Au moment où prend une nouvelle ampleur le débat sur l’école, ses méthodes, sa nécessaire adaptation, il nous a paru que ce texte extrait d’un entretien avec Laurent Lafforgue, un expert en mathématiques, peut permettre de réfléchir lorsque, entre beaucoup d’autres, est avancé l’argument que les enfants aujourd’hui ont changé, et que les méthodes ne font que d’adapter à de nouvelles réalités. Ce contre quoi nous nous élevons. Car si les conditions de la vie sociale et familiale se sont en effet très profondément modifiées, les besoins fondamentaux de l’enfant, et les processus d’apprentissage demeurent les mêmes. Les conditions d’apprentissage, les étapes à observer, l’effort continu, la concentration de l’esprit, le travail et l’exercice de la mémoire, le besoin pour l’enfant d’être reconnu, d’être entouré et aidé par les adultes notamment par sa famille, de réussir pour poursuivre dans la voie de la connaissance, tout cela est aussi nécessaire que dans le passé.
Un as des mathématiques (Médaille Fields) dit avec simplicité ses difficultés et ce qui l’a aidé à les surmonter
Aussi proposons-nous à vote réflexion ces propos d’un mathématicien éminent, qui dit avec simplicité ses difficultés et ce qui l’a aidé à les surmonter. A méditer, à afficher, à proposer à tous nos enfants. Laurent Lafforgue, mathématicien, a reçu la plus haute distinction qui existe en mathématiques pour ses travaux au carrefour de la théorie des nombres, de la théorie de la représentation des groupes et de l’analyse. Ses conseils donnés pour l’étude des mathématiques s’appliquent en vérité à l’étude de toutes les disciplines.
Que diriez-vous à un collégien ou un lycéen pour lui donner envie de faire des mathématiques?
Je peux seulement donner l’assurance que, si l’on accepte de passer des années à approfondir les mathématiques ou plus généralement les disciplines intellectuelles, malgré leur aridité apparente et en surmontant le sentiment d’ennui, on aura un jour accès à des richesses et des beautés qu’on n’aurait pas même pu imaginer avant. Mais il faut accepter de passer par de longues périodes d’ennui, inhérentes à tout apprentissage. Le problème est que cette difficulté a été encore accrue par l’évidement des programmes, qui a fait disparaître des collèges et lycées toute vraie nourriture intellectuelle susceptible d’intéresser les élèves à l’âge où pourtant il est le plus facile d’apprendre.
Quelles sont à vos yeux les qualités les plus importantes pour réussir en maths au collège et au lycée?
La capacité d’accepter et de surmonter l’ennui. La persévérance. L’amour de la vérité pour elle-même.
Si vous deviez donner deux conseils aux parents pour aider leurs enfants, que leur suggéreriez-vous ?
Jeter à la poubelle le téléviseur et les jeux vidéo de la maison. Valoriser dans l’esprit des enfants et des jeunes les choses intellectuelles pour elles-mêmes (et non pas seulement pour les bonnes notes). Faire que les enfants et les jeunes respectent l’autorité des professeurs (plutôt que de ruiner cette autorité, comme c’est le cas à mon avis chez beaucoup de parents aujourd’hui, quand par exemple ils font une montagne d’une erreur qu’un professeur aura faite une fois – comme si c’était grave- ou quand ils prennent le parti des enfants en cas de conflit avec un professeur).
Étiez-vous bon élève au collège?
Oui, j’étais très bon élève. Ce qui ne veut pas dire que tout était facile pour moi. Je n’avais et n’ai toujours aucune disposition particulière pour les mathématiques, j’ai un esprit paresseux et lent, et si j’ai fait mon chemin dans la voie particulière des mathématiques, c’est presque uniquement parce que, dans ma famille, j’ai trouvé les conditions et principes dont je viens de parler. Un élève qui trouve que les choses intellectuelles sont difficiles doit savoir qu’en vérité elles ne sont faciles pour personne, que cette difficulté est normale, que ces choses intellectuelles sont pour lui autant que pour les autres, et qu’avec de l’attention et du travail il a les moyens de les faire siennes, jusqu’au plus haut niveau.
Propos recueillis par M.B. dans Le Monde de l’Education – Septembre 2004