Le nouveau régime des sanctions et punitions
Ainsi, le décret du 30 août 1985 relatif au fonctionnement des établissements publics locaux d’enseignement a fait depuis sa parution l’objet de plusieurs ajouts qui ont soit modifié profondément le texte en vigueur, soit exigé des établissements qu’ils apportent des modifications à leurs règlements intérieurs, jusqu’à imposer dans le détail le régime des sanctions et des punitions.
Le « Bulletin officiel de l’éducation nationale » spécial n° 8 du 13 juillet 2000 a publié deux décrets et deux circulaires en ce sens.
Le premier décret (n° 2000-620 du 5 juillet 2000 paru au Journal officiel du 7 juillet 2000) exige ainsi que dans les établissements de l’enseignement secondaire le règlement intérieur comporte un chapitre consacré à la discipline des élèves.
« Les sanctions qui peuvent être prononcées à leur encontre vont de l’avertissement et du blâme à l’exclusion temporaire ou définitive de l’établissement ou de l’un de ses services annexes. La durée de l’exclusion temporaire ne peut excéder un mois. Des mesures de prévention, d’accompagnement et de réparation peuvent être prévues par le règlement intérieur. Les sanctions peuvent être assorties d’un sursis total ou partiel. Il ne peut être prononcé de sanction ni prescrit de mesure de prévention, de réparation et d’accompagnement que ne prévoirait pas le règlement intérieur. »
Les sanctions ressemblent furieusement à celles que peut subir un fonctionnaire en application de la loi de janvier 1984 et de celle de juillet 1983 relatives à la fonction publique et aux droits et obligations des fonctionnaires. Autrement dit, les élèves sont de plus en plus assimilés à des citoyens et à des fonctionnaires, c’est-à-dire qu’on considère de façon de plus en plus claire qu’ils sont égaux aux professeurs.
Le nouveau décret ajoute « Toute sanction, hormis l’exclusion définitive, est effacée du dossier administratif de l’élève au bout d’un an ». On remarquera que les sanctions qui touchent le fonctionnaire ne sont effacées qu’au bout de trois ans !
LES PRINCIPES : COMMENT FAIRE DIMINUER LES ACTES DE VIOLENCE ?
Une circulaire (n° 2000-105 du 11 juillet 2000) examine longuement l’organisation des procédures disciplinaires dans les collèges et les lycées.
Le préambule de cette circulaire commence par une constatation inexacte : « Les équipes éducatives éprouvent des difficultés sans cesse accrues pour porter remède aux comportements inadaptés et parfois violents de certains élèves ». En effet, les équipes éducatives n’éprouvent pas des difficultés sans cesse croissantes. Mais ce sont bien la violence et les comportements inadaptés (comme le mot est joli, pour dire que les élèves en question ne sont pas du tout à leur place dans les établissements scolaires) qui vont sans cesse croissant.
Le préambule comporte également une phrase typique de la langue de bois actuelle : « Les exclusions sont de plus en plus nombreuses. Il convient donc de pouvoir mettre en oeuvre des dispositifs mieux adaptés, pour répondre à ces comportements ». Ce qui en bon français signifie que le ministère souhaite qu’on ne prononce plus autant d’exclusions et annonce des dispositifs qui vont réduire leur nombre !
ELEMENTAIRE : EN NE LES SIGNALANT PLUS !
Suit une autre phrase tout aussi typique, mais qui est beaucoup plus claire :
« Il a paru utile de renforcer les réponses apportées par les établissements à ces difficultés, en vue d’éviter un recours systématique aux procédures de signalement à la justice qui, à terme, risquent de ne plus produire les effets escomptés ».
« Avant toute décision à caractère disciplinaire, il est impératif d’instaurer un dialogue avec l’élève et d’entendre ses raisons ou arguments. La sanction doit se fonder sur des éléments de preuve qui peuvent faire l’objet d’une discussion entre les parties. La procédure contradictoire doit permettre à chacun d’exprimer sont point de vue, de s’expliquer et de se défendre. Toute sanction doit être motivée et expliquée ».
Autrement dit, si un professeur à la suite d’une injure, d’une insulte, d’une agression même physique, veut donner une sanction à un élève, il ne peut le faire que s’il a des preuves à produire. Quelles preuves sinon la plupart du temps des témoignages écrits d’au moins deux … élèves ? Et le professeur injurié ou insulté ou bousculé pourra-t-il disposer de ces témoignages à l’appui des sanctions qu’il aura demandées ? Sinon, ne risque-t-il pas de se voir poursuivi pour dénonciation calomnieuse ?
LES SANCTIONS : LE PROFESSEUR MENACE DE POURSUITE POUR VOIE DE FAIT !
Les sanctions possibles sont l’avertissement, le blâme, l’exclusion temporaire qui ne peut excéder un mois et l’exclusion définitive avec ou sans sursis. Il faut noter la très grande importance de la menace suivante : « Toute mesure qui a pour effet d’écarter durablement un élève de l’accès au cours et qui serait prise par un membre des équipes pédagogique ou éducative en dehors des procédures réglementaires décrites dans la présente circulaire est assimilable à une voie de fait susceptible d’engager la responsabilité de l’administration ».
Beaucoup de nos collègues parfois exaspérés par les agissements d’un élève « le mettent à la porte », c’est-à-dire qu’ils lui demandent littéralement de sortir et de rester derrière la porte, devant la salle de classe, jusqu’à ce qu’ils l’autorisent à rentrer ou même jusqu’à la fin de l’heure. Une telle décision si elle est humainement compréhensible est tout à fait dangereuse, car si cet élève se blesse ou s’enfuit, le professeur en porte l’entière responsabilité. De même, si un professeur refuse d’accepter dans son cours un élève tant qu’il n’aura pas présenté ses excuses pour une grossièreté qu’il aura proférée peut tomber sous le coup de « voie de fait ». Il convient donc désormais d’être extrêmement attentif et, plutôt que de faire sortir un élève, de rédiger un rapport circonstancié et immédiat au chef d’établissement.
CONCLUSION : EST-CE VRAIMENT LA VOCATION QU’IL FAUT AVOIR DESORMAIS OU LE GOUT DU MARTYR ?
La lecture de ces textes ne peut laisser qu’un goût amer aux professeurs : on prend le pari que s’ils étaient communiqués aux futurs candidats au métier, et surtout étudiés avec soin, ils décourageraient nombre d’entre eux à se présenter aux concours de recrutement. Car ils comprendraient qu’ils ont désormais plus à redouter qu’à attendre de ce métier à risques.
Frédéric Eleuche
Extraits de la Revue du Syndicat national des lycées et collèges
Texte intégral sur www.snalc.asso.fr