Voici quelques extraits d’un article de Kirsty Scott publié le 10/07/2007 dans le journal The Guardian
Article de Kirsty Scott – The Guardian – 10/07/2007 (Extrait)
Il était une fois une zone défavorisée en Écosse où un plan fut lancé pour faire disparaître l’illettrisme des enfants en 10 ans. 10 ans plus tard, l’objectif était atteint.
Nous sommes au milieu de la matinée, à l’école primaire St Mary à Alexandrie, une ville sinistrée postindustrielle au nord-ouest de Glasgow qui se trouve régulièrement dans la liste des zones cumulant le plus de handicaps en Écosse. Dans la classe de Margaret Mooney, vingt enfants âgés de 5 ans sont assis, rassemblés aux pieds de la maîtresse, simulant des trains. « Ch, ch, ch, ch, ch… » entonnent-ils, leurs petits bras tournant rapidement pour imiter les roues de la locomotive.
Mooney tourne les pages d’un livre géant, très coloré. « C’est celui qui vous autorise à être impertinent avec votre maîtresse » dit-elle en désignant les lettres « th ». « Quel son font-elles ? » Les enfants sortent leur langue et sifflent à travers leurs dents, avant de se mettre à glousser de rire. « Espèces d’impertinents ! » s’écrit Mooney. « Laissez-moi voir combien vous pouvez être mal-élevés ».
Ils sont trop jeunes pour s’en rendre compte, mais les enfants de la classe de Mooney font partie d’une expérience remarquable, à tel point qu’elle est en passe de devenir un modèle pour les autorités du monde entier, et a attiré l’attention du premier ministre britannique. Gordon Brown a été enthousiasmé par ce qui se passe dans le West Dunbartonshire, et a tenu à s’entretenir avec le docteur Tommy MacKay, le psychologue de l’éducation qui est à l’origine de cette expérience.
En 1997, MacKay a convaincu le Conseil du West Dunbartonshire de prendre l’engagement d’éradiquer l’illettrisme des enfants en moins de 10 ans. Cette année, en 2007, le Conseil est sur le point d’atteindre cet objectif et de devenir la première autorité au monde à réussir une telle performance.
Quand le projet fut lancé, le West Dunbartonshire avait l’un des taux de littératie les plus faibles de l’Ecosse. En 1997, 5% des enfants des écoles primaires du district obtenaient des scores très élevés en lecture ; aujourd’hui, ils sont 45%. Les méthodes de lecture Synthetic Phonics (alphabétiques), dans lesquelles les enfants apprennent à reproduire le son des lettres et des associations de lettres, sont au coeur du programme mais ce n’est pas le seul facteur de réussite.
Dix axes d’action ont été définis, comme le fait de constituer une équipe d’enseignants spécialement formés, la mise en place d’un diagnostic précis, un temps plus important consacré à la lecture dans le temps scolaire, l’implication des parents et de professionnels pour aider l’enfant à la maison, et le développement d’un environnement général favorable à la lecture au sein de la communauté. « Les résultats obtenus sont fantastiques » dit MacKay.
Lorsqu’il avait soumis sa proposition au Conseil, il n’était pas certain d’être entendu. « J’ai adressé une lettre eu directeur de l’éducation. C’était l’un de ces sujets pour lesquels vous espérez créer un intérêt, mais qui peuvent tout aussi bien finir à la corbeille. Mais, j’écrivais : pourquoi ne pas essayer quelque chose qui n’a été tenté nulle part ailleurs dans le monde ? Vous pourriez faire disparaître l’illettrisme ! »
Sa lettre coïncida avec une décision du gouvernement écossais de fournir des aides financières pour la mise en place d’interventions précoces en lecture et en numération. Le programme du docteur MacKay se distingua des projets lancés à ce moment dans d’autres districts par la décision prise de suivre les enfants de la naissance à la fin de la scolarité primaire, et d’impliquer pour cela l’ensemble de la communauté.
« Ce que nous voulions faire n’avait jamais été entrepris auparavant dans le monde : notre ambition était d’obtenir un changement complet sur une génération dans l’ensemble de la population » dit MacKay. « Nous avons délibérément fondé ce projet sur des principes rarement respectés : une vision d’avenir, un engagement sans faille, la responsabilisation et l’implication de tous »
L’action était engagée sur deux fronts. D’abord la prévention, avec un programme solide d’interventions précoces dès la crèche afin de réduire le nombre d’enfants ayant des difficultés pour apprendre à lire. Ensuite, un accompagnement personnalisé, avec le programme intensif « one-on-one Toe by Toe », pour ceux qui passaient à travers les mailles du filet et étaient repérés lors de la première année d’école. « Vous suivez de près chacun d’eux et vous les accompagnez avec une aide personnalisée » dit MacKay.
Lynn Townsend, chef du service d’éducation du Conseil de West Dunbertonshire affirme que le programme n’aurait pas réussi si l’on ne s’était pas concentré sur ceux qui échappaient aux actions de prévention. « Si nous voulions atteindre notre objectif, il fallait un programme spécial pour eux » dit-il. Il est admis par tout le monde que si des enfants n’ont pas appris à lire avant la fin de l’école primaire, ils n’apprendront pas ensuite. Ceci n’est pas acceptable. Aucun ne doit être laissé sur le bord du chemin ».
« Nous avons obtenu des résultats extraordinaires. Des enfants qui, en fin de primaire, n’auraient pas dû savoir lire, peuvent lire aujourd’hui. C’est une ouverture sur le monde. Pour eux, le collège aura du sens. Ce programme change réellement des vies »
Au fil du développement du programme, de nouveaux axes de travail ont été développés. « Au départ, nous avions mis l’accent sur les méthodes de lecture « Synthetic Phonics ». Maintenant, c’est juste un des axes. Nous avons développé une approche spécifique, celle de West Dunbertonshire » dit Towsend.
Charles Kennedy est enseignant. Il a pu voir l’effet produit par ce programme lorsqu’il a rejoint l’école St Mary après avoir travaillé dans une autre région. « J’étais stupéfait par le niveau des enfants, la progression et les résultats » dit-il. « Et aussi par le plaisir qu’ils y prenaient. C’était dynamique et vivant. »
L’implication des parents fut un élément clé du programme.
« Les études montrent que les enfants des classes moyennes ont pu expérimenter la lecture pendant des centaines d’heure avec leurs parents avant d’aller à l’école ». Dans nos quartiers, beaucoup ne le font pas ou ne le peuvent pas. » Un système de soutien à la maison a été mis en place et les parents ont été initié aux « Phonics » lors de soirées régulières. Les crèches ont reçu un kit de démarrage avec du matériel de lecture à utiliser à la maison.
Les officiels disent que souvent, à l’issue des rencontres de parents, l’un ou l’autre s’approchait de l’animateur et avouait qu’il ne pouvait pas lire. Il était alors orienté vers des structures qui pouvait l’aider et lui permettre d’apprendre.
MacKay espère que le succès de ce projet aura des implications à long terme pour la communauté du West Dunbertonshire. « Nous pensons que nous allons avoir une économie plus forte, une criminalité en baisse et une diminution de la population carcérale ».
Townsend pense que le programme a fonctionné parce qu’il y avait une détermination collective à le voir réussir. « Nous sommes restés attachés à nos principes. Lorsque les financements ont été réduits puis supprimés par le gouvernement, nous les avons maintenus » dit-il.
L’intérêt pour ce projet a été immense. MacKay est allé le présenter jusqu’en Afrique du Sud, et une délégation de Dublin était à West Dunbertonshire à Pâques. Le Centre de recherche sur les politiques publiques l’a présenté comme une action exemplaire l’an dernier.
« Beaucoup de nos écoles primaires sont en partie dans des zones défavorisées de l’Ecosse, et pourtant elles obtiennent des résultats supérieurs à la moyenne nationale » affirme Townsend. « C’est stupéfiant. Si vous annoncez d’emblée que vous allez faire disparaître l’illettrisme en 10 ans, quel politique ne voudrait pas adopter ce slogan ? »
Source : http://www.guardian.co.uk/education/2007/jul/10/schools.primaryeducation