Libres propos : zéro pointé, élève DARCOS !
On accorde le samedi matin aux familles en mal de séjour dans leur résidence secondaire pour les uns ou de shopping chez Ikéa ou Leader Price pour les autres. On pense faire plaisir au passage aux enseignants qui pourront enfin profiter d’un week-end entier pour reposer leurs nerfs fatigués. Mais cette mesure est assortie d’heures de soutien aux élèves en difficulté. Une opération ingérable et à double détente…
Notre système scolaire est basé sur une assez importante masse globale d’heures d’enseignement réparties sur un assez petit nombre de journées de classe. Le bon sens, le corps médical et les chrono-biologistes voudraient qu’on en augmente leur nombre annuel tout en réduisant leur durée journalière… Que n’imitons-nous pas nos voisins européens qui regroupent les matières intellectuelles le matin et en tout début d’après-midi, périodes où l’attention de l’enfant est maximale et laissent la place aux activités physiques et artistiques l’après-midi ? Mais de cela, il n’en est point question. Cela coûterait trop cher. Il n’y a pas assez de gymnases et d’équipements sportifs disponibles et pas suffisamment de profs de sport, dessin ou musique…
En réalité, ces deux heures « accordées » ne le sont pas uniquement pour le bonheur des enfants, des parents et des enseignants. Elles permettent surtout de dégager des heures de soutien et, par une opération à double détente, de résoudre le scandaleux problème des RASED (réseaux d’aide et de soutien aux élèves en difficulté). Imaginez-vous qu’il existe des collègues « spécialisés », titulaires d’un diplôme appelé CAPSAIS (certificat d’aptitude pour le soutien, l’aide et l’intégration scolaire) qui fonctionnent en « adaptation ouverte ». Pendant une heure par semaine, ils sortent un élève déstructuré de sa classe « banale », l’emmènent dans un local tranquille du « réseau » pour jouer avec lui à la pâte à modeler, lui faire exprimer ses souffrances ou lui raconter une histoire. Et très vite, ils le rendent à la classe qu’il ira à nouveau perturber. Cette méthode est loin d’avoir fait ses preuves. Il faut une très grosse loupe et beaucoup d’optimisme pour en entrevoir les bienfaits. Mais elle offre surtout aux collègues « spécialistes » une petite sinécure qui fait pas mal d’envieux dans nos rangs.
Rappel du travail de sape pratiqué sur l’enseignement spécialisé au fil des années précédentes
Dans les temps anciens (pré 68), le système ne disposait que des bonnes vieilles classes de perfectionnement. De bons maîtres, travaillant avec un effectif réduit (12 à 15 élèves en échec scolaire), parvenaient à les remettre doucement sur les rails du savoir en appliquant souvent les méthodes d’un certain Célestin Freinet. Les autres enseignants de l’école savaient qu’ils disposaient d’une sorte de filet de sécurité, les élèves appréciaient de se retrouver entre eux, ils se sentaient rassurés par la vie en petit groupe et par une progression à leur rythme…
Mais le « pédagogiste » égalisateur est arrivé avec ses lubies et ses idées fixes : « Abomination de la désolation ! On ose pratiquer l’apartheid dans nos écoles. Certains élèves subissent une véritable ségrégation scolaire. Ces classes de perfectionnement risquent de se transformer en voies de garage ou en pièges dont ils ne pourront plus jamais sortir ! » Patiente et bonne fille, l’Administration ne fit pas disparaître les perfectionnements d’un trait de plume. Elle créa les « adaptations ouvertes » qui se retrouvèrent immédiatement en concurrence directe avec elles. Les maîtres chevronnés eurent le choix entre passer une journée entière avec un groupe d’élèves rarement faciles et se contenter d’aller en « soutenir » un puis en reprendre un autre. Que croyez-vous qu’ils choisirent comme un seul homme ? Les adaptations, bien sûr ! Résultat : l’Education Nationale se retrouva Grosjean comme devant, contrainte et forcée de confier les classes de perfectionnement à des remplaçants ou à des débutants qui ne s’en sortirent jamais…
Alors, on transforma quelques classes de perfectionnement en CLIS (classe d’intégration scolaire) en en changeant le recrutement (QI< 65) c’est à dire des enfants relevant d’établissements spécialisés. Les anciens habitués des perfectionnements (petits troubles intellectuels et petits retards scolaires) pouvaient tous rejoindre des classes « banales », les enseignants spécialisés étant là pour s’occuper d’eux dans le cadre des adaptations ouvertes…
Et là, reprise crescendo du chœur des égalitaristes effarouchés : « Oui, mais ces handicapés, vous les parquez dans des structures séparées, vous pratiquez la discrimination, la ségrégation. Pour s’épanouir totalement, ils doivent être intégrés aux classes banales… » Qu’ils les perturbent, empêchent les autres de travailler et n’en tirent eux-mêmes aucun profit importe peu. Le dogme égalitariste est respecté !
Dernier acte. Darcos entre en scène. D’un coup de baguette magique, il se débarrasse des classes de perfectionnement et des CLIS. Cadeau du samedi matin avec sa contrepartie en heures de soutien. Pas question de voler son salaire. Il faut en donner autant (en apparence) si on veut gagner autant. Et c’est le prof de classe banale qui va assurer ce soutien sans formation spécifique. Fin des RASED programmée. Economies budgétaires garanties. Opération à double détente et triple bénéfice. En apparence seulement. Sans capacité ni formation, les maîtres ne peuvent que bricoler, les élèves difficiles ou handicapés que rester à plein temps dans les classes banales (pour les cas les plus lourds, des aménagements d’horaire peuvent être organisés) et les gens des RASED que se soumettre ou se démettre. Ils pourront soit reprendre une classe banale soit se spécialiser encore davantage. Les sinécures ne manquent pas chez nous !
Une opération « perdant-perdant-perdant » pour deux petites heures de samedi matin. Zéro pointé, élève ministre Darcos, vous allez encore aggraver la catastrophe… Que ne vous êtes-vous point contenté de remettre à l’honneur nos perfectionnements d’antan en nous débarrassant de ces adaptations qui n’adaptent rien, ni personne. Tout en réalisant des économies, vous auriez réussi une opération « gagnant-gagnant-presque gagnant ». Les collègues auraient été soulagés, les élèves en difficulté auraient d’autant mieux réussi à se recycler qu’ils auraient retrouvé leurs « spécialistes » à plein temps. Ces derniers auraient dû à nouveau s’occuper de 12 à 15 élèves au lieu d’un ou deux. Malheureusement, ce n’est pas l’option que vous avez choisie…
Bernard VIALLET
Ancien directeur d’école élémentaire
Auteur de « Le Mammouth m’a tué » (Ed. Tempora)
Voir nos propositions sur les questions soulevées par Bernard Viallet.