Témoignage d’une institutrice désespérée

Pris parmi beaucoup d’autres, voici le témoignage reçu d’une institutrice désespérée. Au fil de la plume, elle nous montre le niveau de ses élèves dans un quartier pourtant "favorisé", les jeunes enseignants issus des IUFM, les conseillers pédagogiques et les inspecteurs politiquement corrects indifférents aux résultats des méthodes qu’ils préconisent. Elle évoque aussi les réunions du grand débat sur l’avenir de l’école…

Je suis institutrice de CM1 confrontée à longueur de journée aux problèmes liés à la baisse de niveau de nos élèves. Le gros problème de nos enfants est celui de l’analyse. En effet ils sont devenus incapables de résoudre un petit problème d’arithmétique : sur 33 élèves d’une classe de quartier favorisé (je n’enseigne pas en ZEP ) seuls 3 élèves résolvent sans aide ce genre de problème : "On achète une bibliothèque 1000 euros, une table qui coûte la moitié de la bibliothèque, un buffet valant le double de la bibliothèque, et quatre chaises. Le tout vaut 3600 euros. Combien vaut une chaise ?" Pour éviter que mes cahiers ne soient truffés de 0 (je note mes élèves malgré l’interdiction formelle de le faire) il me faut faire des croquis et expliquer à n’en plus finir et même comme cela les résultats restent très médiocres. En lecture c’est pareil les élèves ont énormément de mal à répondre aux questions de sens. La lecture orale est laborieuse et bien approximative.

Quand je lis d’anciens manuels scolaires je suis stupéfaite de réaliser combien le niveau a baissé. Je suis dans l’enseignement depuis 29 ans mon expérience me permet donc d’en juger. Je puis vous dire que nos inspecteurs et autres formateurs ne soulèvent jamais ce problème. Bien au contraire ils ne savent que nous proposer des manières de faire encore plus fantaisistes dans un langage pédagogique encore moins compréhensible que jamais. Je reste pourtant convaincue que pour une part importante, les difficultés des enfants viennent de là : nos méthodes sont mauvaises. Que peut faire un enseignant qui veut continuer à pratiquer un enseignement traditionnel et qui a fait ses preuves, quand il est seul dans son école ? Sachez que peu d’enseignants de moins de quarante ans sont encore capables de faire une analyse grammaticale de phrase proposée aux élèves de CM1 en 1960. Quant aux jeunes professeurs des écoles ils n’en ont même plus la notion. En effet la grammaire enseignée il y a trois décennies a bel et bien disparu, or je reste convaincue que cette formation était parfaite pour développer la capacité à analyser qui fait tellement défaut maintenant. Je suis désespérée car je sais bien que le problème me dépasse. Nous n’avons aucune réponse satisfaisante venant de nos supérieurs, bien au contraire ils sont cyniques. Ils n’hésitent pas à retourner leur veste quand nous les interpellons, niant nous avoir menés à cette situation depuis trente ans.

J’ai assisté aux réunions du grand débat : cela était scandaleux : 6 parents étaient présents pour une centaine d’enseignants le premier samedi et 1 parent pour 25 enseignants le deuxième samedi; ceci dans une ville de 20000 habitants. Cela a bien été orchestré par l’inspection qui avait donné le mot d’ordre de n’inviter que les parents du comité d’école. Messieurs les Directeurs, d’une docilité exemplaire ou d’un aveuglement terrifiant, n’ont pas vu l’atteinte épouvantable à la démocratie.

Au cours de ces réunions le consensus entre enseignants n’était pas évident. Notre hiérarchie a bien réussi à nous diviser depuis quelques décennies. Entre un instituteur de 20 ans d’expérience et un jeune professeur des écoles de 7 ans d’ancienneté qui gagne autant, sinon plus, il n’y a aucun point commun. L’un est aigri et traumatisé par tout ce qu’il a enduré à cause des caprices de notre hiérarchie. L’autre est forcément moins conscient de ce qui se passe, puisqu’il a déjà subi dans son enfance les affres d’un enseignement de moindre qualité et en plus il est illusionné sur lui-même puisqu’il a une licence ou autre diplôme de même niveau au moins.

La compétence, l’expérience, ne comptent absolument pas dans l’éducation nationale. Pourtant on a dit il y très longtemps : "la pédagogie est l’art d’accoucher les âmes" Un art ne s’apprend-il pas avec du temps et les conseils des anciens ? Non, vous dira-t-on : sur notre planète Education nationale , l’enfant " trouve " tout seul ; nous sommes devenus de simples animateurs et les jeunes professeurs des écoles ont tout ce qu’il faut au sortir de l’IUFM.

C’est pour cela que l’autre jour dans la cour une collègue qui a 2 ans d’ancienneté " a lâché " cette phrase : " j’ai tellement de mal avec les CM2 de Monsieur le Directeur, (elle est remplaçante un jour par semaine) que pour avoir la paix je me suis abaissée à leur faire faire des exercices ! " Comme si cela était une honte de donner des exercices aux enfants, quelle aberration ! Elle s’est investie dans les projets "défis lecture " et autres projets mégalomanes. Il ne faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : je ne critique pas cette jeune femme, je la comprends, tout le monde n’a pas le cran d’une Rachel Boutonnet. Moi-même j’ai plongé, tête baissée, dans le " pédagogisme " au début de ma carrière.

Le système exerce une pression épouvantable sur les enseignants. La totale inefficacité des projets n’est pas le problème, ne sont bien vus que ceux qui permettent de faire fonctionner ce système . Ici on invente un conte en CP, là on correspond avec les Allemands en CE1, là-bas on va peindre au Musée pendant des demi-journées, on fait des fresques, des ateliers cuisines, des journaux d’école, je n’ai rien contre toutes ces activités enrichissantes mais pas pendant les 26 heures de présence à l’école. Nous n’avons plus assez de temps pour travailler à l’essentiel. Sans compter que notre semaine se réduit comme peau de chagrin avec l’apprentissage précoce des langues et autre B2I ( brevet informatique). Depuis quelques années des livres critiquant notre école, des émissions, des statistiques, des études de toutes sortes n’ont de cesse que de remettre en question notre efficacité… mais sourds à ces critiques nos conseillers pédagogiques nous invitent à aller jouer au ballon ou réaliser des parcours d’orientation en conférence pédagogique, comme des adolescents attardés, une seule exigence : la tenue de sport est obligatoire.

Je me demande quand tout cela cessera, mais de plus en plus fréquemment je me dis que c’est voulu. En effet on ne peut mieux faire pour aboutir à la destruction de l’école publique, un peu à la fois les élèves emplissent les écoles privées, notre école publique se saborde. C’est un véritable drame et cela se fait au détriment de plusieurs générations d’enfants et à moyen terme de la démocratie.

F.C.

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