PAUSE

Susan  MAUSHART
Ed.NiL – 2011

 

Comment concilier les études, la vie familiale, et l’envahissant "numérique" ?

 

L’auteure, Américaine, est docteur en sociologie et journaliste.
Elle est aussi mère de trois adolescents. Inquiète, comme beaucoup de parents, de voir ses enfants entièrement dépendants des multiples formes du « numérique », elle constate, à partir de l’acquisition d’un smartphone, qu’elle-même devient véritablement esclave,  jour et nuit, de ces appareils, au point de ne pouvoir sortir de chez elle pour un court déplacement sans une oreillette diffusant de la musique.
 Sociologue, elle a aussi constaté que ses enfants, «  natifs du numérique », (elle se voit elle-même comme "immigrée du numérique"), s’y trouvent comme des poissons dans l’eau, ce monde virtuel envahissant leur conscience au détriment du monde réel, de la vraie vie, "vv",  comme ils disent en se moquant.
Ils semblent, à 16 ans, inaptes aux activités pratiques les plus banales, qui leur sont épargnées car il leur suffit d’appeler immédiatement leur mère, à l’aide, grâce au miracle des mobiles. Par exemple, ils ne voient pas l’intérêt de fixer et de respecter un rendez-vous. Ils se contentent de prévenir par un message au moment qu’ils jugent bon. Ainsi ils se libèrent l’esprit et se simplifient l’existence, en compliquant celle de leur mère. 
Susan Maushart constate que la vie de famille disparaît progressivement, chacun restant dans sa bulle, même lorsque tous se trouvent réunis à la maison.
Évitons de voir le tableau ainsi esquissé comme typique d’une famille américaine aisée. Car les statistiques montrent que les enfants et les adolescents de ce type sont déjà largement majoritaires aux USA. Nous savons par expérience que ces comportements  deviennent aussi majoritaires en France quelques années plus tard. 

    

Une expérience : six mois sans numérique

Par réflexe professionnel, Susan Maushart a consulté les études et écrits sur ce sujet. Cela lui a donné l’idée de publier un ouvrage basé sur le comportement de ses enfants.

Elle a alors conçu ce qu’elle appelle L’Expérience, consistant à vivre six mois sans médias électroniques : pas de télévision, de mobiles, de répondeur téléphonique, d’ordinateurs et d’Internet, de lecteurs MP3, de Nintendo, de Smartphone, de Facebook, de Twitter et autres.
Ces six mois seraient une cure de désintoxication numérique, pour ses enfants mais aussi pour elle-même. Ainsi, elle s’obligerait à écrire ses articles à  la main, et s’interdirait les recherches sur la Toile pour les composer.
Bref, quelque chose comme quitter le monde civilisé pour aller vivre dans une forêt ou un désert.

Pour faire bon poids, elle a aussi décidé de commencer l’Expérience par 15 jours sans électricité : pas d’éclairage ni de machines.
Début de l’expérience : 3 janvier 2009. Le 18 janvier, l’électricité revient, suscitant l’enthousiasme des enfants !
Privés de drogues numériques, les enfants  découvrent l’ennui, stimulant naturel forçant à penser par soi-même et à trouver des occupations actives (actuellement beaucoup de parents estiment de  leur devoir de distraire leurs enfants, qui finissent par stresser par excès de distractions).
Au fil des six mois, après les récriminations initiales, la mère a vu ses enfants se comporter autrement et par exemple

– se remettre au saxophone, abandonné depuis la marée de musique numérique
– cuisiner
– participer vraiment aux repas en famille
– jouer à des jeux antiques,  datant d’avant leur naissance,  jeux non électriques ni électroniques
– s’entretenir avec des personnes présenets, « en face-à-face, et non en face à Facebook » 
– lire de vrais livres, de plus en plus consistants
– travailler en mode monotâche, une seule chose à la fois, en se concentrant sur ce que l’on fait. 
Les caractères s’adoucissent, grâce au retour du sommeil, qui auparavant  pâtissait des séances numériques et des communications nocturnes.
Une vraie vie familiale s’établit ; les résultats scolaires s’améliorent.
Ainsi est fournie une preuve que, malgré de graves symptômes de dépendance, l’esclavage numérique n’est pas aussi dangereux que l’accoutumance aux drogues ; il est plus facile de s’en libérer, avec de la volonté et de l’entr’aide. 
Cependant nous ignorons si, parvenus à l’âge adulte, les natifs du numérique sauront  s’émanciper. Ce que l’on sait des abus de distractions numériques dans le milieu professionnel n’est pas encourageant.

Le numérique et la scolarité.

Naturellement, Susan Maushart a consacré une large part de son ouvrage aux études des enfants natifs du numérique. Elle observe qu’ils étudient comme ils vivent, avec le numérique, sans voir la différence entre les études et le reste. 
À la maison, ils font leurs devoirs, non seulement en musique,  mais en multitâche, l’étude n’étant qu’une tâche parmi d’autres. Ouvrir dans son écran d’ordinateur plusieurs fenêtres , mener plusieurs conversations, sont choses courantes lorsqu’on fait ses devoirs, même chez les écoliers plus jeunes.

Lorsqu’une immigrée du numérique s’en étonne, les réponses sont sans équivoque : "notre cerveau est différent, il nous permet de faire plusieurs choses à la fois".
Affirmation corroborée par certains experts: "les enfants sont plus aptes que nous à basculer d’une tâche cognitive à une autre; ils sont ainsi préparés à ce que sera leur travail à l’avenir ; d’ailleurs leur QI est supérieur à celui de leurs devanciers"
Leur mère ne devrait donc pas s’étonner que des professeurs autorisent les IPod en classe.  Elle s’étonne quand même de la légèreté du savoir de ses enfants, ce à quoi les élèves, et sans doute leurs professeurs, répondraient que les élèves savent ce qui leur sera utile dans le monde numérique, puisque tout est  et sera  sur Internet dans le nuage ("cloud").
D’autres experts, armés d’autres études, rétorquent que le multitâche n’existe pas : notre cerveau  travaille de façon séquentielle, d’une  chose à l’autre. Chaque tâche exige plus de temps lorsqu’elle est fractionnée de façon plus ou moins aléatoire en mode multitâche.
Enfin, même si des séquences courtes et  rapides peuvent donner l’illusion d’une vue synthétique, on perd en profondeur ce que l’on gagne en surface : un savoir superficiel. Certes notre cerveau peut saisir l’ensemble d’un tableau, mais, pour aller plus loin, nous devons nous concentrer sur une particularité du tableau.
Quant au QI,  on conçoit qu’il soit supérieur à celui de personnes qui, dans leur jeunesse, ont vécu dans un environnement sans grands stimulants intellectuels. Pour leurs successeurs, le numérique provoque  des stimulations suscitant  des associations d’idées et des réactions rapides. Cela pourrait avoir un effet positif sur le QI, malgré la pauvreté des contenus. Mais, pour ceux qui ont eu et ceux qui ont encore le bénéfice d’une bonne instruction, multipliant dans le jeune âge les connexions entre neurones, le bénéfice de la fréquentation du numérique doit être moindre. C’est une hypothèse à  vérifier.
Ce livre, facile à lire, est un jalon dans la réflexion collective, qui ne fait que commencer, sur le bon emploi du "numérique".

Citation: "Les natifs trouvent notre comportement hilarant. Eux ne sont pas plus effrayés par les nouveaux médias qu’ils ne le sont par une nouvelle paire de chaussures de jogging. Ils sautent dedans à pieds joints, hop, et partent en sprint. Pendant que nous nous débattons pour régler la date et l’heure du nouvel appareil, ils ont déjà customisé la sonnerie avec des effets sonores adaptés à la saison, bidouillé un petit clic vidéo et installé en fond d’écran une photo du carlin en train de se soulager au milieu du jardin.
Nous, les immigrants numériques, nous travaillons dur à l’acquisition de notre seconde langue…"

   



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