Témoignage et réflexions d’un professeur de l’enseignement secondaire

Nous présentons le témoignage que nous avons reçu d’une jeune professeur. On y trouvera la preuve de la persistance des dogmes pédagogistes et de l’actualité de la débâcle de l’école.
L’auteur nous parle du niveau réel de l’enseignement, en baisse constante, et aussi de la qualité de l’enseignement qu’elle a reçu il y a quelques années. Maintenant, c’est pire, et les futurs professeurs auront encore moins de savoirs à transmettre. Ils ne s’en sortiront que par un énorme effort de volonté.
Quant aux élèves …

Pourquoi un tel témoignage

Je suis professeur stagiaire de mathématiques, et à ce titre, je reçois une formation à l’IUFM, formation censée m’apprendre mon métier.
On a beaucoup entendu parler ces dernières années du carnage qu’a fait la méthode globale à l’école primaire. De cette méthode, je savais juste qu’elle consistait à ce que l’élève découvre les mots dans leur globalité, puis qu’il donne un sens ensuite. Seulement voilà, j’ai l’impression qu’on me demande de faire la même chose avec mes élèves : on conçoit une activité, à partir de laquelle les élèves sont censés construire le cours, grâce à un échange avec le professeur et avec la classe, de façon à ce qu’ils donnent eux même un sens au contenu mathématique
Comme, en début d’année, des stagiaires redoublants m’ont expliqué qu’il fallait la "fermer", j’ai appliqué cette méthode.

Comment appliquer les méthodes de l’IUFM dans ses classes ?

J’ai une classe de seconde et une classe de première. En seconde, j’ai quatre élèves qui accrochent avec ces activités, les autres essayent tant bien que mal de comprendre ce que je leur veux. En première, en début d’année, ils m’ont gentiment demandé de leur donner directement le résultat (la formule) pour qu’ils puissent l’appliquer, depuis ils ont renoncé.
Le temps passé à ces activités est en effet celui que l’on ne passe pas à assimiler les nouvelles notions. Je pense que cette méthode d’enseignement perd des élèves un peu scolaires qui auraient pu s’en sortir en faisant davantage d’applications leur permettant d’acquérir des automatismes. Si mes enseignants m’avaient imposé de telles méthodes, j’aurais été perdue et aurais tout simplement abandonné les mathématiques.
La raison de telles pratiques ?  Reprendre le cheminement historique des mathématiques : les mathématiques n’ont eu de sens que pour la résolution de problèmes, une façon logique d’introduire une nouvelle notion est donc de l’introduire grâce à un problème ; c’est du moins ce que j’ai retenu de "l’enseignement" de mes formateurs.
Comment introduire l’algèbre, mode d’emploi : vous prenez un problème, un tableur et vous laissez vos élèves faire des essais pour trouver une solution, ce qui lancera un débat dans la classe et sera bien plus efficace que de donner une méthode pour résoudre des équations, car (une phrase qu’on ne se lasse pas d’entendre) : "la DIDACTIQUE a montré que…". Si la "didactique" a dit…
Maintenant, grand moment de perplexité : mes élèves de lycée se trompent à peu près une fois sur deux pour résoudre une équation à une inconnue ; sans contact avec l’IUFM, voilà comment je ferais pour leur apprendre à résoudre une équation, je leur dessinerais une balance de Roberval (1),  leur rappellerais quelques règles de simplification (horreur, des révisions! Mais ce n’est pas pédagogique!), puis leur ferais faire une série d’exercices. Les formateurs crieraient sûrement au scandale.
J’ai essayé tant bien que mal de me plier aux consignes, mais visiblement, pas assez : je ne renvoie pas suffisamment à la classe les problèmes rencontrés de manière à ce qu’il y ait un débat constructif autour des difficultés soulevées (comme par exemple simplifier une écriture fractionnaire; je rappelle qu’il s’agit d’une classe de seconde).

 (1)Question de Lire-ecrire "Le recours à la balance de Roberval semble montrer qu’ils n’ont pas bien compris ce que signifie le signe égal et par conséquent ce qu’est une équation."  Réponse de Laurence B : "effectivement, beaucoup peinent à comprendre la signification du signe = , et ont beaucoup de mal à déterminer ce que sont x, a et b dans l’équation ax + b = 0

Que de temps perdu à l’IUFM !

Les parents d’élèves seront ravis d’apprendre que nous avons suivi, pour certains d’entre nous, deux journées complètes sur le thème "la démotivation des élèves, une fatalité ?" avec des intervenants qui estimaient que la méthode syllabique n’avait pas de sens, alors que la méthode globale, si. Et ils nous l’ont démontré :
1. L’enfant qui arrive au primaire se trouve face au menu du déjeuner; grâce au "sens" qu’il va donner, il va pouvoir non seulement déterminer  qu’il s’agit du menu, mais en plus il va savoir ce qu’il mange. Et hop, en un jour, il sait lire. C’est curieux, il parait qu’en sixième il est analphabète.
 2. La preuve maintenant avec les stagiaires : nos intervenants nous donnent un texte en polonais à traduire. Nous avons une heure et demi pour le traduire par groupe de six. Au bout d’une heure et demi, à l’aide de tous les groupes, la traduction quasi exacte est donnée, les intervenants sont contents d’eux. Pour ma part, malgré une certaine bonne volonté ce jour là ( nous n’étions encore qu’en janvier), je n’ai pas réussi à accrocher, toutes les traductions que j’essayais n’avaient aucun sens, le groupe a trouvé, mes questions sont restées. (2)
J’ai toujours été le type d’élève assez moyen, ayant besoin de temps pour comprendre. De ces deux jours, j’ai vraiment réalisé qu’avec de pareilles méthodes, j’aurais été en échec scolaire. De plus, avis au contribuable, au meilleur moment de ces deux jours, nous avons eu jusqu’à quatre intervenants en même temps. Trois d’entre eux sont enseignants en exercice et ont bénéficié de décharges d’heures pour venir nous démontrer les bienfaits de leurs méthodes. L’un d’entre eux n’a même pas ouvert la bouche… Enfin, pour fermer le chapitre IUFM, ces gens-là semblent oublier qu’avec nous ils s’adressent à un public adulte.
Nous n’avons aucune liberté pédagogique, l’IUFM n’est là que pour justifier la présence ( et le salaire) de gens censés nous former. Ces gens là sont tout simplement intolérants et estiment détenir le vérité. Vu le désastre qu’est l’éducation nationale, il est impossible qu’ils ne se soient pas rendu compte qu’ils en sont responsables; je trouve cela tout simplement criminel.
Une collègue me disait la semaine dernière que nous n’étions plus des enseignants mais des éducateurs, ce qui la désole également.

(2) Lire-ecrire : "Ou bien les intervenants ont donné des indications à certains groupes, ou bien des élèves étaient complices ?"
Réponse de Laurence B : "Le saurons-nous un jour … En tous cas, à les entendre, le sens était là"

Que se passe-t-il après le bac ?

(pour ceux qui ont la chance de ne pas sortir sans diplôme de leur cursus scolaire)
Pour me donner une idée, j’ai juste à regarder mon propre parcours.
Pour l’épreuve de mathématiques du bac, je m’étais déjà demandé quel était le fou qui avait réussi à trouver 10/20 à ma copie. Jusqu’à la licence, grâce à un certain goût pour les mathématiques et beaucoup de travail, je faisais partie des "moins pires". Pour la maîtrise, heureusement que certains examens étaient notés sur 33 et 48 (3) (et encore, je ne sais pas tout),  et que des notes ont été largement arrondies au dessus par des professeurs voyant que je ne pourrais pas faire mieux.
Et enfin, le CAPES. Pour m’y préparer, j’avais commencé par prendre des annales du bac des années 80. J’ai eu beaucoup de mal à traiter une bonne proportion de ces sujets. Aujourd’hui encore, je me demande comment j’ai eu ce concours, alors que je n’aurais pas eu le bac il y a à peine 30 ans.
Lors d’un stage en collège, j’envisageais de donner un exercice de brevet de 1998 à une classe de 3e; leur professeur m’a clairement reproché de donner un exercice trop dur, et que je devais m’en tenir à des exercices de type brevet. Quand je lui ai rétorqué qu’il s’agissait d’un exercice de brevet de 1998, soit environ l’année à laquelle j’ai passé mon brevet, elle m’a dit que les élèves n’étaient plus les mêmes qu’il y a dix ans. Pour ceux qui seront enseignants dans dix ans, ça promet…

(3) "Autant que je me souvienne, la meilleure note sur 33 était 15, et sur 48, 17

Mais pourtant, le niveau ne cesse de monter !

Pourtant l’IUFM nous a déjà signalé que le niveau « montait ». D’un certain point de vue, je suis d’accord :

– Avant, après avoir vu une notion en cours, les élèves faisaient une séries d’exercices répétitifs afin d’acquérir des automatismes pour passer à la résolution de problèmes plus complexes.

– Aujourd’hui, avant de faire le cours, il y a les fameuses activités durant lesquelles l’élève se confronte sans les outils nécessaires à un problème, se construit une idée de l’outil adapté afin de mieux se l’approprier. Ensuite vient la synthèse (le cours proprement dit) que la classe construit avec le professeur (au passage, certains élèves sont susceptibles de s’approprier beaucoup d’idées fausses en essayant de construire le cours, enfin bon, il paraît que ça n’arrive qu’aux professeurs qui n’appliquent pas à la lettre les directives…vu les résultats actuels, il doit y en avoir pas mal !!)

– Le temps passé à la phase précédente est celui qu’on ne passera pas à acquérir des automatismes. (Nos formateurs sont fiers de nous dire que quand ils étaient élèves, eux faisaient énormément d’exercices dans le but d’acquérir des automatismes, mais qu’aujourd’hui, les choses changeaient.)

– Et on jette les élèves sur des sujets pour lesquels les activités leur ont fait prendre suffisamment d’autonomie et d’esprit d’initiative afin qu’ils puissent les traiter. Manque de chance, chaque automatisme non acquis est un temps de réflexion supplémentaire durant l’épreuve.

– Certains sujets de bac (une minorité, rassurons-nous) me semblent effectivement plus difficiles qu’il y a dix ans, car ils demandent un recul mathématique que l’on acquiert le plus souvent dans les études supérieures.  Les élèves d’aujourd’hui seraient donc mieux formés. Mais pourquoi échouent-ils en faculté ? Pour revenir aux annales des années 80, nos élèves qui sont si bien préparés « grâce » aux sciences de l’éducation ne comprendraient sûrement pas pourquoi ce qui leur est proposé comme un problème n’était dans les années 80 que deux ou trois questions d’un vrai problème.

– Un exemple : quand j’étais à l’école primaire, on voyait l’addition des fractions avec des dénominateurs différents au CM2. Aujourd’hui, on ne traite ce chapitre qu’en 5e (il faut que les élèves découvrent les fractions, plutôt que de leur donner les règles qui leur permettraient de les manipuler) ! Cela fait donc deux ans d’automatismes en moins rien que sur ce chapitre, ce qui à mes yeux est énorme quand on voit le degré d’abstraction que ces mêmes élèves sont censés acquérir d’ici la terminale.

– Autre exemple : Sur la première classe de 4e que j’ai eu, je m’étais lancée sur des démonstrations, mais j’ai vite été arrêtée par mes collègues, qui m’ont expliqué que les élèves ne comprendraient pas et qu’il fallait ne quasiment plus en faire, sauf très cadrées ( leur faire apprendre des phrases types à compléter selon les exercices). Vu le niveau de compréhension de la langue française des élèves, et leur capacité à analyser un texte, à l’avenir je risque moi aussi de revoir mes exigences à la baisse…

Les programmes actuels demandent  non seulement d’avoir une démarche de chercheurs en herbe mais en plus d’assimiler les notions en moins de temps. Pourtant, au niveau international, nos élèves sont loin d’être les meilleurs. Ainsi le niveau des programmes français « monte » mais le niveau des élèves baissent. Aberrant, non ?

LB

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