Ne crions pas victoire (2006)
Les déclarations de Gilles DE ROBIEN ont relancé de façon spectaculaire la question des méthodes d’enseignement de la lecture.
Une étape, sans doute irréversible, a été franchie. Mais ce n’est pas la victoire, qui ne viendra que lorsque tous les enfants seront à l’abri de la maltraitance pédagogique, et que ceux qui en ont souffert depuis des décennies auront été secourus, dans la mesure où c’est possible. Pour en arriver là, le chemin est long et bien du temps sera nécessaire. Il faudra reprendre complètement la formation des futurs instituteurs, et celle de beaucoup de maîtres qui ont été victimes des théories dominantes. Il faudra supprimer le tout ce qui s’apparente à la méthode globale en grande maternelle et développer ce qu’on peut appeler le préapprentissage de la lecture. Il faudra évidemment étendre au-delà du CP les changements annoncés. Il faudra aussi les étendre au-delà de la lecture et de l’écriture, et particulièrement en calcul.
Cela passera nécessairement par la restauration des programmes, des objectifs, et des ambitions de l’enseignement primaire, rompant le cercle vicieux dans lequel les pédagogies imposées d’en haut entraînent une baisse du niveau que l’on traduit dans l’abaissement des programmes et des examens, et ainsi de suite.
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Qu’une étape ait été franchie, nous le constatons dans nos contacts avec les profanes en la matière, qu’il s’agisse de parents ou de "politiques". Il y a quatre ans, notre discours se heurtait à l’incrédulité : les parents pouvaient douter des aptitudes de leurs enfants, de la compétence des maîtres, mais pas des conceptions en honneur à l’Education Nationale. Maintenant, on nous demande d’expliquer comment on a pu en arriver là où nous en sommes.
Dans ce changement de l’opinion, nous pensons être pour quelque chose. Nous, c’est-à-dire les animateurs et bénévoles de notre association, et vous, qui nous encouragez par vos témoignages. Mais ne nous donnons pas le ridicule de nous en attribuer tout le mérite. Des personnalités éminentes se sont battues pendant des années. Mais face aux dirigeants de l’Education Nationale, elles se heurtaient à un mur : le mur de la DESINFORMATION, conduite avec les énormes moyens de l’Etat et avec la complicité ou la passivité du pouvoir politique.
Pendant longtemps, la désinformation a consisté à nier les problèmes, à refuser d’en débattre publiquement. Le mur n’a commencé à se fissurer que lorsque quelques instituteurs courageux ont décidé de sortir de la clandestinité. Alors les tenants du statu quo ont été obligés de se justifier.
Les déclarations du ministre ont ouvert une nouvelle brèche dans le mur. Mais la désinformation continue, et l’on oppose au ministre les mêmes griefs et les mêmes arguments ressassés depuis des années.
Ainsi, on n’aurait pas imaginé que, dans les derniers jours de 2005, quelqu’un oserait affirmer que la méthode globale n’est pas utilisée…
… ou que la méthode alphabétique n’est pas performante, car lorsqu’elle était couramment utilisée, beaucoup d’enfants déchiffraient sans en comprendre le sens.
… ou aussi bien que la méthode alphabétique (ou syllabique) ne convient pas car les enfants ont changé (elle convenait donc avant ?)
… que d’ailleurs ses défenseurs sont des demeurés, partisans du grand saut en arrière.
Cependant, l’argument le plus répandu consiste à affirmer purement et simplement que la méthode alphabétique, si elle était généralisée, n’obtiendrait pas de meilleurs résultats, et ceci pour la raison (soi-disant scientifiquement démontrée !) que les échecs ont pour cause le milieu social, et qu’ils sont inévitables, si l’enfant, avant d’aborder la lecture, ne dispose pas d’un vocabulaire suffisant.
C’est entretenir la confusion entre des problèmes de natures différentes.
Qu’il y ait relativement plus d’enfants en difficulté de lecture dans les milieux défavorisés est très probable, et cela pourrait demeurer après la généralisation de l’alphabétique, tant que les moyens du soutien scolaire ne se
t pas alloués avant et pendant le CP au lieu de l’être après. Mais cela ne veut pas dire qu’il y aura autant d’enfants en difficulté avec l’alphabétique. Au contraire, on aura éliminé non pas toutes, mais une des causes majeures d’échec.
En effet, toutes les études comparatives menées dans des pays étrangers nombreux et très différents les uns des autres (car en France, et sous l’égide de l’Education Nationale, il n’a jamais été question d’études comparatives rigoureusement conduites) montrent que les méthodes alphabétiques obtiennent de meilleurs résultats particulièrement dans les milieux sociaux défavorisés.
De plus, les témoignages que nous recevons, et dont nous avons publié quelques-uns, prouvent que le départ global cause des dégâts dans tous les milieux sociaux, et même dans les familles d’enseignants. Invariablement, le recours à l’alphabétique améliore la situation.
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Nous devons donc persévérer, et encourager Gilles DE ROBIEN à persévérer lui-même.