A notre époque, où les sensations prennent le pas sur la pensée, il faut faire vite pour imposer une image de solidité et de détermination. A cet égard, les premiers pas de notre ministre ne sont guère probants.  

En effet, JMB nous a gratifié d’une rafale d’annonces, comme s’il était nécessaire de bien marquer qu’il marche dans les pas du candidat Macron. La plupart des autres ministres sont restés beaucoup plus discrets.   

Or, la différence essentielle entre JMB et un candidat à la présidentielle, c’est que lui dispose d’énormes moyens pour observer, enregistrer, analyser, réfléchir aux multiples facettes de toute question de l’univers de l’enseignement public et privé. Des milliers, voire des dizaines de milliers de collaborateurs de l’Education nationale sont actifs, compétents et responsables. À chaque question posée, le ministre peut aisément en mettre en marche quelques-uns pour lui apporter les informations du terrain et des éléments de propositions.  

Une période de réflexion serait bien comprise par les enseignants comme par les parents et les autres citoyens. Cela éviterait des annonces prématurées suivies de réactions et de reculs, dans le plus pur style de l’ancien régime, avant la révolution macronienne. 

Des décisions qu’il fallait prendre...  

Il était en effet urgent d’annuler les décisions aberrantes de la précédente ministre prises sur des fondements idéologiques et au déni des réalités. Entre autres : les classes bilingues ou européennes, le retour au latin–grec, le rétablissement du redoublement.  

Cependant un peu de réflexion, alimentée par quelques consultations bien choisies, aurait permis d’améliorer au moins la forme de l’annonce.  

C’est le cas du redoublement. Peut-être aurait-il mieux valu parler de la suppression du passage automatique à la classe supérieure. Le passage en CE1 d’élèves ne sachant même pas déchiffrer l’écrit condamne le CE1. Le passage en 6ème d’élèves ne sachant ni lire ni compter couramment est le sabordage de la 6ème. Une large majorité des enseignants aurait été d’accord avec ces formulations.  

Le redoublement, au sens de refaire à l’identique ce qu’on vient de vivre pendant un an, n’est justifié que pour certains élèves. Pour les autres, il faut analyser la diversité des cas et déterminer les mesures idoines. Puis adapter les structures en conséquence.    

Les rythmes scolaires  

Nous parlons ici des « rythmes scolaires » en rapport avec les activités extrascolaires péniblement mises en place.  

On a aussi parlé de « rythmes scolaires » à propos de l’emploi du temps des élèves (et donc des enseignants). C’est une question distincte, même si la décision de Najat Vallaud Belkacem a entraîné des changements d’emploi du temps  

De quoi s’agit-il ? D’une décision mal préparée, mal exécutée, et d’une illusion scientiste : l’idée que les connaissances en chronobiologie permettraient de déterminer « scientifiquement » le rythme de vie optimal pour, par exemple, 800 000 enfants de 9 ans.  

Le terme de « rythmes scolaires » signe le début d’un mensonge. L’improvisation qui a présidé au lancement, et la pagaille qui en est résultée, ont convaincu l’opinion publique.  

Avant même l’élection présidentielle, la cause était entendue : il fallait arrêter les frais, et ce, dès la rentrée 2017. Accessoirement, alléger les dépenses d’un milliard d’euros de subventions consenties pour calmer les maires (cela n’intéresse guère le public ; cependant JMB, comme tout ministre, doit contribuer à la diminution de notre déficit abyssal).  

Or, ne voilà-t-il pas qu’entre les deux tours de la présidentielle, JMB se rend à un congrès de la FCPE. Acte dangereux, car la FCPE tire son pouvoir de sa capacité à dialoguer avec les ministres. Acte courageux, volonté de prendre le taureau par les cornes et de créer une polémique pour imposer ses justifications, non pas à la FCPE, mais aux citoyens ordinaires ?  

Rien de tout cela ! Au contraire, le ministre a fait des concessions à un tigre en papier. Il a expliqué que tout cela se ferait lentement, petit à petit, qu’il n’entendait pas supprimer mais réformer, et que pour cela on allait prendre le temps d’évaluer cet être fantastique appelé « rythmes scolaires », y compris, tant qu’on y était, en renégociant le calendrier scolaire.  

Naguère, nos amis belges expliquaient que lorsque qu’on ne voulait pas s’attaquer à un problème, on « l’encommissionnait ».  L’évaluation – expression fourre-tout chère à JMB – pourrait rendre le même office.    

Encore faut-il savoir ce qu’on veut évaluer ? On peut certes évaluer le degré d’adhésion des enseignants, des maires, des familles, identifier les acteurs sur le terrain, leur compétence et leur degré de conviction.  

Mieux, on peut s’intéresser au profit effectivement tiré par les élèves de telle ou telle activité développée dans le cadre du programme « rythmes scolaires ».  

Par exemple, telle activité aurait pu avoir pour objectif :
– un meilleur équilibre physique et mental des élèves
– un meilleur équilibre moral, par l’apprentissage du respect des règles, du respect des autres
– ou encore par l’estime de soi résultant de la maitrise d’un domaine non académique
– des progrès dans la maîtrise du savoir et du savoir-faire spécifique à des activités structurées telles que le chant, la musique, le modelage, le travail de la matière, les travaux  manuels, l’expression artistique, le sport, etc.
– une influence indirecte mais vérifiable sur le travail scolaire.  

Cependant, au lieu de s’en tenir aux rythmes scolaires, ne serait-il pas plus profitable de transposer ce travail à partir de la prise en compte des besoins vitaux de beaucoup d’élèves dans des domaines non académiques ? Cela, pour enrichir progressivement la scolarité, avec des adaptations locales nécessaires pour mieux coller aux besoins comme pour mieux mettre à profit les ressources locales en bénévolat.

En quelques jours, le nouveau ministre a beaucoup parlé. Exemples :

« Le pédagogisme est maintenant du passé ».

Belle formule : Le nouveau Ministre est arrivé, et le pédagogisme a expiré. On peut lui donner plusieurs significations :

▪ Le pédagogisme est banni du ministère et des instances dirigeantes de l’Education nationale. Cela implique que les responsables ont été mis au placard (voir notre recension de « Mais qui sont les assassins de l’école ? »)

▪ L’enseignement explicite devient la doctrine officielle ; cela implique l’amendement des Lois Jospin et Fillon.

Cette belle formule occulte les vraies difficultés :

– celle de la liberté pédagogique : tant que le ministre n’aura pas reconnu publiquement la nocivité, pour beaucoup d’élèves, du constructivisme, on ne pourra pas arguer du fait que la liberté pédagogique n’autorise pas n’importe quoi : « primum, non nocere » .

– même « passés », le pédagogisme, le constructivisme, le spontanéisme, le laxisme ont laissé des traces profondes dans l’esprit de beaucoup d’enseignants. Quid d’un « recyclage » impératif ?

– même « passées », ces doctrines mortifères ont profondément perturbé le fonctionnement mental de centaines des milliers d’élèves. Ainsi, pour ceux qui vont entrer en 6ème en septembre 2017, et dont l’ensemble de la scolarité est compromise.

Recrutement de 70 000 volontaires pour l’aide aux devoirs, dans le cadre de la formule « quitter l’école devoirs faits ».  

Ici encore, les médias ont retenu une phrase au détriment de la diversité des problèmes et des remèdes possibles.

Mais c’est la rapidité du ministre qui intrigue. Sans doute pourrait-il dire qu’il connaît les problèmes et qu’il a déjà réfléchi aux solutions. Cependant n’aurait-il pas dû approfondir ses réflexions ? Ainsi, il y a actuellement une aide aux devoirs non négligeable par des bénévoles qui veulent aider des élèves de leur entourage ou du voisinage.   Ces bénévoles se heurtent à une réalité incontournable. Du fait de l’avancement automatique de classe en classe, les élèves en difficulté se voient imposer des devoirs trop difficiles pour eux (contrairement à un principe de l’enseignement explicite : ne demander aux élèves ni exercices trop faciles ni exercices trop difficiles pour eux).  

Souvent, ces élèves manquent des bases élémentaires du fait des pédagogies en vogue en grande section de maternelle, en CP et la suite. La seule mesure efficace serait de repartir à zéro. Mais cela demande de la part des bénévoles un savoir-faire qu’ils n’ont pas car, s’il n’est pas toujours facile d’enseigner un débutant, c’est beaucoup plus difficile s’il faut d’abord extirper de mauvaises habitudes. 

D’autre part, cela n’intéresse pas les élèves. Ce qu’ils veulent, c’est que l’adulte les aide à faire leurs devoirs.

Effectivement à la fin, l’adulte fait le devoir.

70 000 volontaires feront-ils mieux ? 

Dédoublement de certaines classes de CP.

Il s’agit de la reprise d’une promesse électorale qui avait le mérite de la simplicité – et les inconvénients du simplisme. La réalité est plus complexe, et il n’est pas étonnant que des enseignants défendent le dispositif « plus de Maîtres que de classes » dont paraît-il des « évaluations » auraient montré les faiblesses. Lorsqu’un ministre s’exprime, il vaudrait mieux qu’il s’appuie sur du solide, convenablement nuancé.

Nous souhaitons la réussite de JM Blanquer, mais …

nous n’abandonnons pas les propositions présentées dans notre Programme pour l’enseignement obligatoire, publié avant les élections :   

– Objectif : placer en 30 ou 40 ans notre enseignement obligatoire au meilleur niveau mondial (qui sera alors très supérieur à ce qu’il est aujourd’hui).

– Dynamiser l’Education nationale par une concurrence loyale avec le secteur privé que JMB ignore systématiquement ; étendre progressivement dans le secteur public l’autonomie réelle par la promotion de Chefs d’établissement pleinement responsables, et diminuer en proportion le poids de la superstructure.

– Donner à tous, enseignants, parents, élèves, des repères objectifs de la transmission des savoirs de toutes sortes ; confier cette mission à une agence indépendante chargée du contrôle des examens;

– Combler les lacunes académiques et leur insuffisance dans le métier de beaucoup d’enseignants

– Entreprendre des actions vastes et immédiates pour les élèves « naufragés » et « décrocheurs ».

Ces thèmes majeurs semblent absents de l’abondante « communication » de notre nouveau ministre.

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