Pourquoi la réforme du collège passe-t-elle si mal ?

La Ministre de l’éducation nationale s’est efforcée de défendre une énième réforme du système éducatif. Réforme qui, selon la Ministre, traduirait une volonté de personnaliser davantage le collège en s’adaptant aux élèves, à leurs besoins, à leur niveau réel. Il y aurait même 20% du temps qui serait réservé à des heures d’accompagnement personnalisé et à des projets interdisciplinaires censés permettre aux élèves d’apprendre mieux par des biais détournés. Les objectifs visés par les nouveaux programmes sont ceux habituellement affichés : la maîtrise de la langue et la culture mathématique, ainsi que tout ce qui est inscrit dans le socle de compétence.
Si nous lisons rapidement les propositions de cette réforme, et faisons confiance en leurs auteurs (ce qui demande une sacrée dose de foi), il serait possible de voir dans ce projet un effort pour rendre le collège un peu moins unique, et un peu plus adapté à chacun. Les opposants au collège unique, qui s’accordent pour dire que celui-ci a produit un effondrement sans précédent du niveau des élèves, devraient s’en réjouir. Et bien non, ce sont tous les « pédagogistes » qui jubilent et tous les « amoureux du savoir » qui s’opposent. La réaction s’est notamment cristallisée sur l’abandon d’un enseignement structuré et ambitieux du latin et du grec, seules disciplines que  les « pédagogistes » n’avaient pas encore cherché à détruire. Il ne faudrait pas toutefois que la ministre cède sur ce point et que le reste passe comme une lettre à la poste.
La ministre réagit aux caricatures qui sont faites de son projet et manie en retour la langue de bois à merveille. A moins qu’elle ne croie vraiment en la qualité de ce projet, ce qui est possible vu le peu de connaissance qu’elle doit avoir du fonctionnement du système éducatif, de ceux qui le tiennent vraiment et le détruisent à petit feu.

Alors, efforçons-nous d’être objectifs et comprenons pourquoi ce « beau projet » ne passe pas.

–  Sous prétexte de démocratiser l’accès aux langues anciennes, il est donc décidé de donner un vernis de culture à tous plutôt qu’une formation de qualité à 15% des élèves. Le zapping s’étend donc au latin et au grec. La ministre l’a dit clairement : elle n’aime pas l’élitisme et ces cours de latin et de grec étaient à ses yeux le symbole de cet élitisme, bien qu’ils soient justement accessibles dans de nombreux lieux pour les élèves qui souhaitent les suivre. Après avoir déstructuré l’enseignement du français, des mathématiques et de l’histoire, il était temps de s’attaquer au latin et au grec.
–  Pour les mathématiques, « les nouveaux programmes de mathématiques vont construire chez les élèves la culture mathématique nécessaire à la compréhension du monde d’aujourd’hui et rendront l’enseignement des mathématiques plus attractif ».
Il ne s’agit plus de faire comprendre les subtilités des mathématiques aux élèves mais de leur en donner une culture. Cette nuance, appliquée implicitement à toutes les disciplines depuis quelques années, explique pourquoi celles-ci sont si rarement enseignées de manière ambitieuse, structurée et explicite. L’objectif à la mode est de donner un zest de connaissance aux élèves dans tous les domaines, avec des points de repère si faibles qu’ils en finissent par tout mélanger : nous ne pouvons leur en vouloir. Admirons la variété des thèmes de culture zapping avec l’arrivée des EPI (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires) : développement durable ; sciences et société ; corps, santé et sécurité ; information, communication, citoyenneté ; culture et création artistiques ; monde économique et professionnel ; langues et cultures de l’Antiquité ; langues et cultures régionales et étrangères.
–  Mettre de l’autonomie dans l’organisation du temps scolaire, pourquoi pas ? Mais, ce que le projet ne fait pas, c’est d’autoriser chaque établissement scolaire à faire ce qu’il veut de ce 20% du temps qui est enlevé à l’enseignement habituel des disciplines.  Il est évident que les besoins ne sont pas les mêmes d’un collège à l’autre. L’un pourra continuer à enseigner les disciplines à des élèves bien préparés par l’école primaire, l’autre pourra mettre en place un peu d’accompagnement personnalisé pour aider les plus faibles. En imposant des AP (Accompagnement personnalisés) et des activités pratiques interdisciplinaires pendant ce temps, le projet sacralise le principe du collège unique et les idées des « pédagogistes » qui croient avoir trouvé la solution à tous les problèmes de tous les élèves en inventant les AP et les EPI. Que c’est beau une telle capacité à imaginer la solution définitive à tous les problèmes de l’Education Nationale !
–  Imposant aux enseignants de jouer à l’interdisciplinarité, le projet s’oppose frontalement à leur liberté pédagogique qui est pourtant inscrite dans la loi. Cette organisation rajoute du travail à tous, sans que ceux-ci aient été convaincus de son intérêt. Si l’Education Nationale pouvait témoigner d’expériences exemplaires dans ce domaine, qui s’imposeraient comme une solution miracle évidente pour tous les collèges de France, peut-être seraient-ils prêts à tenter l’expérience. C’est tout l’inverse qui se produit : cette organisation est née dans le cerveau de pédagogues auto érigés en expert qui ne croient qu’en leurs idées et se servent d’une vague expérimentation au collège Clysthène, dont l’incapacité à élever le niveau des élèves a été démontrée. En ce moment, un autre modèle de collège porté par la Fondation Espérance Banlieue attire l’attention. Et pourtant, il ne fait rien de ce que cette réforme propose. Fort heureusement, n’étant lié à l’Etat en aucune façon, il pourra continuer son travail de qualité, et se multiplier dans notre pays à la demande des maires qui sont généralement pragmatiques. Dans le même temps,  les collèges publics s’enliseront dans des EPI sans intérêt pour l’instruction des élèves, mais de grand intérêt pour les projets du gouvernement actuel, que Vincent Peillon avait énoncé sans langue de bois : « Le gouvernement s’est engagé à s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités » Lettre aux Recteurs du 4 janvier 2013.
–  Comme toute réforme, celle-ci n’a aucun lien avec les précédentes. Les ministères impriment leurs marques sans tenir compte de ce qu’ont fait leur prédécesseur, ou en le détruisant si possible. Jamais entreprise n’aura été aussi mal gérée et l’on ne peut s’étonner de la voir sombrer. L’Education Nationale teste l’autonomie à la marge mais en décrivant précisément ce qui doit être fait dans ce « temps libre ». Peut-on raisonnablement parler d’autonomie ? Il y aurait autonomie si les collèges qui ne rencontrent pas de difficultés pouvaient poursuivre selon leur organisation actuelle : bien sûr que non, tous devront entrer dans l’ère de l’interdisciplinarité, et en même temps s’il-vous-plait !
Il y a sans doute quelques bonnes intentions dans la réforme du collège mais la méthode n’est pas la bonne. Lorsqu’une institution est aussi mal en point, il faut renoncer aux micro-réformes qui contribuent à la déstabiliser encore un peu plus. Chaque Ministre croit réussir un consensus en écoutant quelques conseillers, chacun espère trouver la solution miracle qui va remettre le système sur pied. Ils n’ont pas compris qu’il était trop tard et que, de profondément injuste, ce système le deviendra encore un peu plus quoi que l’on tente.
La question urgente qu’il faudrait se poser pour redonner du courage aux enseignants qui empêchent par leur dévouement l’effondrement du système public, et fuient par centaines ce bateau proche du naufrage, est celle d’une véritable refondation à long terme, affranchie de toute idéologie politique. Le système scolaire public a besoin d’un plan de redressement sur une période longue, de 15 ans minimum. Pour reconstruire une maison, il faut commencer par les fondations, c’est-à-dire l’école maternelle et l’enseignement de la lecture. Lorsque cette question sera réglée, il sera possible de conduire les enfants de l’école primaire vers des niveaux de connaissance beaucoup plus solides et ambitieux. Alors seulement, le collège pourra retrouver des ambitions sans devoir céder aux sirènes du toujours moins.
Confions à nos derniers humanistes non politisés le soin de repenser les objectifs scolaires, supprimons cette catastrophique évaluation par compétences qui n’est que l’instrument de mesure de la misère intellectuelle et qui découpe le savoir des élèves en micro-connaissances éparpillées et sans cohérence, inventons la diversité des enseignements qui permettra de répondre au besoin de chaque élève, renonçons à faire de l’école un supermarché de savoirs en tout genre en la recentrant sur sa mission première qui n’est pas d’initier les élèves à la citoyenneté et à l’univers numérique, mais de leur donner des clés de compréhension du monde et de l’autre, clés fondées sur des savoirs humanistes, clés sans lesquelles ils n’auront ni liberté de pensée, ni autonomie d’action.
Frédéric PRAT
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