Plus d’autonomie.

« Donner aux équipes une marge de manœuvre de 20 % dans le respect des horaires disciplinaires ».
Cette phrase est ambiguë, voire tendancieuse. D’abord, le mot « équipe » laisse supposer que les professeurs ont l’habitude de travailler ensemble et de se concerter. Or les enseignants sont connus pour leur esprit d’indépendance à l’égard de leurs collègues. D’ailleurs on n’imagine pas une équipe efficace sans chef. Où sont les chefs ?
La formule « dans le respect des horaires disciplinaires » est, elle-aussi, fallacieuse, car les temps d’activités concertées sont pris sur les temps disciplinaires, qu’il s’agisse des enseignants ou des élèves.
Comme l’a souligné Frédéric Prat dans l’article récemment publié sur notre site, une autonomie plus authentique, mais strictement limitée en volume horaire, aurait consisté à laisser à chaque établissement une liberté totale d’emploi du temps des enseignements complémentaires, pour une adaptation optimale aux conditions locales.
Il est certain que l’exercice d’une véritable autonomie impose l’existence d’un responsable, qui n’existe pas dans l’enseignement public.
Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question d’autonomie des établissements scolaires.

L’accompagnement personnalisé.

L’objectif est clair : «… temps d’accompagnement personnalisé… pour s’assurer que chaque élève maîtrise les fondamentaux et pour leur permettre d’approfondir leur apprentissage… leur apprendre les méthodes de travail ».

À cet égard, quels sont les besoins ? Dans une classe, et dans une discipline, se trouvent des élèves moyens, qui suivent sans difficulté particulière, saufs quelques décrochages occasionnels pouvant résulter de multiples circonstances. Le professeur constate très rapidement ces décrochages et peut y remédier rapidement, à condition de disposer d’un petit volume horaire.

Les élèves en fort retard sont très nombreux dans certaines classes. Pour eux, la plupart des activités sont trop difficiles. Les cas sont variés, mais peuvent être rapprochés dans des groupes interclasses.

Les élèves avancés dans certaines disciplines ont des besoins symétriques ; ils perdent une grande partie de leur temps dans la classe et des groupes interclasses leur conviennent.

Les propositions entre ces trois catégories varient énormément selon les classes.
Il est évident que, pour les élèves en fort retard, le volume horaire prévu dans l’arrêté est très insuffisant. Leur seule chance de rattraper leur retard dans certaines disciplines serait de les dispenser de la présence dans leur classe pour ne travailler qu’en groupe de niveau. Une mesure analogue, peut-être moins rigoureuse, conviendrait aux élèves avancés.

La situation que nous venons de décrire est courante dans beaucoup de classes. C’est le résultat du refus par le ministère des groupes et classes de niveau.
Peut-être la création, pour l’accompagnement personnalisé, de groupes interclasses est-elle un premier pas vers une future reconnaissance des groupes de niveaux, au moins dans toutes les disciplines cumulatives, où l’on avance en s’appuyant sur ce que l’on sait déjà.

EPI – Enseignements pratiques interdisciplinaires.

• Résurgence de vieilles pédagogies : transversalité, projet, travail en groupe. L’inspiration vient de la Finlande, qui remplace actuellement une partie de l’enseignement disciplinaire par de l’enseignement par thèmes et projets. La Finlande essaie de défendre son rang au classement PISA, seul repère neutre et objectif pour notre ministre.

• Par définition, un exercice interdisciplinaire suppose que les élèves maîtrisent suffisamment deux ou  plusieurs disciplines pour appliquer leurs savoirs dans un contexte différent de celui de l’enseignement.
Au collège, l’interdisciplinarité suppose des professeurs suffisamment cultivés, connaissant bien les progressions dans les autres disciplines, pour travailler utilement à la préparation avec leurs collègues.

Dans ces conditions, on peut espérer que les EPI feront découvrir aux élèves des relations et des similitudes entre disciplines qu’ils croient distinctes, que les élèves sauront trouver eux-mêmes dans chaque discipline les éléments utiles à la poursuite du projet.

• Ce ne sera pas le cas si le thème d’un EPI ne se prête qu’à une juxtaposition de disciplines différentes, ou si le niveau des savoirs disciplinaires des élèves est insuffisant.

Un exemple : l’éolienne.

On trouvera dans l’annexe à l’exposé du 11 mars de Najat Vallaud-Belkacem la liste des 8 thèmes imposés pour les EPI (au moins 6 thèmes traités par chaque élève), et 4 projets correspondant à 4 thèmes.

Pour le thème « développement durable », le projet d’élèves de 3ème se réfère à la physique, la technologie et les SVT : il s’agit de construire une maquette d’éoliennes, avec une dynamo alimentant des leds.

On voit bien l’intérêt des travaux pratiques. Mais le fait de réaliser une maquette ne prouve pas que les élèves ont appliqué les notions de physique, et n’ont pas exploité des formules toutes faites ou des programmes de calcul. Ceci, à supposer que le projet soit cohérent avec une maîtrise des programmes de 3ème.

Sans doute la maquette d’une dynamo exploite-t-elle le savoir des élèves. Par contre la conception d’une hélice excède probablement les savoirs des élèves. Mais le professeur de technologie pourra faire observer que les éoliennes ont pour ancêtres les moulins à vent, dont le fonctionnement n’est pas simple, par exemple pour ce qui est de la relation entre la vitesse du vent et la vitesse de rotation des ailes.

Cependant, l’interdisciplinarité entre la production d’énergie à partir du vent et la production d’énergie d’une dynamo n’est pas évidente.

Quant aux SVT – à supposer que le développement durable relève d’une science – l’interdisciplinarité avec la physique et la technologie est encore moins claire.

Par contre le projet a un rapport évident avec la géographie quant au régime des vents.

Il est dit que « des exemples de projets concrets seront proposés » par le ministère. Peut-être des éditeurs s’empareront-t-il de ces exemples pour éviter aux professeurs un long travail de réflexion et de préparation.

On peut prévoir que, en 2016 et 2017 comme dans les années suivantes :
– ou bien ces projets seront véritablement interdisciplinaires, et alors ils seront trop difficiles pour la plupart des élèves ;
– ou bien ils prendront en compte le niveau réel des élèves et leurs vertus interdisciplinaires seront maigres.

Il y a là matière à une vraie réforme du primaire et du collège.

Pour mémoire : langues anciennes, langues vivantes.

Le décret et l’arrêté du 19 mai 2015, comme les propos de Najat Vallaud-Belkacem, marquent des changements importants dans ces disciplines.
Nous y reviendrons dans l’analyse des programmes définitifs du cycle 4 (5ème  4ème  3ème)

Travail en (petit) groupe.

En accompagnement personnalisé, le travail en petit groupe est simple, car il est dirigé par le professeur.

Le travail en groupe sur un projet n’a de sens que si chaque élève fournit un apport utile. À cet égard, l’exemple des TPE au lycée n’est pas très encourageant.

Il faut d’abord que chaque élève comprenne le projet et la vision qu’en ont les autres membres du groupe, qu’il apporte des éléments utiles, et surtout qu’il s’efforce de compléter et d’amplifier les apports des autres, afin de passer de l’addition à la multiplication des matériaux pour la construction du projet.

Il est beaucoup plus difficile de travailler dans un groupe occasionnel et de surcroît sans responsable, que de travailler seul. Les principes du comportement sont simples, mais leur respect suppose beaucoup d’exercices dirigés.

Des professeurs qui ne travaillent pas en groupe sauront-ils former leurs élèves ? C’est une gageure.

Cependant, pour les constructivistes, c’est simple : les professeurs, comme les élèves construiront eux-mêmes leur compétence « travailler en groupe ».

Préparation à la vie active.

 » Les élèves ont besoin d’apprendre les nouvelles compétences que la société requiert : travail en équipe, proposer, expérimenter, conduire un projet »
« former à d’autres compétences »
développer « les compétences du monde actuel »
« travail en équipe et expression orale ».

Ces expressions témoignent d’une vision singulière du monde du travail et de la raison d’être de l’enseignement obligatoire.

La question essentielle, qui n’est pas réglée ni même évoquée dans les textes de la réforme, est de déterminer ce que les élèves doivent savoir et savoir-faire, à l’issue de la scolarité obligatoire. Il faut considérer comme normal que des élèves entrent alors directement dans la vie active, souvent dans des activités assez simples où leurs débuts représentent une période d’apprentissage.

À l’autre extrême, certains poursuivront leur scolarité jusqu’au niveau du doctorat et de la recherche. Ils ont tout le temps nécessaire pour acquérir les compétences de leurs futurs métiers.

Les premiers vont recevoir progressivement toutes les instructions nécessaires à des métiers relativement simples.

Il est essentiel que les élèves entrant dans la vie active puissent, de leur propre mouvement ou à l’instigation des entreprises, reprendre des études formelles selon leurs capacités et motivations. Pour cela, il faut que, à la fin de leur scolarité obligatoire, ils aient encore le goût de lire, l’intérêt pour les questions générales, une curiosité intellectuelle, et qu’ils considèrent comme possible une reprise d’études. En d’autres termes, ils ne doivent pas avoir conservé de leur scolarité obligatoire le dégoût des études.

Nous en sommes très loin. Actuellement, alors que Najat Vallaud-Belkacem se préoccupe de préparer les élèves à la vie active, l’enseignement supérieur essaie de faire progresser ses élèves en grammaire, vocabulaire et syntaxe. C’est le monde à l’envers, et cela ne s’arrêtera pas à la rentrée 2016.

L’entreprise susceptible de recruter un jeune sans diplôme, ou titulaire d’un diplôme dévalué, ne s’attend pas à trouver un écrivain, un chercheur, un technicien solide, un innovateur. Elle n’a pas besoin pour le poste à pourvoir d’un personnage sachant « préparer, expérimenter, conduire un projet ».

Par contre, parce qu’elle n’a pas les moyens d’affecter un bon collaborateur à l’encadrement d’un débutant, l’entreprise a besoin que le nouvel entré ait des qualités personnelles :
– il doit être fiable (digne de confiance), discipliné (autodiscipline), ponctuel ;
– capable de lire des consignes écrites, de chercher à bien comprendre, de demander conseil spontanément lorsque nécessaire ;
– il doit être capable de s’exprimer en termes simples mais clairs, de rendre compte de façon ordonnée ;
– dans l’exécution d’un travail, il doit être capable de signaler sans tarder les difficultés qu’il éprouve ;
– il doit être capable d’attention raisonnablement soutenue ;
– il doit avoir le goût du travail bien fait, savoir donner de la valeur à son travail, quel qu’il soit ;
– il doit respecter les autres, collaborateurs de l’entreprise ou tiers.

Toutes ces qualités s’acquièrent dès la petite enfance, au contact d’adultes attentionnés et exigeants : parents, enseignants, et par l’étude assidue des disciplines fondamentales.

Quant à une préparation plus directe à la vie active, ce dont ont besoin ces élèves, c’est de la possibilité, pour les volontaires, du préapprentissage en alternance à 14 ans, qui aura en outre des effets positifs sur leurs études générales.

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