Une nouvelle avancée de la pédagogie ‘scientifique’ : apprendre à lire et à écrire par les MÉTHODES INTÉGRATIVES (2005)

Roland GOIGOUX, professeur des Universités, Directeur d’un laboratoire de recherche sur l’enseignement, et penseur attitré de l’Education Nationale, a publié le 2 septembre dans LIBERATION un article intitulé « Global, syllabique ou autres, les méthodes d’apprentissage de la lecture ont fait la paix. La guerre des méthodes est finie »
Nous présentons ci-après des extraits de l’article en question, et deux réactions : celle du Docteur Ghislaine WETTSTEIN-BADOUR, dont les travaux font référence, et celle de Frédéric PRAT, directeur de l’association JEUNE PLUS, qui vient en aide aux enfants des quartiers

La guerre des méthodes est finie (Roland GOIGOUX)

On trouve aujourd’hui moins de 10 % d’instituteurs qui utilisent des méthodes syllabique, globale ou mixte. Rappelons que cette dernière, majoritaire dans les années 60, n’était qu’une simple juxtaposition des deux précédentes (une brève phase de mémorisation de mots suivie d’une longue étude syllabique) ; elle a quasiment disparu sous cette forme et c’est une erreur de conserver le nom de «mixte» pour désigner tout ce qui n’est ni syllabique ni global.

L’immense majorité des 35 000 instituteurs chargés de l’apprentissage initial de la lecture utilisent d’autres méthodes, forgées progressivement dans les pays francophones au cours des trente dernières années. Ces nouvelles méthodes, qui sont cohérentes avec les principaux résultats des recherches scientifiques récentes, prennent appui sur des albums de littérature de jeunesse ou, le plus souvent, sur des manuels que les éditeurs diffusent sous des noms de marque : Abracadalire, Crocolivre, Gafi, Ribambelle, etc. Si elles ont fait la preuve de leur efficacité, elles présentent cependant un défaut majeur, celui de n’avoir pas de nom, pas même un qualificatif qui permettrait de les regrouper et de les distinguer des trois précédentes.

Pour palier ce manque, nous proposons de qualifier ces méthodes d’«intégratives», parce qu’elles visent à développer simultanément, et en interaction, toutes les compétences requises pour lire et écrire. Les méthodes intégratives se distinguent donc à la fois des méthodes syllabique et mixte, qui se consacrent exclusivement au déchiffrage des mots (B + A = BA) et de la méthode globale qui retarde ou rend aléatoire l’étude des relations entre lettres et sons (voire l’interdit pour les méthodes idéovisuelles des années 80 dorénavant prohibées par les programmes scolaires).

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Les méthodes de lecture ont dû évoluer parce que les exigences de la scolarité primaire se sont accrues et qu’on ne se contente plus, comme il y a trente ans, de former une minorité de bons lecteurs, seuls capables de suivre une scolarité longue. Les résultats des évaluations nationales et internationales montrent que l’école française y réussit relativement bien.

À l’entrée au collège aujourd’hui, les deux tiers des élèves, ceux qui décrocheront le baccalauréat huit ans plus tard, sont d’excellents lecteurs qui accèdent à une compréhension fine des textes, sachant lire l’implicite entre les lignes ; c’est un progrès significatif, même s’il reste insuffisant, que l’on doit à la rénovation de l’enseignement de la lecture, de la maternelle au cm 2.

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Ceux qui réclament aujourd’hui le retour des méthodes syllabiques, avec des arguments idéologiques touchant au sens de l’effort et à la nécessaire austérité des apprentissages, n’ont souvent affaire qu’à des élèves issus de milieux sociaux favorisés : ils veulent réduire l’enseignement de la lecture au seul déchiffrage car ils savent que les familles de ces élèves peuvent transmettre elles-mêmes toutes les autres connaissances.

Si certains parents de milieux populaires se joignent parfois à eux, c’est pour de tout autres raisons : ils ont du mal à comprendre les méthodes utilisées avec leurs enfants et ne savent pas comment aider ceux-ci efficacement.

Dans les deux cas, un effort accru de communication entre l’école et la famille est indispensable. Il doit s’accompagner d’un discours clair et honnête sur les erreurs ou les outrances qui ont parfois accompagné la mise au point des méthodes intégratives. Par exemple, lorsque la valorisation d’activités de découverte d’ouvrages de littérature de jeunesse Ñ par ailleurs passionnantes et indispensables Ñ s’accompagnait d’une diminution excessive des exercices visant l’acquisition et l’automatisation du déchiffrage. L’augmentation significative du recours aux orthophonistes était l’un des révélateurs de cette insuffisance.

La guerre des méthodes a fait long feu

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Il est donc urgent de consacrer les efforts et l’intelligence de tous à la résolution des problèmes qui demeurent sans réponse : comment mieux prendre en charge les 4 % d’élèves en grande difficulté qui, selon les données ministérielles d’octobre 2004, terminent leur scolarité primaire sans savoir lire ? Comment améliorer les performances de ceux (12 %) dont les compétences en lecture sont insuffisantes à la sortie de l’école élémentaire pour leur permettre d’envisager des études secondaires avec confiance ?

NB. Les expressions soulignées dans le texte l’ont été par lire-ecrire.

NDLR – Concernant les évaluations et leur degré de fiabilité, signalons que le 5 septembre dernier se trouvaient sur le site du ministère les textes des épreuves destinées aux évaluations nationales en entrée en CE 2 et en 6 e, et leur correction. Retirés du site mardi 6 septembre, après l’émotion suscitée par cette situation,, ils ont pu être néanmoins téléchargés par de nombreux internautes.

Lorsque la créativité sémantique tient lieu d’argumentation (G.WETTSTEIN-BADOUR)

La guerre des méthodes a fait long feu car, selon l’auteur (R.GOIGOUX ndlr), moins de 10% des 35000 enseignants de CP utilisent encore des méthodes syllabiques, mixtes ou globales qui sont toutes en voie de disparition.

Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, 90% donc, tout aussi ignorants, utilisent d’autres méthodes comme celles citées par l’auteur : Abracadalire, Crocolivre, Gafi, Ribambelle, etc dont il estime le plus sérieusement du monde que « si elles ont fait la preuve de leur efficacité, elles présentent cependant un défaut majeur, celui de n’avoir pas de nom, pas même un qualificatif qui permettrait de les regrouper et de les distinguer des trois précédentes »

C’est pour combler ce qu’il considère comme une grave lacune que notre universitaire créatif propose de leur attribuer enfin le nom qu’elles méritent à ses yeux. ! C’est ainsi que le 2 septembre 2005 marquera dans l’histoire des pédagogies la naissance des « méthodes intégratives » qui sont d’ailleurs, nous affirme l’auteur, les seules qui existent depuis de nombreuses années alors que les autres ont pratiquement disparu du paysage !

Et voilà !, il suffisait d’un zeste de créativité sémantique pour que les Abracadalire, Crocolivre, Gafi, Ribambelle…etc…, puissent poursuivre sans obstacle leur brillante carrière !

Mais brillante pour qui ? Pas pour les élèves en tous cas si l’on regarde année après année les résultats en début de classe de 6 ème des évaluations faites par le ministère

Voici ceux de la rentrée 2004 (ils sont publics et peuvent être consultés sur le site web du ministère) :

-item « maîtriser les outils de la langue pour lire » : 42,5 % n’ont pas acquis cette compétence

-item « maîtriser les outils de la langue pour écrire » : 53% n’y parviennent pas

-item « produire un texte » : 39,5% en sont incapables !

Serait il possible, vu leur ancienneté, que les méthodes « intégratives » chères à notre grand maître aient quelques responsabilités dans les performances désastreuses des élèves de 6 ème affichées par l’administration dont il est un membre éminent ?.

A vrai dire, il reste à notre magicien un petit effort à faire pour évacuer cette question iconoclaste ; il lui suffit de « casser le thermomètre » des évaluations ou d’en créer un autre plus complaisant permettant de valoriser comme il sied aux yeux de l’opinion sa « révolution culturelle ».

Je ne serais pas étonnée que ce soit l’un de ses prochains chantiers !

Lettre à R.GOIGOUX (Frédéric PRAT)

Vous affirmez que certains parents des milieux populaires veulent des méthodes syllabiques pour leurs enfants parce qu’ils ne comprennent rien aux méthodes de lecture. Il y a là un mépris inacceptable envers ces parents que je connais bien et qui ne sont pas tels que vous les imaginez depuis votre centre universitaire. Si aujourd’hui les parents réclament la syllabique à cor et à cris, frustrés car obligés de faire profil bas, c’est parce qu’ils savent que ça marche mieux que toutes les autres sauces cuites et recuites que l’on ne cesse d’inventer.

Abracadalire, Crocolivre, Gafi, Ribambelle représentent tout ce que les parents ne veulent plus voir dans les mains de leurs enfants. Ils veulent du Boscher ou du Leo Lea, et lorsque les instituteurs ne les leur donnent pas, les parents les achètent eux-mêmes.

On peut supposer que vous croyez au bienfait de rassurer les parents en affirmant que tous les problèmes sont réglés. Cela peut avoir un effet bénéfique mais si c’est construit sur le mensonge, ça ne peut pas tenir longtemps.

Voici un extrait éclairant des propos de Jean Hébrard, inspecteur général de l’Education Nationale pour l’enseignement primaire et expert en lecture, prononcées lors d’une journée d’étude de l’ONL (Observatoire National de la Lecture ), en janvier 2004 suite aux inspections partielles des CP :

« Un autre problème concerne le déchiffrage. Pourquoi les maîtres ont-ils tant de mal ? Les inspecteurs généraux visitent en ce moment des CP pour des leçons de lecture : on ne montre pas le déchiffrage. Pourquoi ? Parce que cela ne serait pas intéressant intellectuellement. Cela nécessite de la répétition. IUFM et équipes de circonscription doivent renverser la tendance. Il faut rendre intéressante l’identification des mots. »

En un an, tous les problèmes pointés par Jean Hébrard seraient donc, d’après vous, résolus. Chapeau, l’Education Nationale. On n’était pas habitué à une telle réactivité !

Monsieur Goigoux, cessez de nous mentir. En agissant ainsi, vous enfoncez les enfants des milieux défavorisés, vous leur interdisez d’avoir un jour accès à une lecture de qualité, vous faites le jeu des enfants favorisés dont les parents sont suffisamment informés pour ne pas se laisser berner par vos propos.

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