VAINCRE L’ÉCHEC A L’ÉCOLE PRIMAIRE : UN ESPOIR DÉÇU

En élaborant 13 propositions pour vaincre l’échec scolaire à l’école primaire, l’Institut Montaigne donna le sentiment que les entreprises françaises avaient enfin compris l’importance d’investir dans l’école primaire, là où les enfants apprennent si mal à lire et à compter actuellement. Tout au moins, nous l’espérions, avant que ne se tienne la conférence du 14 septembre 2010, organisée par l’Institut Montaigne à Paris.

Nous avions accueilli le rapport de l’Institut Montaigne « Vaincre l’échec à l’école primaire » avec un certain intérêt pour le constat posé, tout en faisant part de quelques critiques sur les propositions. Le débat organisé par l’Institut Montaigne le 14 septembre en présence du Ministre de l’Éducation Nationale devait, nous semblait-il, permettre de discuter ces propositions.
Le sujet du débat était important et l’on pouvait en espérer des conclusions sérieuses et solides. Mais nous en sommes ressortis profondément déprimés. Non pas en raison du constat de faillite du système éducatif français maintenant bien connu, mais de l’étonnante passivité de ceux qui sont censés y remédier et des orientations évoquées qui annoncent des lendemains pires que tout ce que l’on peut imaginer.

En début de conférence, l’Institut Montaigne donnait le ton en rappelant que 40% des élèves français avaient des difficultés à lire à l’entrée en sixième. Dans l’intervention de Luc Chatel, par un effet de baguette magique, ils n’étaient plus que 20 %. Mais, peu importe, car la réforme du lycée, le livret de compétence au collège et les fables de la Fontaine offertes aux élèves de CM1 pendant l’été devraient permettre de résoudre ce problème d’illettrisme, selon le Ministre. Difficile de faire le lien entre ces mesures et la gravité de la situation, mais on ne pourra pas dire que l’Education Nationale n’innove pas et c’est sans doute l’essentiel pour un Ministre qui s’efforce d’entretenir l’illusion. Il y a bien un plan de lutte contre l’illettrisme rappelé en passant mais qui, comme nous l’avons déjà signalé, passe à côté des vrais problèmes.


Jacques Attali rappela que la faillite du système commençait à la maternelle et qu’il était étonnant qu’on ne s’en occupe pas davantage. Il avait raison de s’en étonner puisqu’aucun des autres intervenants n’en parla. Pour l’un, il fallait mettre plus d’ordinateurs dans les classes, pour l’autre prendre le temps de lancer des expérimentations avant de s’attaquer au problème, et pour le dernier, se lamenter de ce nombre d’irréductibles qui n’arrivent pas à apprendre à lire. Le Ministre se retrancha derrière son plan illettrisme, nième d’une longue série de plans, qui n’aura probablement aucun effet notable.

En réalité, la question de l’illettrisme massif ne fit l’objet d’aucune des interventions. Seul Christian Forestier revint sur le sujet à la toute fin en y voyant un scandale, tout en précisant que malheureusement il y avait eu de tout temps 20% d’élèves qui n’arrivaient pas à lire. Nous n’étions pas à une contre-vérité de plus : c’est une spécialité dans les hautes sphères de l’Education Nationale, un moyen simple et habile de reporter la responsabilité sur les élèves, afin d’éviter toute remise en cause du système.

Gardons le meilleur pour la fin : François Taddei, chercheur atypique en biologie des systèmes, nous a gratifié de son credo en un avenir technologique qui nous tend les bras et auquel on a tort de ne pas succomber. Il s’étonne que l’on ait encore des programmes et que l’on ne fasse pas confiance à des enseignants capables de savoir ce qu’il convient d’enseigner à un élève sans qu’on ait à le leur dire. Invoquant la réussite extraordinaire du système québecois – que certains analystes outre atlantique n’hésitent pas à décrire comme l’archétype du pédagogisme poussé à l’excès, avec la médiocrité ambiante qui en résulte – François Taddei s’étonne que la France hésite à suivre ce « brillant » modèle. Ne lui retirons pas le mérite de nous avoir indiqué quel était le terme d’une évolution qui est en marche en Europe et qui fabriquera des contingents d’ignorants, individus à la tête vide trouvant leur inspiration dans les arcanes du web, sans le moindre discernement. Le fait qu’un individu, polytechnicien, héritier d’une culture transmise, puisse s’enthousiasmer pour une école du vide baignant dans une société technologique est particulièrement préoccupant, et sans doute un peu cynique (*). De cette intervention, nous ne retiendrons rien, que l’inquiétude de voir de telles prophéties se réaliser.

A la fin du débat, qui n’en était pas un, chacun exprimant un point de vue différent, voire opposé, tout en se congratulant l’un l’autre, une question nous tarabuste : l’Institut Montaigne est-il satisfait de cette prestation ? Si la réponse est non, il nous reste à espérer dans la naïveté de cet Institut qui, pour trouver des solutions à l’échec croissant des élèves, s’est tourné sans savoir vers ceux qui, pour la plupart, sont responsables de la situation actuelle. Donnons-lui une deuxième chance en l’invitant à organiser un nouveau débat avec des personnes capables de nous sortir du marasme actuel.
De ce débat ressort malgré tout la sensation que l’inquiétude suscitée par l’échec scolaire croissant est davantage motivée par la souffrance qu’il engendre, tant chez les enseignants que chez les élèves, que par la volonté d’élever le niveau de tous les élèves. A l’instar du livre récent « on achève bien les élèves », attendons-nous à voir se développer les antidotes à l’échec dont certains sont proposés dans cet ouvrage : ne plus noter les élèves, les faire participer à de multiples projets pour les mettre en valeur, supprimer les programmes, les redoublements et les examens, et ces honteuses classes préparatoires, décerner des compétences aux élèves comme on donne des bons points, etc. Que ces élèves soient capables de raisonner seuls, d’écrire des phrases qui ont du sens ou de respecter la grammaire n’intéresse plus grand monde, l’important étant que l’élève soit heureux dans son lieu de vie scolaire et qu’aucune exigence ne vienne frustrer son bon plaisir.
C’est cela l’avenir si nous ne résistons pas aujourd’hui. Et l’Institut Montaigne risque d’en être le promoteur, consciemment ou inconsciemment, s’il ne cherche pas son inspiration ailleurs que dans les cercles « autorisés ».

(*) Dans un article, commentant un rapport qu’il a rédigé à la demande de l’OCDE, sur la réforme qui lui paraît indispensable, François Taddei déclarait : « l’école doit apprendre non pas des savoirs, mais à rechercher de l’information en utilisant les nouvelles technologies, à la critiquer, à la synthétiser et à produire de l’information en réseau. »

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