Dyslexie : une vraie-fausse épidémie
L’échec au cours préparatoire
Le public scolaire
Plus ouvert, ce public complexe exige une écoute ouverte à ses richesses, attentive à sa fragilité.
Fragilité mais non débilité ; l’ école filtre ses entrées dès la maternelle. Son premier critère reste stable, le quotient intellectuel doit être « normal », c’est-à-dire supérieur à 90. Pas d’écrémage par le haut: l’ école accueille à bras ouverts le petit génie, dans la mesure où il ne remet pas la classe en question ; où surtout elle ne se sent pas, par lui, remise en question.
Autre interdit : l’organisation psycho-affective pathologique. Des essais d’insertion de petits psychotiques en primaire ont échoué à court ou long terme. Ces enfants, en avançant en âge, imposent leur différence de telle sorte que, confrontés sans aménagement possible à une normalité qui n’est pas la leur, à des exigences qu’ils ne comprennent pas et à des performances inaccessibles, ces enfants souffrent. De plus, leur présence est tellement prégnante qu’elle déplace à leur profit, au sein d’une classe, son centre de gravité. Il s’agit ici de la spécificité de l’école dans sa vocation pédagogique, à l’exclusion de son rôle évident de socialisation. Pour ces enfants, ce rôle ne peut incomber à l’école publique. Il doit se jouer ailleurs.
Ces critères de recrutement signifient quelque chose d’essentiel : tous les enfants, tous, dès le CP, sont aptes à apprendre à lire et à écrire. On ne rencontre pas à l’ école d’enfants interdits d’apprentissage. L’échec n’y est pas inéluctable.
La croissance et le mixage de sa population ne sont pas nécessairement fauteurs d’échec.
Cependant, chaque enfant est plus que jamais singulier : les capacités cognitives ne sont pas également réparties. Ces variances répondent à l’hétérogénéité accrue d’une population dont celle de l’école est issue.
L’immense variété de son public conduit donc à s’interroger sur le projet pédagogique de l’école, et particulièrement ici du CP. Qui le maître doit-il enseigner ? Quels critères de normalité donner à cette population normale puisque scolarisée ?
Il importe de prendre en compte ceci : si les enfants normaux sont ceux qui arrivent en CP sans retard de parole ni difficulté langagière, sans troubles sensori-moteurs, sans aléas familiaux. … le pourcentage est faible : de 30 % à 35 % au plus, dont il faut soustraire encore l’enfant bilingue, qui n’est plus une exception et le sera de moins en moins. Riche de deux cultures mais mis en porte à faux par des références linguistiques différentes, celui-ci est contraint, une langue à l’école, une autre à la maison, de constamment réajuster son registre d’expression et d’écoute.
Il paraît réaliste d’admettre que la population du CP présente, dans sa globalité, ces retards plus ou moins bénins, parfois inapparents. La pédagogie doit donc en tenir compte ; elle doit ratisser large sans pour autant manquer d’ambition, sans risque de soumettre les doués au régime des moins doués. L’apprentissage se doit d’être de haut niveau et accessible à tous, la pédagogie, souple et rigoureuse, doit s’adapter à tous. Elle le peut, nous décrirons comment.
Modes et méthodes
Alors c’est l’enfant qui est mauvais ? paresseux ? distrait ? immature ? dyslexique ? Quelque 10 % de dyslexiques en primaire, dit-on. À moins que l’absentéisme des parents… la télé… le milieu socioculturel. ..la société elle-même. ..?
Difficile actuellement de départager les méthodes, elles se confondent. La mixte règne, qui parle en effet de mélange, mais dont le dosage variant suivant le maître est difficile à évaluer.
C’est un cocktail sous influence. Linguistes, psycholinguistes, chercheurs y participent. Investis depuis bientôt quarante ans dans le « problème de la lecture », ils pèsent de tout leur poids – qui n’est pas léger – sur la pédagogie. Maîtres, donc élèves, sont tiraillés par des tendances plus ou moins extrêmes et se trouvent être l’enjeu de théories souvent contradictoires. Courants contraires redoutables pour l’école et l’écolier .
Cependant, la méthode compte.
Nous avons besoin de chercheurs. Mais en pédagogie, peut-être eût-il fallu pour les suivre attendre, comme en médecine, qu’ils aient trouvé et fait leurs preuves. Recherche et pédagogie n’ont pas la même vocation. L’une est prospective, la seconde vise l’efficacité. Le chercheur se doit, pour avancer, d’avoir les yeux plus grands que le ventre. Le pédagogue, attentif, taille ses ambitions à la mesure de son public.
Actuellement, et dès les années soixante-dix, que voit-on ? On voit que certain courant, recherchant le nouveau, entend exploiter sur-le-champ ce qu’il suppute – fût-ce spéculatif et même paradoxal – sans prendre le temps d’ajuster un projet authentiquement pédagogique. On voit que l’enseignant ébloui se sent pousser des ailes de pionnier et y perd souvent son bon sens. Que chercheur et pédagogue se prennent l’un pour l’autre dans un jeu de rôles endossé comme un plus. Confusion des objectifs qui court le risque de mener à l’incompétence. Alors le bât blesse : le public scolaire ne peut être un champ expérimental.
Cet échec, ce «problème» de la lecture, certains médias faiseurs de bulles le poussent sur le devant de la scène, l’exploitant sporadiquement. La mauvaise pédagogie prête le flanc aux bruits de toutes sortes. La bonne pédagogie n’a nul besoin de reflets de rampe et brille en silence pour son propre compte. Peut -on souhaiter mieux à nos écoliers que de déserter la une des journaux ?
Colette Ouzilou, Introduction de "Dyslexie une vraie-fausse épidémie"
Paris, Presses de la Renaissance, 2001