Pendant quelques jours, les médias ont fait une place à la critique de notre enseignement primaire et secondaire en montant en épingle une information stupéfiante : en mathématiques, la France se classait dernière des pays européens.

Rien de nouveau : la débâcle se poursuit. Alors que faire ? Dans l’énorme chantier que sera un jour la reconstruction totale de notre système d’enseignement obligatoire, le cas des maths est l’un des plus simples.  

Un point de vue de Hong Kong

Hong Kong fait partie du groupe des tigres asiatiques qui obtiennent – et de loin –les meilleurs résultats aux comparaisons internationales PISA  et TIMMS 2015.

Sur Le Point web, Michel Segal (1), professeur de maths au Lycée Français de Hong Kong, répond à la question : comment font-ils ?

« À Hong Kong, ils appliquent exactement les principes interdits en France : par exemple la sélection, le travail à la maison, l’apprentissage par cœur, la virtuosité des calculs, l’homogénéité des classes, les redoublements, la non-mixité dans certaines écoles, la grande diversité des établissements, un programme approfondi, etc. Le résultat n’est pas seulement brillant sur un plan académique, il est aussi excellent pour la réduction des inégalités sociales en donnant des résultats plus homogènes qu’en France.

Il est de bon ton d’affirmer que les élèves y sont beaucoup plus malheureux qu’ailleurs en raison de la pression excessive, et de ponctuer le discours par quelque fait divers dramatique plus ou moins bidonné. C’est faux et je témoigne que les petits Hongkongais sont plus épanouis que leurs congénères français, et que, de plus, il règne dans leurs écoles un climat de paix et de bien-être que je n’ai constaté nulle part en France.

Ceux qui répètent ces accusations n’ont vraisemblablement jamais franchi le périphérique ; ils découvriraient le malheur et le désespoir de nombreux enfants et de leurs familles devant les drames des écoles sans professeurs, ou bien dans lesquelles règne une violence traumatisante, ou encore dans lesquelles on n’a plus le sentiment d’apprendre grand-chose. Pour sauver l’école, on ne pourra pas faire l’économie de la lucidité. On attend celle des dirigeants. »

(1)Auteur des ouvrages « Autopsie de l’école républicaine » et « Violences scolaires – responsables et coupables »  –  Membre du Conseil d’administration de Lire-Ecrire.

Les causes

La palme des commentateurs revient incontestablement à la Najat Vallaud-Belkacem, qui, à propos du classement TIMMS 2015, a déclaré qu’elle s’attendait à ces mauvais résultats, car elle en connaissait les causes : les élèves qui avaient 10 ans en 2015 sont entrés en CP en 2011, et ont suivi les programmes 2008 de Darcos : la faute incombe donc au gouvernement Fillon – CQFD !

Notre association a apprécié les programmes 2008. Mais leur application effective a pris des années en raison de l’inertie de l’énorme institution, et de nombreuses oppositions. Après 2008, beaucoup d’élèves – particulièrement dans les ZEP – ont été encore soumis aux pédagogies délirantes du constructivisme.

D’autre part – et Najat Vallaud-Belkacem le reconnaît – beaucoup d’instituteurs sont très faibles en maths. Quant aux professeurs des collèges, les conditions de réussite au CAPES ont été sans cesse abaissées pour compenser l’absence de candidats valables.

Autant des professeurs compétents et motivés peuvent faire aimer la discipline qu’ils enseignent, autant des professeurs médiocres peuvent décourager leurs élèves. D’où le manque général d’appétence pour les maths, souligné par la ministre.

Le point de vue de Michel Segal

« Cela fait des années que nous assistons en continu à des allégements de programmes et au renoncement à l’exigence. Prenons l’exemple des vecteurs : quand j’ai commencé à enseigner il y a un peu plus de 15 ans, on les enseignait en quatrième, puis ils sont passés au programme de troisième, puis finalement à celui de seconde. Cette année, la réforme du collège a fait passer les horaires de mathématiques en 3e à 3 h 30 hebdomadaires, derrière l’EPS à 4 heures. Je prends le pari que le programme de seconde s’adaptera à la diminution horaire du collège par un nouveau glissement des vecteurs jusqu’en première. Il s’agit bien d’une baisse de niveau programmée.

En résumé on a commencé à baisser le niveau et surtout à vider les mathématiques de leur magie et de leur attrait.

En mathématiques, cette évolution est flagrante. À mes débuts en 2000, les consignes de l’Inspection étaient de bannir les calculs un peu compliqués afin de ne pas privilégier les élèves qui avaient des facilités. Dix ans plus tard, des élèves de lycée ne connaissaient pas leurs tables de multiplication et on créait des modules de remise à niveau à l’université pour enseigner l’addition de fractions. Ce que l’on a cru économiser d’un côté se paie, et au centuple, à l’autre bout de la chaîne – c’est simplement moins voyant.

Cette obsession de la simplification s’est principalement traduite dans les faits par une quasi-disparition de l’abstraction et l’obligation d’activités annexes – ainsi la pseudo-programmation-pré-mâchée-sur-ordinateur désormais inscrite au programme du collège. Cette approche misérabiliste des mathématiques en a tué le cœur et la raison : les élèves n’aiment plus ça et ils sont devenus faibles. D’une certaine façon, c’est l’école elle-même qui a suscité les difficultés des élèves et leur désaffection pour la discipline afin de justifier sa propre position.

L’effet le plus inquiétant touche au recrutement des professeurs. Je ne sais pas si nos dirigeants mesurent bien la gravité d’une situation dans laquelle on ne pourra plus enseigner les mathématiques, sauf à faire venir en masse des enseignants indiens, russes ou chinois. La seconde conséquence, ce sont les difficultés de formation de bons ingénieurs français puisque l’on voit chaque année dans les prépas scientifiques des élèves de plus en plus faibles. Enfin, il s’ensuit une démultiplication des inégalités sociales puisque ce n’est que dans les CSP élevées que l’on a conscience de ces problèmes et que l’on parvient plus ou moins à les circonscrire. Ceux qui souffrent le plus de la baisse de niveau, ce sont les pauvres, c’est-à-dire justement ceux qu’elle était supposée aider. »

Que faire ?

• Si la France persévère dans la débâcle de son enseignement obligatoire, les premières victimes seront, comme le dit Michel Segal, les enfants défavorisés au départ dans la vie.  

Or les enfants des ZEP ont au départ les mêmes capacités intellectuelles que les enfants des beaux quartiers. Ils souffrent d’un handicap culturel quant à la maîtrise de la langue française, handicap qu’une école vraiment républicaine devrait combler, même imparfaitement.  

Ce handicap n’existe pas pour les maths, qui par certains aspects, sont comme un langage spécifique mais international. La quasi-totalité des enfants n’ont pas, au départ, un handicap culturel du fait de leur environnement social.  

Leur offrir un enseignement efficace augmenterait la population des « matheux » de tous niveaux et donc le monde de bons techniciens, ingénieurs, chercheurs, savants. C’est ce qui est en train de se passer chez les champions asiatiques et quelques autres. Notre avenir collectif en dépend.    

• En particulier, il faut renoncer à tout jamais au discours misérabiliste qui considère comme satisfaisant le classement de la France « dans la moyenne », entre Hong Kong et le Sultanat d’Oman. Il faut fixer à notre enseignement mathématique un objectif simple : revenir au meilleur niveau mondial, niveau auquel se situent encore nos plus grands mathématiciens, les titulaires de la Médaille Fields et leurs collègues. Pour atteindre cet objectif, il faut d’abord compenser 40 ans de dérive négative. Donc se fixer comme échéance la décennie 2040-2050.    

• Deux chantiers doivent, selon nous, être lancés, pour atteindre cet objectif. Le premier concerne les enseignants, le second les examens.  

Recrutement et formation des enseignants

30 ans ne seront pas de trop pour renouveler le corps professoral par le recrutement et la formation professionnelle.  

Il faut d’abord permettre le recrutement de bons mathématiciens (à différents niveaux) ce qui exige une rémunération convenable puisque, pour l’heure, les matheux sont très recherchés dans l’industrie et les services. Certes, qui dit statut dit uniformité de principe en tout, mais il y a belle lurette que notre Administration a su créer une multitude de primes pour ramener sur terre l’idéal égalitariste. Cela, pour le secondaire. Pour le primaire, certains proposent l’existence de 2 professeurs en CM1 et CM2, dont un en maths et sciences. C’est peut-être la bonne solution pour le recrutement.  

Il faut aussi, le plus rapidement possible, crééer un dispositif de perfectionnement des enseignants les plus faibles.  

Il faut évidemment recruter à tout âge pour bénéficier de vocations qui peuvent se manifester à un certain stade de la vie professionnelle.  

Il faut enfin mettre fin aux conditions de travail épouvantables que le laxisme général a installé dans certaines zones, et pour cela y placer des directeurs volontaires pour assumer les responsabilités de l’autonomie.  

Une évaluation nationale fondée sur des examens fiables

Le second chantier est celui des examens. Les matheux n’ont que faire des compétences. Ils savent très bien distinguer le savoir, c’est-à-dire la connaissance et la compréhension des enchaînements logiques, et d’autre part le savoir-faire, l’application du savoir à des questions réelles. Le savoir se vérifie par des exercices, et le savoir-faire par des problèmes.  

Il suffit donc de revenir à ce qu’étaient jadis les examens dans le primaire et le secondaire.  

Encore faut-il savoir sur quoi ces examens devraient porter. Nous ne sommes plus en 1880, 1920 ou 1960. Il faut donc redéfinir les objectifs de l’enseignement, en intégrant les besoins exprimés par les chercheurs et enseignants du supérieur, les utilisateurs des mathématiques appliquées dans l’industrie et les services, les bons enseignants du secondaire. Cela, à l’échéance de 10 à 15 ans, à faire évoluer ultérieurement.  

Supposée résolue la question de la nature des épreuves, conception, passation, notation, il reste un dernier pas à franchir : assurer leur fiabilité, et leur comparabilité dans le temps. A cet égard, l’Education nationale n’a plus aucune crédibilité, après 40 ans d’abaissement des niveaux, et de magouillage des résultats.  

Il faut donc, sans tarder, confier le contrôle des examens à une autorité indépendante.  

Annexe : Comparaisons internationales.

1 – TIMMS (Trends in mathematical and science study).  
Cette enquête est réalisée tous les quatre ans depuis 1995, à quatre niveaux entre le CM1 et la Terminale. La France n’y participe pas régulièrement. Les résultats publiés pour 2015 portent d’abord sur les élèves de 10 ans, niveau CM1.  
La moyenne générale est par construction de 500 sur 1000 pour 49 pays. Si les résultats individuels des élèves peuvent s’étaler très fortement entre 200 et 800, les moyennes par pays sont beaucoup plus resserrées.  
Pour la France, en 2015, la moyenne de 4870 élèves est de 488. Le score le plus élevé est celui de Singapour : 618, le plus bas celui du Koweït : 353.  
La France est 36e sur 49, elle est la dernière des pays d’Europe, la première étant l’Irlande du Nord : 570. Singapour, Hong Kong, la Corée du Sud, Taipei et le Japon sont les premiers, avec des scores supérieurs à 590.    

2 – En Terminale S, le score est passé de 569 à 463 de 2995 à 2015, ce qui représente une baisse considérable.    

3 – PISA.  
L’enquête internationale menée par l’OCDE concerne les élèves de 15 ans. Nous avons analysé sur notre site les résultats de 2003 et 2009.
Le rapport 2015 est téléchargeable ici.  
Le score de la France est de 493. La France se classe 27e sur 70 pays, et pour l’Europe, 15e sur 23 pays.  
Le score de la France était de 511 en 2003 : la France était alors 4ème sur 11 pays européens.    

4 – Les divers examens disponibles montrent pour la France des tendances concordantes à la baisse. La moyenne étant toujours fixée à 500, on constate de grandes similitudes dans les divers scores de la France.    

5 – Sur la signification pratique d’un score de 493 par exemple voir notre étude Pisa et autre rapports de décembre 2010, qui inclut des comparaisons avec des études de la DEPP de l’Education nationale. Plus de 40 % des élèves français étaient en échec après 9 ans d’études, plus 30 % d’un niveau médiocre. Cette appréciation peut paraître sévère par rapport aux pays européens ; elle est fondée si l’on considère comme évidemment accessible le  score des pays de tête, autour de 600.  

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