L’expérience de Marc LE BRIS, instituteur, est précieuse pour comprendre ce qui se joue à travers l’usage des différentes méthodes de lecture. Nous vous proposons de lire ici le texte de la conférence qu’il a donnée à l’invitation de l’association  » Cœurs à lire « , à Nanterre, le 16 décembre 2002.

L’association « Cœurs à lire », qui fédère diverses associations bénévoles d’aide aux devoirs et de soutien aux élèves en difficulté, demande à l’association « Sauver les lettres » une intervention sur l’apprentissage de la lecture. Il semble que ce soit un article de notre amie Fanny Capel, paru dans le quotidien « 20 minutes » qui ait provoqué cette prise de contact.

Hors de tout contexte officiel, les  » praticiens  » se rencontrent ici. Les praticiens, les artisans – j’ai souvent envie d’ajouter  » modestes « – de l’apprentissage de la lecture. Ceux qui, juste derrière les enfants de 7 ans, côtoient du plus près les conséquences du système d’apprentissage de la lecture en France, car il y a un système. Ceux qui mouillent leurs chemises, ceux qui font en vrai, ceux-là ont des choses à dire, des remarques à faire … pas des remarques convenues, ni des lieux communs répétés à l’envi depuis trente ans par l’éducation nationale à chaque fois qu’on lui pose des questions (et il y en a). Pas des questions sur  » la prise de risque nécessaire à l’entrée dans la lecture « ,  » le faire sens du texte « , ou sur  » l’enfant autonome « ,  » au centre du système  » et qui  » construit lui-même ses apprentissages « . Pas des remarques théoriques, pas des remarques abstraites, pas des invocations moralistes … Juste des faits, des petits faits de votre travail bénévole de tous les jours … Qu’est-ce que vous remarquez, vous, sur la façon de lire des enfants modernes ? ..….

Quelques constats quant à l’apprentissage des enfants d’aujourd’hui

Si nos positions, nos analyses, sont bonnes, ou raisonnablement bonnes, je dois pouvoir écrire à l’avance ce que vous venez de dire, parce que moi aussi, comme vous je constate des petits faits :

  • les enfants ne déchiffrent pas.
  • ils  » devinent  » souvent les mots
  • ils confondent les mots courts  » est  » pour  » et « ,  » elle » pour « les » ou « les » pour « elles », « lui » pour « il », « avait » pour « avant », … .
  • Ils ne font pas attention à la fin des mots longs …..
  • ils n’accordent rien, aucun verbe, aucun adjectif …

Soyons plus précis :

  • Qui a remarqué des  » difficultés de déchiffrage « , i.e que le petit (non)-lecteur n’arrive pas à prononcer le mot qu’il voit ?
  • Qui a remarqué des erreurs de sens … c’est-à-dire que l’enfant déchiffre, il trouve la prononciation du mot, mais, ne comprend pas ce qu’il a lu ?
  • Quand il ne comprend pas ce qu’il a lu, est-ce parce qu’il a eu du mal à déchiffrer, parce qu’il a commis des erreurs de déchiffrage … ou bien pour une autre raison ? Laquelle ?

Si moi, instituteur, je ne tiens pas compte de ce que Vous me dites… c’est que je vous parle d’autre chose que de ce qui vous amène ici. Avez-vous eu des rapports avec mes collègues à ces sujets. N’avez-vous jamais été – disons – écartés d’un revers de manche, par certains de mes collègues spécialistes, professionnels, de la lecture. N’avez-vous jamais eu cette petite impression d’être considérés comme « hors sujet » ou comme des cheveux sur la soupe ?? Alors il est bien nécessaire, ici, de tenter de comprendre ce qui s’est passé. Vous avez saisi que les positions que j’exprime ne sont pas du tout orthodoxes, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas conformes aux divers dogmes ministériels sur la lecture … L’article de notre amie Fanny détonait bien sur ce qui se dit habituellement à ce sujet.

Pour comprendre, je pense qu’il faut étudier et travailler. Allons-y, étudions :

Avant les années 60 : un « petit dressage » pour apprendre lettres et associations de lettres

J’ai pris une page de la méthode Boscher, que peut-être quelques-uns d’entre vous connaissent. La méthode Boscher est considérée comme une caricature de la méthode syllabique.

i, u, o, a, .. puis .. e, é, è, ê
Puis le p de pelote, et pi, pu, po, pa, pe, ..et  » pi pe « ,  » pa pa  »  » é pi  »  » pi e  »
Et demain le t de toto, puis le r du chat qui ronronne .. n, m, avec déjà
 » ma mère a ramené petite marie  » qu’on sait lire.
Le C est vu d’abord avec a o et u .. pas e et i … le S ne fait que le son  » sss « , le g, que le son GUE (on ne voit que ga go gu) …
Ensuite on attaque les couples de lettres :
ch de cheval, ou de soupe aux choux, on de bonbon, oi de l’oie, an de danse, le in de sapin, le eu de jeudi ….
Puis br, pr, dr, vr …bl, pl …ar, or, ir, ur … al, il …ac, our, …ill, ail, euil …
ô = au = eau, oin, ien … ein …
C’est la méthode syllabique. On dit aux enfants le bruit que fait (habituellement) chaque lettre, on le lui fait retenir (il l’apprend !), puis il utilise ces bruits pour arriver à les associer ..

On lui montre très vite les associations qui ne sont que des conventions pures (o et u, a et n ..) et on les lui fait apprendre de telle façon qu’il n’hésitera plus une seconde devant un ou ou devant un oin.
C’est un petit dressage. Voilà la première critique. C’est un petit dressage. Est-ce une critique recevable ?
Comment peut on apprendre des conventions artificielles autrement que par mémorisation ? (Quand on croise quelqu’un pour la première fois le matin, on dit  » bonjour !  » // En vélo, on roule à droite de la route ! // En français, on écrit de gauche à droite …). C’est bien du petit dressage… je le reconnais tout à fait. Mais je vous en prie,  » dressez  » vos enfants et vos petits-enfants à rouler à droite !

La deuxième critique est plus statistique. Il semble que dans les années 60, un ‘certain’ pourcentage d’élèves savaient déchiffrer, mais ne devenaient pas des lecteurs courants, sans doute parce qu’ils ne comprenaient pas ce qu’ils lisaient. On n’appelait pas ça dyslexie ni illettrisme à l’époque. On ne sait pas exactement combien d’élèves ne comprenaient pas ce qu’ils lisaient parce qu’on n’a pas de statistiques sérieuses. Il nous faut absolument être très attentifs à cette critique car elle justifie à elle seule tout ce qui va suivre …

Le ‘syllabage’ aurait été responsable de ce déficit d’enfants ‘sachant lire’ mais ne devenant jamais des lecteurs avérés et efficaces … par non compréhension du texte déchiffré. Le ‘syllabage’ des moins bons lecteurs hache les mots, et surtout, le syllabage, petit dressage par apprentissage, est assez monotone sinon stupide puisqu’il ne fait pas appel à l’intelligence mais à la mémoire seulement.

Le syl-la-bage est cette façon de séparer les syllabes les unes des autres comme le fait la méthode Boscher qui va jusqu’à laisser un espaces entre les syllabes du mot à lire pour que l’enfant n’ait plus qu’à combiner, de mémoire, le b et le a, le p et le ou …

Des exercices systématiques d’association de lettres en syllabes faisaient donc partie des méthodes syllabiques –ba, be bi, bo, bu .. p et o po, l et ou lou …-, la combinatoire. Cette combinatoire, ce syllabage devient l’ennemi.

La méthode Daniel et Valérie

Le syllabage

Voici une page de la méthode  » Daniel et Valérie « , fin des années 60, début 70 … méthode tout à fait syllabique, digne suite un peu modernisée de la méthode Boscher. Cette méthode était très répandue dans les classes quand je suis entré dans le métier. C’est cette méthode que mes professeurs de français à l’école normale nous ont demandé de pourchasser de tout notre zèle de jeunes recrues du parti globaliste.

On aperçoit sur cette page (comme sur toutes les autres du livret en ma possession) les traces du combat contre les exercices de combinatoire syllabique … Il ne faut plus lire de (stupides) syllabes qui n’ont pas de sens, mais uniquement des mots intelligents.

Une main avertie les a barrées.

La méthode globale

Le combat contre la systématique syllabique ne peut pas se contenter d’interdire, il lui faut des fondations théoriques. Au XIXème siècle (XVIIIème ?), un certain Decrolly, tente d’appliquer aux entendants des méthodes d’apprentissages de lecture initialement destinés aux sourds muets. Les mots s’apprennent comme des images, comme des idéogrammes chinois, comme un seul symbole : un signe un mot. On voit l’utilisation de cette méthode dans un film où Sophie Marceau réussit à devenir préceptrice de son fils, vendu à un riche couple anglais dans sa prime jeunesse. L’enseignant montre une image avec le mot dessous … et c’est tout … c’est comme ça pour tous les mots.

On voit ce que ça a donné sur cette page du manuel « Lecture en fête ». Il n’y a plus que le texte à lire, et quelques illustrations … c’est tout. On donne des textes aux enfants, ils cherchent des indices du sens du texte dans les illustrations…  Aucun exercice systématique, pas une once de syllabage – puisqu’il est responsable de l’illettrisme – pas d’explications aux enfants…

 

Avec la méthode globale, les enfants commencent à devenir les « acteurs de leurs apprentissages » !

Ca veut dire qu’ils se débrouillent seuls. Il ne reste dans le manuel que la progression, c’est-à-dire que les textes contiennent les phonèmes à étudier, en plus grande quantité dans la page qui leur est consacrée. Un texte avec beaucoup de OU dedans, pour permettre aux enfants de retrouver par eux-mêmes comment on écrit le son OU.
Puis on passe au son Ô, avec un texte plein de sons Ô, mais écrits eau, op, ôt, au, aux …. La méthode globale pure a été appliquée aux français plus jeunes que moi. Cette fois la catastrophe est si soudaine et si grave que très vite, les parents des premiers élèves globaux se mettent à protester contre les écoles qui l’appliquent… 

Le mal est fait … les victimes ont un peu plus de 40 ans. La méthode globale pure a été abandonnée. Apparemment.

Les méthodes semi-globales

On a remplacé la méthode globale pure par des méthodes dites  » mixtes  » ou à  » départ global « . Quelques inspecteurs primaires se sont laissé séduire par les sirènes des éditeurs scolaires. Ils ont édité des méthodes de compromis qui se sont bien vendues :

  • Le début de l’apprentissage de la lecture doit se faire globalement sur des mots entiers, les mots  » outils  » : le, la, les, et, des, pour, dans, comme, sur, … et sur des mots du texte lu. Les noms des héros … papa, maman, poupée, cheval … La combinatoire n’arrive qu’après. Elle est repoussée de quelques semaines à quelques mois. (et, en fait, la capacité de lire des élèves avec)
  • Ce sont les méthodes à étiquettes de début d’année. Lire devient lire tout de suite des phrases entières, écrire devient, assembler des mots déjà entiers. Je ne critique pas plus que ça, je fais un constat. Les ‘étiquettes’ ont à mon avis un avantage pour réduire un certain type de difficultés … en particulier celles qui sont actuellement rangées sous le titre  » dyslexie « .
  • L’idée de base serait que les bons lecteurs finissent par avoir photographié les mots qu’ils lisent souvent, donc, ils les lisent d’un seul coup, et leur vitesse de lecture augmente. C’est toujours le principe global.
  • C’est en plein l’époque de la généralisation des stages de lecture rapide pour cadres débordés. Nos mentors en lecture rapide sont canadiens. Ils comptent le nombre de ‘posés’ d’œil par ligne lue, ils parlent de « largeur d’empan », ils se chronomètrent…

Il n’est absolument pas certains que les bons lecteurs, qui sont en effet assez rapides, lisent globalement. Il est possible qu’ils contrôlent sans arrêt, mais très rapidement, la combinatoire syllabique de chaque mot. L’histoire du posé de focus oculaire en seulement deux ou trois points de la ligne lue, ne prouve rien du tout. (Consulter à ce sujet, les travaux de neurologie repris par le Docteur Wettstein-Badour).

Par contre, il y a déjà une supercherie politique, dans le remplacement de la méthode globale pure – en fait très vite abandonnée, et même très peu utilisée – par des méthodes « semi-globales », ou « à départ global », ou « mixtes ». Le côté global de la méthode globale est conservé contre toutes les protestations, contre toutes les conséquences si brutalement observées… Il y a là comme un acharnement à conserver cette idée de global.

Il faut d’ailleurs avouer que les enseignants, assaillis par la propagande globaliste se sont facilement repliés sur ces méthodes de compromis, qui leur permettaient à la fois de suivre l’obligatoire tendance nouvelle tout en apprenant quand même à lire à leurs élèves, grâce au syllabage, même s’il arrivait un peu plus tard dans l’année scolaire …

Seulement, comme dans toute activité humaine, il y a des puristes, des ascètes, des parfaits. Il s’est avéré de bon ton d’être capable d’apprendre à lire aux élèves sans aucune compromission, sans aucune systématique, sans aucune combinatoire syllabique. On s’est mis à chercher l’élégance du geste d’apprentissage ; de là, certains de mes collègues ont tiré une impression de supériorité morale et intellectuelle qui ne les a pas quittés depuis.

La méthode « phonétique » (les années 70)

Un inspecteur des Côtes-d’Armor, Jean Foucambert, fonde l’Association Française pour la Lecture (AFL) à laquelle adhèrent les plus supérieurs d’entre nous. Ils ne tarderont pas à devenir professeurs des écoles, conseillers pédagogiques, inspecteurs même. Cette fois là, on a un système, une théorie  » scientifique « , des colloques … et bientôt des chaires de didactique dans les UER de prétendues  » Sciences de l’Education « .

Les méthodes dites  » phonétique « ,  » par hypothèses  » et  » naturelle  » ne sont que les noms différents d’une seule méthode : la méthode globale.

En même temps que tout le discours théorique, s’installent une stratégie de communication, des plans média et du lobbying. On commence par proscrire le mot  » global  » trop mal perçu depuis l’échec des années soixante. On dit  » méthode phonétique  » (je montre plus loin pourquoi, comment elle est phonétique). Quand le mot  » phonétique  » sera usé, ce sont les mots  » méthode par hypothèses  » qui prennent le relais, quelquefois soutenus par le vocabulaire des enseignants Freinet ; on dit la méthode  » naturelle « . Ces méthodes  » phonétique « ,  » par hypothèses  » et  » naturelle  » ne sont que les noms différents d’une seule méthode : la méthode globale.

Le plan média est bon, puisque, les nouveaux programmes rédigés sous la présidence de notre nouveau ministre, juste après avoir dénoncé la méthode globale comme inefficace, font la promotion de la méthode « phonétique » et de la « méthode naturelle » qui sont en fait les méthodes globales les plus utilisées depuis 25 ans. Et qui sont donc responsables de l’actuel état des choses.

Les trois inversions de la méthodes « phonétique »

  • La première inversion : du tout vers l’élément. Une inversion générale du sens du travail dans les années 70.

La première inversion est une inversion du sens général de travail. C’est que les enfants partent d’un texte entier pour le décomposer eux-mêmes en paragraphes puis en phrases, puis en mots, puis en phonèmes composés de lettres … dont ils connaîtront alors le  » bruit  » puisqu’ils l’auront découvert eux-mêmes grâce aux hypothèses qu’ils auront lancées et que le sens du texte leur aura confirmées. C’est l’inversion générale du sens de travail de toute l’éducation nationale dans les années 70. Mathématique, histoire, grammaire, tout est inversé…

Voici la 1ère leçon du livre de grammaire de CM1 de 1950,  » A la découverte de notre langue  » (J. Le Lay, éd. DELALAIN) (image à insérer). On commençait par les éléments de base. De l’élément vers le tout. Du simple au complexe, de la lettre à la syllabe, de la syllabe au mot… du mot à la phrase… 

Quels imbéciles devaient être nos pères qui travaillaient ainsi, systématiquement à l’envers : le sens de l’apprentissage désormais, quel que soit l’objet étudié, est du tout vers l’élément, du complexe vers le simple. C’est un travail d’analyse. Qui plus est, cette analyse doit être autonome, c’est-à-dire faite par les enfants eux-mêmes, car elle est la part d’intelligence qui manquait auparavant dans tous les apprentissages.

C’est la conséquence du constructivisme, théorie pédagogique qui nous arrivait alors des Etats-Unis : « l’enfant construit lui-même ses apprentissages ». C’est donc à lui d’analyser tout seul, les objets complexes qu’on soumet à son attention .. et d’en tirer des règles de fonctionnement. Cette théorie a, entre autres, un avantage important, elle diminue le rôle de l’enseignant!!

On voit ce que ça a donné sur cette page du manuel  » Lecture en fête « . Il n’y a plus que le texte à lire, et quelques illustrations … c’est tout. On donne des textes aux enfants, ils cherchent des indices du sens du texte dans les illustrations… Aucun exercice systématique, pas une once de syllabage –puisqu’il est responsable de l’illettrisme- pas d’explications aux enfants… Les enfants commencent alors à devenir les  » acteurs de leurs apprentissages  » ! Ca veut dire qu’ils se débrouillent seuls. Il ne reste dans le manuel que la progression, c’est-à-dire que les textes contiennent les phonèmes à étudier, en plus grande quantité dans la page qui leur est consacrée. Un texte avec beaucoup de OU dedans, pour permettre aux enfants de retrouver par eux-mêmes comment on écrit le son OU. Puis on passe au son Ô, avec un texte plein de sons Ô, mais écrits eau, op, ôt, au, aux ….

La première inversion,  » Du tout vers l’élément « , appliquée à la lecture se voit bien ici, dans ce texte proposé aux enfants (ouvrage « Au fil des mots », méthode phonétique) pour étudier le son [O] (le ô). Les enfants partent d’un texte long, où sont repérés les mots globaux par étiquettes, et dans lesquels il faudra trouver les graphies diverses du son étudié.

  • La deuxième inversion : l’exercice avant la leçon.

La deuxième inversion, c’est celle de l’ordre des choses. Avant, il y avait leçon puis exercices … désormais, on commence par les exercices qui s’appellent maintenant  » travail en autonomie « . La leçon (?) vient après le travail autonome des enfants, le maître se borne à leur faire dire ce qu’ils ont compris. Avant : leçon puis exercices. Maintenant .. Exercices autonomes puis leçon., comme on le voit très bien dans cette succession de deux pages d’  » Au fil des mots « .

  • La troisième inversion : Du son vers les lettres

Dans les méthodes syllabiques vues tout à l’heure on partait de la lettre, et on donnait son ‘son’ majoritaire. A chaque lettre, un son, quelquefois deux (‘c’ qui sonne [k] devant a,o,u ou [s] devant i et e,’s’).

Ici, à la lettre ‘p’, on associe (et on mémorise) le son [P] de ‘poule’ et on le combine tout de suite avec d’autres lettres dont le son est connu .

L’inversion est ici. Le tableau moderne montre à l’élève qu’il entend le bruit [O], et qu’il a trouvé les  » graphies  » ‘o’, ‘au’ et ‘eau’. La petite tête aux oreilles décollées signifie  » J’entends « . La petite tête aux yeux en points signifie  » Je vois « . C’est-à-dire qu’on part du son, pour trouver toutes les façons de l’écrire (ses  » graphies « ). Ici au son [o], on associe trois façons de l’écrire –o, au et eau.

J’ai entendu critiquer ce tableau précis par des puristes : il est incomplet. Les différentes  » graphies « , que les enfants nomment quelquefois les « costumes » du son, ne sont pas toutes données. Ici il manque ô, ot, ôt, op (de trop), aud, aux, eaux … de façon à ce que les élèves puissent eux-mêmes, entre autres, « émettre des hypothèses » sur ce corpus de graphies diverses, et en tirer, par exemple, que les mots à son [o] final écrit « au » ou « eau » forment leur pluriel d’un « X ».

  • La quatrième inversion : il n’y a plus ni règle, ni exception. On apprend tout en une seule fois.

De là une quatrième inversion, qui n’est que la conséquence de la troisième : on apprend tout en une seule fois et les exceptions passent donc avec la règle. Ce qui fait qu’il n’y a plus de règle parce que le système se veut tout de suite exhaustif. Il décrit tout de suite tous les cas.

Il est plus efficace d’associer UNE lettre à UN son

C’est vraiment mal connaître les enfants. Est-il plus intelligent d’associer un son à une lettre ou une lettre à un son ? .. Je pense qu’il est plus efficace d’associer UNE lettre à UN son que UN son à SIX ou SEPT façons de l’écrire. Je juge par les conséquences parce que je suis un praticien : les enfants apprennent mieux par petits morceaux, comme les bébés qui commencent le jambon. Et si le système de donner à chaque lettre un son (en gardant pour plus tard celles qui font deux sons) génère de plus courtes mémorisations, ça me suffit bien pour le conserver.

La méthode  » naturelle « , c’est la méthode sans livre.

Le matin, les enfants racontent quelque chose au maître. Le maître écrit au tableau ce que les enfants racontent. Il en tire les étiquettes globales qu’il fera étudier. Il en fait tirer les graphies d’un son qui apparaît dans ce texte, qu’on range dans un tableau du même type que celui du ‘fil des mots’. C’est global et phonétique.

Les enfants étudient la langue, à partir de leur langue. C’est ça qui est naturel sans doute.
Parce que la lecture, en elle-même, n’a rien de « naturel ». Les associations de lettres forment des sons de façon tout à fait  » conventionnelle « , qui varie d’ailleurs selon les groupes d’individus qui les utilisent (les langues). Le fait que o et u mis ensemble font [u] (le son ‘ou’) est une pure convention. Ca n’a strictement rien de naturel, c’est tout à fait artificiel, il n’y a pas de logique dans ce fait, donc aucune raison de le faire deviner. On peut comprendre l’intérêt qu’il y a à faire deviner le X+1ième nombre d’une suite en mathématiques, mais faire deviner que o et u fon [u] … Les conventions, on les donne à celui qui veut les apprendre. On ne les lui cache pas.

Que diraient donc des étudiants d’informatique si on leur cachait les mots qui composent le langage à étudier, pour que, les devinant eux-mêmes, ils les comprennent mieux !

La méthode naturelle fait étudier aux enfants, leurs textes d’enfants, plutôt que des textes de la littérature enfantine.

La méthode naturelle correspond bien aux vœux de Monsieur Meirieux qui voulait supprimer le théâtre classique aux banlieusards, pour ne leur faire étudier que des modes d’emplois et des recettes de cuisine. Des textes ‘utilitaires’. Cette mode est bien installée au primaire, où gâteaux et puzzles à fabriquer se succèdent dans les classes avec une frénésie inexplicable ; si ce n’est par le texte de leur recette ou de leur fiche de fabrication … des textes utilitaires. Quand on cuisine un gâteau avec les enfants, c’est pour, transversalement, leur apprendre à lire.

J’en ai assez des gâteaux au yaourt. Je n’aime pas les gâteaux au yaourt. Vivent  » Cendrillon  » et  » Le petit chaperon rouge « . Vive la littérature enfantine ; là-dessus, quand même, il semble qu’en haut lieu …

En bref…

Sur la constatation statistique que quelques lecteurs des années soixante ne comprenaient pas ce qu’ils lisaient par déchiffrage syllabique appris, quelques théoriciens ont fait changer de sens et de fonctionnement à tout l’apprentissage de la lecture en France. Pour apporter compréhension à ces lecteurs déchiffrants mais mal-comprenants, ils ont interdit la combinatoire syllabique génératrice –selon eux- de mécompréhension. Ils ont ainsi empêché le déchiffrage non seulement de ceux qui ne comprenaient pas, mais aussi d’une partie des autres qui, avant, déchiffraient et conséquemment, comprenaient.

Maintenant, il y a un pourcentage plus élevé de non déchiffrants qui sont par conséquent des non-comprenants par défaut, c’est-à-dire des nouveaux illettrés. C’est tout ce qu’on a gagné. La responsabilité de la méthode globale, quel que soit le nom qu’on lui donne, de l’Education Nationale, de l’AFL et donc de Monsieur Foucambert est énorme. La méthode globale n’apprend pas à lire. Les méthodes phonétique et naturelle proposées dans les nouveaux programmes en remplacement de la méthode globale, sont des méthodes globales. Elles n’apprennent pas à lire non plus. Les résultats des 25 dernières années de leur utilisation en sont la preuve.

iMarc Le Bris, Instituteur public depuis plus de 25 ans, membre du collectif  » Sauver Les Lettres  » – [www.sauv.net
Médréac, le 15/10/02.]

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