La maternelle : au front des inégalités linguistiques et sociales
Rapport présenté par la Commission présidée par Alain Bentolila – Décembre 2007
Pour ceux qui prônent la refondation de l’école primaire, il est évident que les maternelles posent problème, car elles abordent les fondamentaux, et particulièrement la lecture et l’écriture, selon la démarche constructiviste ou globale. Il est donc clair que la refondation doit être étendue à la maternelle. La question est à l’ordre du jour, depuis que X.Darcos a commandé le rapport qui vient de sortir.
Après un survol de ce rapport, nous présentons nos commentaires, ou plus exactement notre position concernant la maternelle.
Le rapport
Il est difficile de résumer un rapport assez touffu, qui traite d’un ensemble comprenant des classes aussi différentes que les petites, moyennes, et grandes sections.
Trois propositions sont nettes : d’une part, faire de l’école maternelle une école qui instruit méthodiquement, « une école à part entière, et non une école entièrement à part« .
Le rapport décrit la réalité actuelle du fonctionnement de la maternelle, « école où la classe est faite au fil de l’eau, selon les envies, selon les compétences de l’enseignant, selon le quartier« , où « bien vivre a parfois pris le pas sur bien apprendre« .
Dans ces conditions, l’école maternelle ne contribue pas suffisamment, comme elle le devrait selon les auteurs, à préparer les élèves pour la suite. Ainsi, « le langage dont disposent certains élèves à la veille d’entrer au CP est souvent incompatible dans ses structures mêmes avec une entrée sans rupture dans le monde de l’école« .
Cela conduit à préconiser l’entrée en maternelle à 3 ans révolus, et l’obligation de scolarité à cet âge.
La pratique du français. Le rapport lui consacre de longs développements :
– la communication orale
– « apprivoiser la langue écrite » par différence avec l’expression orale courante : familiariser les élèves avec la « langue des textes » sur une base littéraire
– le vocabulaire : d’après les auteurs, un enfant arrivant en CP devrait disposer d’un vocabulaire de 2500 à 3000 mots
(question déjà abordée dans un précédent rapport d’Alain Bentolila )
– l’apprentissage de la lecture
Les enfants en retard culturel. Sur un autre plan, le rapport aborde la question des enfants de migrants qui, d’après un rapport de l’OCDE de 2006, accuseraient un retard moyen supérieur à 2 ans par rapport aux autochtones.
La commission propose des mesures pour « soutenir les élèves en insécurité linguistique » en accroissant fortement le temps consacré à « écouter et parler » par des exercices en groupes de 2 à 3 enfants. Elle suggère le recours pour cela à des étudiants se destinant à l’enseignement.
Le rapport insiste enfin sur la nécessaire collaboration avec les parents et conclut sur la nécessité d’une réforme en profondeur de la formation des enseignants, inspecteurs, et conseillers pédagogiques.
Nos commentaires – Notre position sur la refondation des maternelles
Nous ne commenterons pas dans le détail le rapport Bentolila, dont nous approuvons certaines propositions, mais pas toutes.
• Nous approuvons l’idée que la maternelle doit contribuer à la transmission du savoir, pour donner au plus grand nombre d’enfants un accès facile au cours complémentaire.
A cet égard, nous soutenons les travaux du GRIP, qui se consacre actuellement aux programmes des classes de CP à CM2, et qui vient de mettre au point des propositions de programmes pour la maternelle. Le GRIP propose de coupler la grande section de maternelle avec le CP, pour faire un ensemble CP1 CP2, pleinement consacré au savoir lire, écrire, compter et calculer. De ce fait, nous nous écartons du rapport, qui propose de créer un premier cycle composé des classes de maternelle dont la grande section. Et, par conséquent, nous ne commenterons pas ici les développements du rapport consacrés à l’apprentissage de la lecture.
Avant le GS/CP1, donc en petite et moyenne section, nous proposons que l’écrit soit banni des classes de maternelles, particulièrement sous la forme d’affiches, d’étiquettes, ou de copie de mots que l’enfant ne sait pas déchiffrer. L’écrit ne serait présent que sous la forme des textes lus par la maîtresse, et de la graphie des lettres de l’alphabet. Donc, en ce qui concerne la langue française, les exercices seraient exclusivement oraux, et consacrés, comme le propose le rapport, à la langue écrite comme à l’expression orale courante mais correcte.
Le programme de petite et moyenne section fera donc une large place au français, comme aux exercices et jeux sur les nombres, et, bien entendu, à toutes les activités d’éveil, ainsi qu’aux exercices de préapprentissage de la lecture (latéralisation, articulation, discrimination des sons de la langue parlée, etc…).
Le caractère ludique des activités en maternelle n’exclut pas l’existence de limites à la liberté de chaque enfant, le respect des règles du jeu, l’application volontaire à ce que l’on fait, en rupture avec la dispersion très fréquente dans la vie actuelle des enfants.
• Nous approuvons l’idée de commencer la maternelle à 3 ans, les plus jeunes étant confiés à des crèches ou garderies.
Nous désapprouvons l’obligation de scolarité à 3 ans, que le rapport justifie par le fait que, si le taux d’inscription en maternelle avoisine les 100 %, il y a trop d’absences. Nous pensons qu’il faudra, après la refondation, informer les parents de l’instruction donnée en maternelle, et les laisser libres de décider de la place qu’ils font à l’école et de celle qu’ils font à l’instruction et à l’éducation à la maison.
Le cas des enfants en retard culturel
Ces enfants, qui tiennent à juste titre une place importante dans le rapport Bentolila, représentent un problème majeur pour notre société.
Pour ceux dont il est question ici, le retard n’est pas dû à des handicaps personnels. Il est simplement dû au fait que, depuis leur naissance, ils vivent dans un entourage non francophone, qui parle mal ou parle peu le français, ou dans un entourage francophone qui ne parle pas aux enfants et ne les fait pas parler suffisamment. Leur retard ne dépend donc pas de critères ethniques ou sociaux, il se constate factuellement, que ce soit à 3 ou 4 ou 5 ans. En l’absence d’une aide spécifique, le retard risque de perdurer.
Nous avons la conviction, sous réserve de l’expérience, qu’il y a un intérêt majeur à consacrer des moyens importants au rattrapage du retard de ces enfants, et que le plus tôt est le mieux, donc si possible dès 3 ans. A cet âge, le rattrapage consiste à consacrer du temps à « écouter et parler » comme le suggère le rapport. Pour cela, il faut des moyens supplémentaires de soutien, moyens proportionnés au nombre de cas de tels enfants dans chaque classe.
Ce soutien doit se poursuivre selon les besoins de chacun et son évolution personnelle, au moins jusqu’à la fin du CP2, étant entendu qu’en CP1 et CP2, l’enfant ne se bornera pas à « écouter et parler ». Le but est que ces enfants accèdent à la lecture et à l’écriture comme les autres ; à partir de là, ils seront moins dépendants de leur environnement culturel. Et, dans ces conditions, le besoin de soutien diminuera fortement après le CP2.
Ceci, bien entendu, dans l’hypothèse de CP1 et CP2 « refondés »
suivant les nouveaux programmes et les nouvelles pratiques.
Le principe de personnalisation du soutien implique que ces enfants participent avec les autres aux diverses activités de leur classe ; à tout moment, le soutien d’un élève peut changer de nature ou même être interrompu ; la composition des petits groupes de soutien peut évoluer.
Nous ne sommes pas compétents pour définir les voies et moyens de ce soutien personnalisé. Diverses modalités sont concevables, comme le suggère le rapport. D’autre part, pour exercer avec rigueur cette politique à l’égard des enfants en retard culturel, il faudrait généraliser les mêmes tests pour les identifier et les suivre.
Observations.
• Les enfants sans retard culturel à 3 ans pourront aussi bénéficier d’un soutien personnalisé de CP1 à CM2. Mais, dès lors que l’enseignement primaire aura été entièrement refondé, le besoin de soutien sera sans aucune mesure avec le besoin actuel, qui est massif. En effet, le besoin se limitera aux difficultés personnelles, alors qu’aujourd’hui une grande partie des difficultés des élèves résulte de l’enseignement qu’ils reçoivent.
Ainsi, à terme, le soutien n’occasionnera pas une charge économique excessive.
• Avec la refondation de l’enseignement primaire, le soutien personnalisé pourra être étendu aux élèves qui ne présentent pas de difficultés particulières. Les élèves qui réussissent ont, comme les autres, besoin d’être guidés et conseillés, afin de parvenir au plus haut niveau du savoir compatible avec leurs capacités et leurs efforts.
• La présence d’enfants en retard culturel ou en difficultés personnelles augmente l’hétérogénéité d’une classe, et rend le travail du maître extrêmement difficile, voire impossible. Le soutien personnalisé, assuré par des moyens supplémentaires, peut diminuer fortement les difficultés. C’est selon nous, le meilleur moyen de concilier l’unicité des classes et des programmes avec l’intérêt de tous les élèves, tout en facilitant grandement la tâche des maîtres.
La diminution des échecs et de l’exclusion qui résulte de facto de difficultés non résolues, améliorera progressivement l’ambiance des classes.