Voici quelques extraits de l’ouvrage de Liliane Lurçat « La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs » paru en 1998, aux éditions François-Xavier de Guibert.

« Une des idées martelées à notre époque au sein de l’institution scolaire, dans des textes savants comme dans des textes officiels, est qu’il n’y a pas de lien entre l’acquisition des connaissances et leur transmission, ou plus radicalement : qu’il n’y a pas de transmission, mais seulement une construction des savoirs. Cette idée est non seulement déplacée, incongrue car elle ne peut être institutionnalisée, elle est aussi dangereuse. Elle légitime les pratiques les plus aberrantes en même temps que l’abandon pédagogique des enfants. Si l’apprentissage se réduit à la seule construction des savoirs par l’enfant, sans qu’on mette en avant les conditions dans lesquelles il les construit, ni les matériaux qu’on lui fournit pour les construire, toutes les interprétations y compris les plus arbitraires, tous les jugements a priori deviennent possibles.

Quand un recteur estime qu’ « Apprendre à lire est un apprentissage régi par les règles du constructivisme »

C’est ainsi que le recteur Michel Migeon prend nettement position en faveur du constructivisme : « l’optique constructiviste de l’appropriation des connaissances s’oppose à celle d’une transmission de celui qui sait à celui qui ne sait pas. La formation que nous avons reçue, notre histoire, le centralisme, notre vocabulaire conditionnent encore l’ensemble du corps social en faveur de cette conception. Aujourd’hui, il ne devrait plus être permis de douter : c’est bien chacun d’entre nous qui, depuis son plus jeune age, qui s’est lui-même construit. » Il affirme encore : « Apprendre à lire est un apprentissage régi par les règles du constructivisme. »

Ces théories sont liées à celle du spontanéisme, selon laquelle, dans l’apprentissage réussi, tout dépend de la spontanéité de l’enfant. Il ne pourrait donc exister qu’une façon d’apprendre, c’est de faire les choix par soi-même, de les comprendre également par soi-même.

Le constructivisme devient ainsi l’expression par excellence du spontanéisme pédagogique, puisqu’il est opposé de manière catégorique à la transmission des connaissances. L’enfant est ainsi obligé d’apprendre seul. La justification donnée par Migeon est typiquement scientiste : l’apprentissage, activité propre à l’enfant, se déroulerait conformément à une théorie arbitrairement imaginée par des chercheurs, et qui n’a jamais été vérifiée en la confrontant à des faits d’observation. Par le constructivisme, on systématise la robinsonnade intellectuelle. C’est la forme moderne de l’abandon pédagogique des enfants.

Avec le constructivisme, il y a la volonté de faire des enfants des « autodidactes scolaires »…

« Le constructivisme théorise en les poussant à l’extrême certaines idées de l’Education Nouvelle, concernant l’importance de l’activité de l’enfant dans l’apprentissage. Mais avec le constructivisme, il ne s’agit plus de la spontanéité des enfants, mais de la volonté délibérée de les contraindre à devenir des autodidactes scolaires. Cette démarche est justifiée au nom de modèles à prétention scientifiques sur la manière d’apprendre. De véritables pièges sont mis au point par des didacticiens : on oblige les enfants à deviner au lieu de comprendre, en obscurcissant délibérément la présentation des connaissances. »

… et la disparition des méthodes basées sur la progression

« Dans la conception des nouveaux penseurs de l’école, l’élimination de la transmission s’accompagne généralement de la suppression d’un certain nombre méthodes d’enseignement fondées sur l’étude progressive des matières et sur l’automatisation des compétences fondamentales impliquées dans l’écriture, la lecture et le calcul. L’automatisation est favorisée par la répétition des exercices, elle dépend de l’entraînement. Il en va de même dans les activités sportives, quand on apprend à nager ou à skier. La rigueur pédagogique a déserté les bancs de l’école pour s’exercer dans les lieux où on pratique le sport. Curieusement, dans ces lieux, on ne prétend pas s’appuyer sur le constructivisme, et la rigueur pédagogique n’y est pas considérée comme une entrave à la spontanéité. »

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