Quelques idées reçues
Annexe au PACTE POUR LA REFONDATION DE L’ECOLE
« Les programmes ne sont pas essentiels pour expliquer les difficultés actuelles »
Il suffit de se pencher sur l’évolution des programmes depuis trente ans, pour comprendre la fausseté de cette opinion. En effet, si l’on procède à cette étude, on constate une chose : les horaires consacrés aux matières fondamentales ont fondu comme neige au soleil ; les contenus eux-mêmes se sont réduits ; la grammaire française a quasiment disparu, les conjugaisons ne sont plus enseignées systématiquement ; de même en mathématiques, en histoire et géographie. Une fois ce constat enregistré, il est clair que la meilleure hypothèse pour expliquer la non-maîtrise des connaissances fondamentales par les élèves, à la sortie de l’école primaire, est tout simplement leur absence des programmes. Lorsque l’on constate une lacune chez un élève, la première démarche de bon sens, avant de recourir à des hypothèses compliquées, consiste à vérifier qu’on lui a enseigné ladite connaissance.
« Il faut choisir entre transmettre des connaissances et préparer la vie active. »
Cette alternative rebattue n’a malheureusement aucun sens. Pour une raison simple : il est absurde de choisir entre le moyen et la fin. Cela revient à s’interroger gravement sur la question de savoir s’il faut apprendre du vocabulaire ou bien plutôt pratiquer la langue… On demande ainsi régulièrement dans les enquêtes d’opinion si l’on doit rapprocher l’Ecole du monde réel ou bien enseigner des connaissances… Mais qu’est-ce qu’approcher le monde réel sinon acquérir les moyens de le connaître et de le comprendre ? Une autre alternative absurde empoisonne beaucoup de débats : celle que l’on a construite entre « la transmission de connaissances » et l’ « apprentissage de l’esprit critique ». Demandons-nous ce que peut signifier un esprit critique fondé sur l’ignorance ? Ces fausses alternatives, utilisées dans les enquêtes d’opinion, créent de fausses oppositions entre les citoyens.
« Les savoirs évoluent, le monde bouge, les connaissances transmises à l’Ecole primaire doivent donc toutes évoluer. »
Cet argument est souvent opposé à ceux qui font remarquer que la grammaire, les conjugaisons et l’arithmétique sont de moins en moins enseignées à l’Ecole. Ce faisant on néglige de considérer la nature particulière des connaissances en question. Il ne s’agit pas de connaissances « parmi d’autres », que l’on pourrait choisir ou non d’enseigner. Elles ne sont pas sur le même rang, ni du même ordre que le latin, la physique ou la musique. Il s’agit des connaissances élémentaires, fondamentales, sans lesquelles toutes les autres sont hors de portée. Elles sont la condition de possibilité de toute activité intellectuelle, de toute pensée, de tout déploiement de la raison et de la liberté, de tout choix éclairé. Savoir lire, écrire, parler, former des phrases et des raisonnements corrects n’est pas un luxe. Aucune évolution d’aucune sorte ne saurait justifier qu’on néglige ces connaissances. Sauf une évolution de l’être humain lui-même, qui renoncerait à être un « animal rationnel ».
« De nos jours, le calcul ne sert à rien, puisqu’on a des calculettes ; il en va de même pour l’orthographe, puisque nous avons des correcteurs automatiques sur les ordinateurs. »
Ce n’est pas parce qu’il existe des prothèses qu’il faut recommander l’amputation. Cela revient à dire qu’il n’est pas nécessaire d’apprendre à marcher, parce qu’il existe des automobiles. Les opérations arithmétiques sont le fondement de toute activité et de tout raisonnement mathématiques. Leur parfaite maîtrise autonome est non seulement importante dans la vie quotidienne et professionnelle (que penser d’un jeune adulte incapable de résoudre un simple problème de proportionnalité ?), mais aussi importantes en soi, pour le développement des capacités d’abstraction et de raisonnement. Il en va de même pour la maîtrise de la langue française et de ses règles.
« Il faut absolument faire de l’informatique à l’Ecole primaire »
Il faut s’entendre sur les mots. Qu’appelle-t-on « faire de l’informatique » ? S’il s’agit d’apprendre la programmation, il est clair que c’est impossible à l’Ecole primaire. Cela suppose acquises les connaissances que l’Ecole à précisément pour mission de transmettre (et quelques autres !). S’il s’agit, comme on s’en doute, de « surfer sur le web » et d’enregistrer des « podcasts », voilà qui est possible, mais guère utile. Ces compétences-là font plutôt partie de ce que les enfants apprennent à connaître en dehors de l’Ecole (et qu’ils connaissent bien souvent en arrivant). S’il s’agit enfin d’apprendre à maîtriser les logiciels Word, Excel, Photoshop et autres, on ne saurait y consacrer beaucoup de temps. Ces compétences sont utiles, mais bien plus tard, et tout esprit normalement constitué les acquiert en quelques heures. S’il est extraordinairement difficile d’apprendre à lire et écrire correctement à 20 ans, il est en revanche très facile d’apprendre à se servir en quelques jours d’un ordinateur, même à 30 ans. Faisons donc les choses dans l’ordre logique où elles doivent se faire.
« Les problèmes actuels sont liés à la massification ; on ne peut pas comparer l’Ecole d’aujourd’hui et l’Ecole des années 60. »
C’est tout simplement faux. L’école primaire est « massifiée » depuis son origine. Tous les enfants vont à l’école primaire depuis au moins cent ans, quelles que soient leur classe sociale, leur origine, leur religion. Dans les années 20, les élèves étaient largement aussi « divers » et « défavorisés » qu’aujourd’hui. Les vraies différences résident dans les manières d’enseigner, les méthodes, les contenus, les horaires, les exigences. C’est à cela qu’il faut s’intéresser. La « nature humaine » n’a pas changé, les enfants ont toujours une immense soif d’apprendre ; c’est l’école qui est devenue moins efficace.
« Autrefois, seule une minorité obtenait le certificat d’études. »
Cet argument est parfois dégainé, en désespoir de cause, par ceux qui constatent que les élèves de CM2 d’aujourd’hui seraient incapables de réussir les épreuves du Certificat d’Etudes Primaires des années 60. Malheureusement, cet argument est controuvé.
Laissons parler les chiffres : dans les années 60, près de 80% d’une classe d’âge obtenaient le CEP – à condition d’ajouter à ses lauréats ceux qui, passés par les filières des collèges et lycées, obtenaient des diplômes plus élevés comme le brevet ou le baccalauréat. Pour se faire une idée exacte de l’évolution du niveau, il faudrait faire passer les épreuves du CEP aux élèves de CM2 d’aujourd’hui, ne serait-ce qu’en français et mathématiques. A ceux qui diront que les élèves d’aujourd’hui savent « autre chose », nous demanderons : que peuvent-ils savoir de plus important, de plus fondamental et de plus nécessaire pour développer leurs capacités intellectuelles que lire, écrire, s’exprimer correctement, construire un raisonnement, résoudre un problème d’arithmétique ?
« Ceux qui critiquent la doctrine officielle sont des réactionnaires »
Cette accusation infamante est habituelle. Ceux qui la portent contre nous –les experts du Ministère- la justifient par le fait que nous nous opposons à des mesures récentes, qui ont été prises au nom du progrès. Dès lors l’affaire est entendue : nous serions pour le passé et contre le progrès. Inutile donc d’examiner nos arguments : nous sommes les méchants, ils sont les gentils.
Pourtant les choses ne sont pas si simples.
Nous ne mesurons pas le progressisme d’une personne à la vigueur de ses intentions affichées, mais aux effets de son action. Or que constate-t-on ?
Au nom du progrès, et d’une conception faussée de l’émancipation de l’homme, les réformes de l’Ecole imposées par la doctrine officielle ont vidé les programmes, diminué les horaires d’instruction, transformé l’Ecole en lieu de vie, et favorisé systématiquement le ludisme au détriment de la transmission des connaissances. Quels sont les effets d’une telle politique ? C’est très simple : le renforcement sans précédent de l’avantage des enfants des classes favorisées sur ceux des classes populaires. Lorsque l’Ecole n’est plus exigeante, les cours privés payants prennent la place. Nous posons donc une question simple : qui est réactionnaire ? Ceux qui veulent revenir sur des réformes catastrophiques qui détruisent l’Ecole, ou bien ceux qui, au nom du progrès, nous ramènent à la société d’ordres de l’Ancien Régime ? Si les mots ont un sens, la réponse est évidente.
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