase, c’est aussi apprendre à en produire soi-même. Avec la grammaire issue de la linguistique structurale, l’ambition est d’abord l’interprétation d’un texte donné. Alors que la grammaire traditionnelle – comme la méthode syllabique de lecture – fournit les outils d’une production personnelle. Elle facilite l’acquisition des moyens d’expression, donc d’échange, de partage, de persuasion, de revendication, éventuellement de réponse à l’agression. Quand on maîtrise mal ces instruments, il est tentant de recourir, pour s’exprimer, au langage non verbal de la violence.
( La publication d’un document n’implique ni notre accord, ni notre désaccord sur le fond.)