M. Yves Durand, Député, demande : que doit-on enseigner ? (Page 9) et nous ajoutons : que doivent savoir les élèves ? Qui doit en décider?
Sur cette dernière question, le rapport montre une opposition entre deux conceptions : leur fixation et, ou n’est pas, l’affaire du Parlement.
(Il est rappelé dans le rapport – page 3 – que la loi Fillon a confié la définition des contenus au ministre de l’Education nationale).
Pour nous c’est clairement la responsabilité du Parlement, qui établit et maintient la scolarité obligatoire, c’est-à-dire une énorme charge pour les parents et leurs enfants ainsi que pour les contribuables. Il est impensable que le Parlement ne précise pas ce qu’il en attend pour les enfants et les adolescents.
C’etait peut-être évident à l’époque de Jules Ferry, ce ne l’est plus du tout actuellement et il n’y a aucun consensus clair à ce sujet
.
On objectera peut-être que les députés sont incompétents alors que l’Education nationale est experte. Or, si, dans la plupart des domaines, chaque député n’est pas plus savant que le français moyen, le corps constitué des députés a le pouvoir de s’informer, d’enquêter, d’étudier ce qui se fait à l’étranger c’est-à-dire chez nos concurrents dans l’économie de la connaissance ; il peut prendre le temps nécessaire pour parfaire son travail et parvenir à un large accord (les Suédois auraient mis 15 ans avant de réformer leur système d’enseignement).
Yves Durand (page 8) pose la question : « l’enseignement doit-il avoir pour seule mission la simple acquisition de connaissances ou bien doit-il apprendre aux élèves à faire le tri parmi ce flux permanent de connaissances et à développer leur esprit critique en confrontant différentes thèses sur les questions de société ? »
Cette question mérite réflexion ; nous pensons qu’elle découle de la controverse à propos du genre, en SVT de la classe de Première.
Notons d’abord que notre député a oublié les compétences…(!) Ensuite, dans un souci de présenter une alternative, il qualifie de simple l’acquisition des connaissances. Il est vrai que dans notre société, avec l’informatique, il est plus simple qu’avant de trouver des informations, plus ou moins vraies, sur n’importe quel sujet. Mais il est toujours aussi difficile d’acquérir de solides connaissances bien structurées. D’autre part l’acquisition méthodique des connaissances a un but essentiel : développer les capacités mentales et le raisonnement.
A propos des questions de société actuellement en débat.
Quant aux questions de société, nous pensons qu’il faut distinguer :
– la scolarité obligatoire, en gros primaire et collège
– la suite, qui concerne les adultes (ou quasi adultes) auxquels la loi attribue pleine responsabilité et plein discernement.
Pour les seconds, aucun problème : ils peuvent tout lire et tout entendre. Pour les premiers, par contre, nous pensons que les questions actuellement en débat dans la société sont à exclure absolument, pour les raisons suivantes :
– l’exercice de l’esprit critique suppose des connaissances, une capacité de réflexion, sinon c’est du bavardage ou du bourrage de crâne ; les élèves du primaire et du collège ont beaucoup à apprendre et pour cela le mieux est de tenir la société à l’extérieur de l’école (cf Hannah Arendt)
– les parents sont responsables des mineurs, et ils ont leurs propres convictions et opinions sur les questions actuelles de société ; il ne faut pas prendre le risque d’opposition avec eux
– associer les enfants et jeunes adolescents aux problèmes actuels part parfois d’un bon sentiment ; mais si c’est pour neutraliser l’influence des parents c’est du totalitarisme
– enfin, il suffirait d’enseigner correctement l’histoire pour y trouver beaucoup d’exemples de questions de société semblables aux nôtres, sur lesquels les élèves pourraient découvrir des points de vue différents et des controverses
– Mme MH Amiable, Députée : « le personnel politique n’a pas à imposer sa « vérité » au savoir ».(page 9)
On peut, après la scolarité obligatoire, parler aux élèves de questions controversées dans la sphère du savoir. C’est à éviter soigneusement dans la scolarité obligatoire, comme pour les questions de société, particulièrement dans le primaire.
Ainsi inscrire dans les programmes de la scolarité obligatoire le développement durable est extrêmement hasardeux. Mais les enfants peuvent à tout âge collecter des ordures dans les bois.
Comment et à quel rythme les objectifs de l’enseignement doivent-ils évoluer ?
De Jean-Pierre Giran : « la société évolue extraordinairement vite et devient complexe, je ne suis pas sûr que chacun de nous en ait la maîtrise. Si elle évolue vite, alors il faut construire et non pas faire renaître. J’appelle de mes voeux, au-delà d’un corpus minimum et important, la préservation d’un degré de liberté…. »
Pour nous, après beaucoup d’autres, la réponse est NON. L’évolution actuelle de la société est largement inconnue, c’est un sujet de controverse et, au mieux, d’études. Elle peut avoir sa place à l’université, mais certainement pas dans l’enseignement obligatoire. C’est d’ailleurs un leurre : un septuagénaire d’aujourd’hui a fréquenté l’école et, peut-être le collège, à une époque où il était absolument impossible de prévoir ce que serait le monde de nos jours et où d’ailleurs les questions de société étaient tout autres. Cela n’empêche pas des septuagénaires d’être parfaitement en phase avec le monde que nous connaissons.
Ce que la scolarité obligatoire doit donner à tous, ce sont des connaissances fondamentales, qui ne varient que très lentement, ainsi que le goût et l’aptitude à progresser personnellement pendant les décennies à venir.
Certes, il faut laisser aux enseignants une marge, un degré de liberté mais ce ne doit pas être pour entraîner les élèves dans des débats de société ou dans des controverses actuelles. Ce doit être pour faire mieux lorsque c’est possible. De la part des enseignants, c’est affaire de prudence, de déontologie.
Il est non seulement inutile, mais nuisible, de prétendre faire évoluer les objectifs de la scolarité obligatoire avec l’état de notre société.
Il est burlesque et attristant de voir dans ce domaine des décisions modifiées tous les cinq ans, au rythme des majorités parlementaires, quand ce n’est pas tous les deux ans par suite du changement de ministre.
Dans beaucoup de domaines aussi, l’Education nationale prend des dispositions nouvelles alors que les précédentes ne sont même pas appliquées.
À notre avis, les objectifs de la scolarité obligatoire devraient être revus tous les 15 ans, et à chaque fois le temps nécessaire c’est-à-dire plusieurs années, devrait être consacré à penser les changements et à établir un large accord politique.
Qui doit définir les programmes ?
Dès lors que les objectifs sont fixés, les programmes annuels sont des progressions censées optimales pour permettre aux élèves d’atteindre les objectifs. Leur mise au point est une affaire de pédagogie et d’expérience. Cela revient donc à l’Education nationale. Le Parlement a le devoir de vérifier que ces programmes sont bien conformes aux objectifs, non pas dans les progressions proprement dites mais dans leur contenu.