Méthodes d’apprentissage de la lecture (suite 5)

25 – Observations sur les comparaisons.

251 – Départ global et départ alphabétique.
Quand devrait prendre fin le départ global ? Apparemment lorsque l’élève a acquis un « stock » de mots suffisants. Mais pour arriver à 10 000 ou 50 000 mots, le global demande un effort gigantesque.
Ou alors il faut admettre que l’élève sait lire lorsqu’il est capable d’une lecture approximative, en interprétant les mots d’après le contexte, ce qui interdit la maîtrise de textes riches ou abstraits.
Départ mixte : devrait se terminer lorsque l’élève a appris la combinatoire dans tous ses détails, et qu’il est capable de déchiffrer.
Départ alphabétique : pourrait se terminer lorsque l’élève sait déchiffrer toutes les combinaisons graphèmes/phonèmes courantes, de telle sorte qu’ensuite c’est l’entraînement et la répétition qui amène graduellement à la lecture fluide et expressive.
Mais l’impératif d’arriver rapidement, durant le départ global, à des phrases simples pourvues d’un sens, oblige à ajouter aux graphèmes/phonèmes les plus courants, certaines des innombrables exceptions de la langue française. C’est le cas des lettres muettes. De même, il est assez facile d’enseigner que ph se prononce f. Mais cela n’est utilisable qu’en lecture ; en écriture la phonétique ne permet pas de savoir quels mots s’écrivent avec ph.
On enseigne aussi des « petits mots courants » (mot-outils en mixte) qui, en alphabétique, sont soit des exceptions, soit des anticipations par rapport à la progression normale. La différence est qu’en mixte ces petits mots sont appris globalement, alors qu’en alphabétique ils sont épelés et expliqués 

– par exemple « dans » peut être vu en global ou par anticipation du graphème/phonème «an»
 – « est » du verbe être est une exception phonétique,  puisque la prononciation normale est celle du mot ouest.

[En mixte, l’habitude de deviner sans lire les mots précis fait que beaucoup d’élèves, par la suite, emploient indifféremment les mots outils les uns à la place des autres.]
On pourrait donc qualifier la méthode alphabétique de « départ alphabétique ».

252 – Faut-il savoir parler français avant d’apprendre à lire ?
Avec la méthode alphabétique, un non francophone peut apprendre à parler le français simplement en apprenant à lire. En effet, pendant cette phase, le sens de tous les mots lui est expliqué, et on procède de même par la suite pour tous les mots et textes qu’il va rencontrer.
Cela est vrai pour un élève isolé, ou pour une classe de non francophones. Par contre, cela présente une difficulté majeure lorsqu’il s’agit d’élèves mauvais francophones dans une classe de francophones. Car alors le retard à l’entrée en CP en vocabulaire, en connaissance du sens des mots et des tournures de phrases, va croître au lieu de diminuer. Et le travail du maître deviendra très difficile en présence de trop fortes différences dans les niveaux d’instruction.
On pourrait penser à organiser les classes en groupes de niveaux, mais cela supposerait un dispositif de rattrapage du retard dans les classes suivantes.
La solution rationnelle pour les mauvais francophones est donc de rattraper, à la maternelle, leur retard à l’oral en prononciation, vocabulaire et syntaxe, de telle sorte qu’à l’entrée en CP l’écart ait très fortement diminué. Cela suppose la mise en place de moyens spécifiques, qui constituent en réalité un investissement beaucoup plus rentable que les innombrables mesures de soutien qu’il faudra sinon maintenir très longtemps pour certains élèves, sans oublier les frais sociaux du "décrochage" scolaire.
Il en va de même pour l’écriture. Actuellement, des élèves arrivent au CP sans posséder les « habiletés » nécessaires pour écrire, sans être bien latéralisés, sans savoir tenir un crayon, sans avoir développé leur conscience phonémique. Au lieu d’obliger les maîtres de CP à faire ce travail qui retarde le début de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, il faudrait faire en sorte que la maternelle réponde convenablement aux besoins réels des enfants, jusques et y compris le début de la calligraphie.
 
253 – L’exemple anglais.
Le gouvernement anglais a décidé, en 2007 de généraliser la méthode alphabétique, après une série de tests probants et plusieurs années de réflexion.
C’est important, car l’anglais est une langue phonétiquement complexe, qu’on pourrait croire peu propice à la simplicité et à la rigueur originelle de l’alphabétique.
Le gouvernement a doté les écoles des moyens nécessaires pour l’alphabétique, et les inspecteurs ont reçu pour mission d’aider les écoles à progresser, en commençant par celles qui ont les plus mauvais résultats, dont les instituteurs sont alors formés à l’alphabétique.
Le démarrage alphabétique en Angleterre confirme ce que l’expérience avait déjà prouvé aux États-Unis depuis de nombreuses années : l’alphabétique permet aux élèves des milieux défavorisés de réussir aussi bien que les autres.
C’est très important, car les élèves défavorisés n’ont pas la même aide de la part de leurs parents, ni pour l’expression orale, ni pour la lecture. La méthode alphabétique compense donc l’une des grandes inégalités au départ dans la vie.
[En France, nous faisons l’inverse : ce sont les écoles des quartiers défavorisés qui résistent le moins aux pressions des pédagogistes et au constructivisme, alors que dans les autres quartiers la vigilance des parents entrave dans une certaine mesure les innovations désordonnées.]
Ainsi, dans l’hypothèse où, après les législatives de 2012, le pouvoir politique déciderait d’apprendre à lire à tous les élèves avant la fin du CP, la France emprunterait le bon chemin avec près de 10 ans de retard sur l’Angleterre.

Lire la suite : Annexe
 

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