Que faire face à la décadence du système éducatif français ? (2006)

    C’est la question que se posent les professeurs du réseau SLECC (Savoir Lire, Ecrire, Compter et Calculer) face aux incohérences de l’enseignement actuel. Ils étaient ce week-end à Gien pour faire avancer leurs travaux et aussi soutenir la classe expérimentale de Pascal Dupré, instituteur à l’école du Centre    

C’est un constat accablant qu’ont fait ce week-end les membres du réseau SLECC (Savoir Lire, Ecrire, Compter, Calculer) lors de leurs journées d’études qui se sont déroulées à Gien: « système éducatif français en décadence totale », « déstructuration et incohérence des programmes », « ambitions excessives »et plus encore «prise du pouvoir il y a trente ans d’une coterie qui a imposé une méthode d’enseignement unique et générale dangereuse pour le pays, les familles, etc.» . Et pour eux, les répercussions de ce triste état des lieux vont bien au-delà de la faiblesse du niveau des élèves, la dérive des violences urbaines et les récentes manifestations puisant également leurs sources dans cet échec.
Des propos extrêmement durs et alarmants tenus par des gens compétents qui en ont marre et ne pratiquent pas la langue de bois, comme l’instituteur Marc Le Bris (auteur du livre « Et vos enfants ne sauront pas lire ni compter » chez Stock) ou, à l’autre bout de la chaîne, le professeur d’université Jean-Pierre Demailly, éminent mathématicien membre de l’Académie des Sciences et président du GRIP (Groupement de réflexion interdisciplinaire). Deux exemples parmi tant d’autres comme Rachel Boutonnet, Jean-Paul Brighellli, Guy Morel, Gilbert Molinier, Gilbert Sibieude pour ne citer que les plus connus qui, pour la plupart, s’étaient déplacés à Gien pour faire le point, échanger leurs expériences et offrir des solutions de travail aux enseignants. Et dans un même temps, ils ont apporté leur soutien à l’instituteur giennois Pascal Dupré pour que l’Education Nationale accepte de lui confier une classe expérimentale.

Obtenir tout d’abord le droit d’enseigner

Mais le premier objectif du réseau SLECC est déjà « d’obtenir tout simplement le droit d’enseigner, le droit de faire un problème d’arithmétique dans la classe, le droit de faire une dictée, le droit de noter… Car nous sommes devenus des clandestins, on travaille hors la loi » affirme Marc Le Bris, l’homme sans doute le plus mal noté par sa hiérarchie dans le Finistère alors que ses élèves obtiennent les meilleurs résultats.

Lui n’hésite pas d’ailleurs à parler de « stalinisme:» et «formatage institutionnel des IUFM », l’école de formation de ce que l’on appelle aujourd’hui les professeurs des écoles. Un courant datant d’une trentaine d’années et que l’on appelle « le constructivisme qui considère que l’enfant doit construire son savoir lui-même, tout seul, une méthode inefficace qui peut amener le stress et des souffrances terribles chez l’enfant et chez l’adolescent ». Et l’instituteur breton de poursuivre: « L’école aujourd’hui ne fait plus son travail techniquement » étoffant son discours d’exemples criants aussi bien en français (et sa « fameuse » méthode globale ou idéovisuelle), en arithmétique (où pendant deux ans, on n’apprend que l’addition sans pouvoir la comparer avec les autres opérations), qu’en histoire (où l’on demande à des gamins de CM2 de faire, quasiment: une analyse de la guerre d’Algérie). « C’est stupide et dangereux » estime Marc Le Bris qui regrette parallèlement « le renforcement du système de coercition de tout l’appareil de l’Education Nationale, en particulier dans le primaire ». Et ce n’est pas la loi Jospin de 1989 qui a arrangé les choses, bien au contraire.

De grandes ambitions et le plébiscite des familles

Pour ces professeurs en colère, c’est dans les années 95/96 que le véritable déclin s’est fait sentir et d’ailleurs, les chiffres d’aujourd’hui se passent de commentaires: plus de 20 % des élèves entrant au collège ne comprennent pas ce qu’ils lisent et 38 % ne savent pas faire une opération. En seconde, les évaluations orthographiques sont de plus en plus catastrophiques et c’est pire encore au niveau de la grammaire, Et à l’université,. « c’est aussi un désastre » affirme Jean-Pierre. Demailly qui avoue être obligé de tricher sur la valeur de ses étudiants en mathématiques afin de maintenir les taux de réussite. « Et ces jeunes seront les futurs professeurs de vos enfants alors qu’ils seront incapables de transmettre la connaissance »…; terrifiant!
Mais le pire est que malgré toutes ces évidences, on ne voit pas comment faire bouger cette colossale institution qu’est l’Education Nationale et même les ministres, quand ils tentent de faire quelque chose, finissent par reculer à moins qu’ils ne soient démissionnés, à droite comme à gauche. Alors Marc Le Bris s’interroge en disant: « Comment reconstruire, comment reconstituer la chaîne des compétences ? ».
Paradoxalement, il garde avec ses collègues de grandes ambitions. « Nos travaux actuels vont être diffusés au grand public, notamment sur Internet, et feront l’objet d’un rapport à l’Éducation Nationale. On espère que de nombreux collègues du corps enseignant auxquels on apporte des solutions viendront élargir notre réseau. Et l’on compte également sur l’ouverture prochaine de plusieurs classes expérimentales en France, dont celle de Pascal Dupré qui n’a toujours pas l’autorisation de l’Inspection Académique ».
Un vaste chantier qui demandera sans doute beaucoup de courage et de détermination, mais qui bénéficie aussi d’une puissante motivation: le soutien d’un très grand nombre de parents, de papys, de mamys et de tatas qui équivaut pour Marc Le Bris à « un véritable plébiscite ».

Le retour à certains principes d’enseignement avec la classe expérimentale

Instituteur en CP à l’école du Centre à Gien, Pascal Dupré aura donc peut-être l’autorisation d’ouvrir ce que l’on appelle « une classe expérimentale ». Alors de quoi s’agit-il plus précisément? . « On va revenir en arrière, là où la route avait dévié, en reprenant certains principes de l’enseignement public, mais ce n’est pas de la nostalgie » souligne Pascal Dupré. En résumé, les élèves apprendront de front à écrire et à lire, à compter et à calculer. Ceci à quelques nuances près puisque l’écriture passera avant la lecture, alors que le travail sur la numération se fera en même temps que l’approche des quatre opérations. Plus globalement, l’enseignement sera plus explicite pour les enfants et demandera sans doute plus de rigueur.

Côté pratique, ce ne sera pas très facile dans la mesure où il y a deux classes de CP dans cette école. Il faudra donc faire une répartition équitable et adaptée, « en phase avec mon autre collègue » souhaite M. Dupré qui ne veut surtout pas entrer dans le jeu d’une concurrence malsaine au sein de l’établissement. Et pour lui, il est hors de question que les enfants soient considérés comme des « cobayes », son action étant avant tout « une politique d’ouverture ».

H.LRD

JOURNAL DE GIEN – Avril 2006

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