sous la direction de Stanislas DEHAENE –  Ed. Odile Jacob – 2011

Ce petit livre-120 pages légères-est un ouvrage de vulgarisation, de lecture facile, qui apporte beaucoup d’éclairages utiles. En outre, et comme le sous-titre l’indique, il marque la volonté de quitter le laboratoire pour aller dans la salle de classe. Mais qu’il y a-t-il entre le laboratoire et la classe ?

Nous avons commenté ici en son temps l’ouvrage «Les neurones de la lecture» de Stanislas Dehaene . Ce livre, à mi-chemin entre la vulgarisation et l’essai savant, fournit beaucoup d’informations avérées et d’hypothèses vraisemblables sur le fonctionnement cérébral de la personne qui lit. Pour le profane, cet ouvrage confirme la condamnation du global, car même le lecteur « Expert », auquel  aiment se référer les pédagogistes, ne fonctionne pas en global.
Cependant l’auteur, en scientifique rigoureux, n’en déduisait pas que la méthode alphabétique était  la plus efficace.
Dans Apprendre à lire, Stanislas Dehaene et ses collaborateurs passent du laboratoire à la salle de classe par l’expérimentation, non pas rigoureusement scientifique, ce qui supposerait que l’on maîtrise la quasi totalité des facteurs à l’oeuvre, mais l’expérimentation conduite dans un esprit scientifique. On peut la comparer à l’expérimentation en matière médicale, avec une différence de taille : l’énorme influence sur les résultats des comportements des enseignants, qu’il est impensable d’encadrer par des protocoles précis et imposés.

Le plan de l’ouvrage est simple :

        – une première partie intitulée « Comment le cerveau apprend-il à lire ? » présente en  50 pages l’état des connaissances
        – la seconde partie présente « Les grands principes de l’enseignement de la lecture » :

enseignement explicite du code alphabétique
progression rationnelle
apprentissage actif associant lecture et écriture
transfert de l’explicite vers l’implicite
choix rationnel des exemples et des exercices
engagement actif, attention et plaisir
adaptation au niveau de l’enfant

         – enfin la troisième partie « L’éducation fondée sur la preuve » traite de l’expérimentation. Elle expose comment une expérimentation sur 1800 élèves de CP a buté sur la prépondérance du facteur humain : la nécessité de la formation des maîtres. Il ne suffit pas de connaître les grands principes, il faut apprendre, dans l’effort, à les mettre en pratique.

Nous croyons utile d’ajouter à ce commentaire deux avertissements.

Ne pas prendre le texte au pied de la lettre. Dans un ouvrage de vulgarisation, les auteurs n’ont pas l’obligation de préciser le sens des termes qu’ils emploient .
Ainsi, il est dit qu’au CP la lecture est « explicite » et qu’ensuite elle devient progressivement « implicite ». On pourrait penser qu’il est question ici de la maîtrise du « sens» chère aux pédagogistes. Il s’agit en fait de l’effort de déchiffrage, qui, au début de l’apprentissage, est visible par l’observateur (donc explicite) et conscient pour l’acteur, pour ensuite s’automatiser progressivement, devenant ainsi invisible pour l’observateur et inconscient pour l’acteur..
Sur les approches « analytiques » et « synthétiques » .
page 66 : chaque enfant doit bien entendu apprendre les correspondances entre graphèmes et phonèmes …  c’est-à-dire la manière dont on compose des syllabes et des mots à partir de ces briques élémentaires. Cependant, cette idée peut également s’inculquer, dans le sens inverse, en disséquant les mots en morphèmes, syllabes, graphèmes et lettres afin d’en reconstituer la prononciation et le sens. Ainsi, les approches analytiques (qui partent du mot pour le décomposer en lettres) semblent tout aussi valables que les approches synthétiques (qui partent des lettres pour composer des syllabes et des mots)-à condition, bien entendu, que l’enfant prête bien  attention aux graphèmes et aux phonèmes, et non pas à la globalité du mot.
Des considérations de même nature ont été avancées en 2007 par un groupe de scientifiques, dont certains pseudo scientifiques, pour faire croire à l’opinion que la science admettait l’approche globale à égalité avec l’approche alphabétique.
Ici le texte est beaucoup plus clair. Le mot «semblent », doit se comprendre « il n’y a actuellement pas de preuves scientifiques qui condamnent une approche partant du mot pour le décomposer en lettres » mais « à condition que l’enfant prête bien attention aux graphèmes et aux phonèmes et non pas à la globalité du mot ».
Tout cela est fort bien, mais est-ce réalisable ? En travail exclusivement oral, il est possible, et souhaitable, d’apprendre à décomposer les mots en syllabes, bases de l’articulation. Peut-être peut-on aller plus loin et passer aux phonèmes élémentaires. Mais cet exercice, s’il développe la conscience phonémique, n’est pas de la lecture car il n’y a pas d’écrit.
Il va donc falloir présenter un mot écrit, trouver le moyen que les élèves le voient mais surtout ne portent aucune attention à sa globalité.
La façon la plus sûre d’éviter la globalisation est certainement de commencer par des mots d’une syllabe, qui cependant ne sont pas très nombreux et dont le choix impose la progression pédagogique. Par exemple le  choix du mot « os » impose d’étudier le même jour « o » et « s ». De même le choix du mot « pou » impose d’étudier le même jour «p » et «ou ». On est très près de l’alphabétique, avec des contraintes importantes (quelle progression à partir de mots enseignera l’équivalent de la le li lo lu ?)
Si l’on excepte ce paragraphe de la page 66 du livre, tout le reste explique et justifie la méthode alphabétique, explicite, progressive, allant du simple au complexe, répétitive, associant lecture et écriture.
Du point de vue pratique, ce paragraphe n’a d’intérêt que si une approche « analytique » est plus efficace qu’une approche « synthétique ». Puisque la science ne tranche pas, la preuve devrait être apportée, selon la thèse exposée dans le livre, par une expérimentation, ce qui suppose :

 – la mise au point précise d’une méthode et de pratiques pédagogiques respectant l’approche analytique définie dans le livre
 – la rédaction d’un manuel et d’un livre du maître, avec ce que cela suppose de mise au point face à des élèves
 – la formation d’un certain nombre de maîtres
 – l’expérience comparative.

Mais cela en vaut-il la peine ?

Les sciences cognitives dans la salle de classe
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