J’essaie de toutes mes forces, avec l’aide du Collectif Sauver les lettres, avec le Collectif des parents en colère, et quelques autres de faire cesser le scandale de l’utilisation de méthodes mauvaises. Mais mon métier me met à la place de celui qui peut éviter tout ça en choisissant une méthode efficace. Ma collègue Mathilde a actuellement un CP-CE1 de 27 dont un petit anglophone qui débarque… et déjà, nous sommes prêts à parier que tout le monde lira. Johnny peut-être un peu plus tard que ses copains… C’est possible parce que la maternelle travaille l’écrit et l’oral avec précision, soin, et ténacité. C’est possible parce que le CP est résolument syllabique et travailleur et exigeant. Nos élèves travaillent ! L’Education Nationale nous le reproche, mais c’est une autre histoire.
Par contre, vous ici, vous êtes de l’autre côté, vous recevez les conséquences de tout ça. Et vous me demandez que faire ? Vous, vous soignez – si j’ose dire-, moi, j’instruis, c’est peut-être plus facile. Permettez-moi honnêtement de vous rendre l’hommage que vous méritez. J’espère juste que vous avez moins d’élèves à la fois que moi.
Que faire ? Dans ma famille, dans mon entourage, je dis à toutes le jeunes mamans d’apprendre elles-mêmes à lire à leurs enfants. Je leur montre une méthode Boscher – elles se vendent par dizaines dans les librairies de supermarchés – et elles se lancent. Avant le CP. Pendant le CP. Ce n’est pas si bien fait, la plupart du temps, que ce que ferait ma collègue dont c’est le métier de faire » apprendre les syllabes » -comme me l’a dit une maman récemment. Mais c’est mieux que n’importe quelle méthode globale, phonétique ou naturelle pratiquée par un professionnel avisé, certes, mais égaré dans ses dogmes…
- Prévenir la confusion gauche droite
Les difficultés de lecture viennent souvent d’une confusion gauche droite chez certains enfants. Ils confondent b et d, p et q, le et el, re et er … La confusion gauche-droite, la confusion b et d, est traditionnelle au début du CP. Ils doivent apprendre à la corriger, ils doivent d’une façon ou d’une autre, y arriver. Certains conservent longtemps cette confusion. Ils n’arrivent pas à s’y faire ? Ils ne sont pas » dressés » -pardon, mais j’aime les formules claires- à discriminer la gauche de la droite, le côté du couteau de celui de la fourchette. Sans doute, ils vivent dans des maisons où ces questions n’ont pas d’importance … Mais le résultat est là : ils sont mal « latéralisés » dit-on. En maternelle, ils ont longtemps écrit les lettres de leur prénom dans le désordre. L’ordre ne leur apparaît pas comme un élément important. Il faut le leur montrer le plus tôt possible.
Ici, les étiquettes peuvent être utiles. Faites leur lire la phrase d’étiquettes désordonnées, lisez-là vous-même et riez-en ensemble. Mais obstinez-vous à leur faire reconnaître leur main droite, le côté gauche de la feuille … la marge gauche …
Et ce n’est pas joué d’avance…
La persistance de ce trouble droite gauche est souvent appelée dyslexie. C’est un symptôme typique de dyslexie et une des causes techniques les plus fréquentes de mauvaise lecture…
- Exercer mémoire et attention
C’est un travail que d’apprendre à lire. Si la mémoire de l’enfant n’est pas efficace, il faudra bien qu’il retienne quand même … On peut s’y entraîner.
Et il faut aussi, pour obtenir mémorisation, amener à être attentif. Les enfants modernes sont de plus en plus frétillants, et certains ne font vraiment pas attention à ce qu’ils écoutent où font. Rendre l’affaire intéressante par divers biais est toujours une bonne chose ; mais on ne peut pas se contenter de contourner sans cesse l’obstacle du travail à faire en le remplaçant par des jeux. Contourner l’obstacle ne le renverse pas…
- Vocabulaire et culture : faire lire à haute voix, et faire lire beaucoup.
Je n’ai jamais rencontré ce fameux enfant qui déchiffre mais ne comprend pas. Il a pourtant servi de prétexte à toute cette destruction. Ou si j’en ai croisé (sur M6 dimanche soir 13 octobre, une jeune fille effondrée …) j’ai toujours eu l’impression que c’est plutôt le manque de vocabulaire, ou l’étrangeté de la situation décrite qui empêchaient un enfant de comprendre un texte qu’il (ou elle) a pourtant lu sans hacher.
Mes collègues de CP disent qu’il faut, dès le début du déchiffrage, demander ce que ‘ça’ dit, ce que le mot lu raconte, ce que la phrase explique. Dès le début, parce que c’est là le vrai but de l’apprentissage de la lecture. Apprendre le syllabage n’est qu’un moyen pour y arriver !
Je pense moi, que la compréhension du texte lu, vient par la prononciation à haute voix, haute voix que l’on comprend déjà lorsqu’elle vient d’un autre locuteur, et qu’on comprend aussi quand elle sort bruyamment de notre bouche. La lecture silencieuse ne serait que l’intériorisation progressive de cette phonation, jusqu’à la disparition de cette étape nécessaire, disparition qui n’arrive vraiment que chez ceux qui ont beaucoup lu.
Alors, faites les lire à voix haute, et faites-les lire beaucoup. Et comme le plaisir du texte lu ne leur est quelquefois jamais apparu, lisez-leur à haute voix des histoires de leur âge, des livres de la jungle, des petites fadettes, des livres que vous avez aimé, vous ! .. pour qu’ils sachent que finir un roman, c’est un vrai plaisir.
- Milieu non lecteur : proposer des livres, malgré tout
Un milieu non lecteur est une difficulté. Contre laquelle on ne peut pas grand-chose. J’ai passé ma carrière à compter le nombre de romans enfantins effectivement lus par chacun de mes élèves ; je sais encore, en retrouvant mes élèves qui ont maintenant trente ans s’ils lisent régulièrement ou non. Car à 12 ans, c’est joué. A 9 ans, la classe est coupée en deux, ceux qui ont lu déjà plus de 20 livres et qui continueront et ceux qui en ont lu moins de 3 et s’en contenteront. Personne entre les deux.
Alors pour tenter de faire passer un enfant d’une catégorie à l’autre, j’ai tout tenté, cherché le livre adéquat, commencé à le lire pour le lui donner en priorité devant les autres qui lèvent la main… Peu de réussite.
Mais, je me rappellerai toujours Cathy, l’énergique et vive Cathy, qui ne lisait rien, qui ne voulait pas, qui méprisait la bibliothèque de la classe de sa moue boudeuse et qui, un jour, je ne sais trop pourquoi, emporte un livre à la maison : « Le mystère de la péniche » de E. Blyton –ce n’est vraiment pas la meilleure littérature enfantine, à mon avis tout au moins-. « Ce livre est formidable ! » m’a-t-elle dit le lendemain. Je lui ai trouvé son petit frère tout de suite, un peu déchiré… mais qu’importe. Depuis, elle lit, elle est une lectrice… et elle a lu d’autres auteurs.
Quand même, une chose, je crois que j’ai moins de « non-lecteurs de romans » maintenant que la collègue du CP « fait apprendre les syllabes ! »
Il est urgent de découper les mots !
Pour conclure sur la méthode à suivre, j’ai pris au vol ces deux réflexions des jeunes illettrés émouvants interrogés par l’émission de M6 du dimanche soir 13 octobre… Faut-il syllaber se demandent des milliers d’instituteurs ? Les deux jeunes illettrés malheureux ne répondent pas théorie, ils disent comme ils sentent. Je ne peux m’empêcher de trouver dans leurs propos, une confirmation de mes analyses.
[je fais des progrès] » Je découpe un peu plus les mots. J’aimerais que ça soit un peu comme un réflexe dans ma tête … comme pour les autres » (Patrick, jeune illettré en cours de réapprentissage, interviewé sur M6, dimanche dernier)
» T’es obligé de couper le mot en plusieurs syllabes, tu déchiffres vite chaque syllabe –là j’ai coupé en trois-, puis tu les remets vite ensemble, et on sait si c’est la bonne gare ! » (Jérôme, jeune illettré en cours de réapprentissage, interviewé sur M6, dimanche dernier)
Extrait d’une conférence donnée à Médréac, le 15/10/02.