L’école était-elle devenue si ennuyeuse ? C’est pourtant  sur ce sentiment que les pédagogistes ne cessent d’imaginer, depuis les années 70, des méthodes d’enseignement « alternatives », oubliant au passage que l’école qu’ils vomissent leur a permis d’apprendre à lire, à écrire et compter, ce qui n’est plus le cas pour les nouvelles générations. Dans la tourmente actuelle de l’Ecole, il y a ceux qui pensent que l’échec de l’Ecole vient du fait que les « nouvelles » pédagogies ne sont pas assez systématisées, et ceux qui pensent que ce sont précisément ces nouvelles approches qui ont peu à peu dégradé les apprentissages.

Font partie des premiers, les cadres de l’Education Nationale, avides de réformes « à tout prix » pour leur fonds de commerce politique. Ils ont imposé la méthode globale, les math modernes, les pédagogies dites actives pour les langues vivantes (en réalité des coupures de journaux souvent politisées et un nouvel anglais – l’anglais d’aéroport -), l’histoire transversale et j’en passe …

Le dernier mot d’ordre porte le doux nom de « transversalité ».

De quoi s’agit-il ? D’interdire de penser en termes de discipline, d’obliger les professeurs à travailler ensemble, comme si le cloisonnement absolu avait toujours été la règle ! Il ne s’agit pas seulement d’exiger la concertation entre collègues, laquelle a d’ailleurs toujours existé, mais de raisonner en termes de projets impliquant le plus grand nombre de disciplines. L’idée n’est pas nouvelle : l’interdisciplinarité avait déjà fait son entrée sous Giscard d’Estaing dans les collèges expérimentaux à la fin des années soixante-dix. Séduisante en apparence, cette approche est loin d’être la panacée comme nous allons le voir.

Une étape avait déjà été été franchie dans les années 2000, avec l’introduction des TPE

Une étape avait déjà été été franchie dans les années 2000, avec l’introduction manu militari des travaux personnels encadrés (TPE) au lycée, avec pour corollaire une réduction des horaires des disciplines dites fondamentales. Ce nouvel exercice consistait à faire faire aux lycéens des mini thèses sur une problématique impliquant au moins deux disciplines. En fait, la transposition au lycée d’activités déjà pratiquées dans le supérieur. Les difficultés n’ont pas manqué d’apparaître rapidement : Il fut très fréquent de voir des élèves se lancer dans des sujets dépassant largement leurs compétences et parfois même celles des professeurs censés les encadrer … Exemple : la  « stabilité du proton », les « tsunamis », par exemple, ou encore des sujets médicaux en vogue mais mal connus, comme le diabète… Pas grave car l’élève devant se faire plaisir, pas question de censurer ses choix ! N’est-il pas placé au centre du système éducatif ?

Rien de plus difficile à cet âge de dégager une problématique : cela suppose non seulement de solides connaissances mais aussi un certain niveau d’abstraction souvent absent.

Internet aidant, le « copier/coller » fut le sport le plus pratiqué dans ces exercices. Le but : sortir une « production », sans jamais se l’être vraiment appropriée ! Seuls les élèves brillants et d’un bon milieu socio culturel en tirent profit (et encore !), ce qui fait des « TPE » un exercice particulièrement élitiste. Mais cet aspect semble avoir échappé à la vigilance des têtes pensantes de cette réforme… Sur le fond, c’est  la négation des prérequis, la conviction que n’importe qui est habilité à parler de n’importe quoi, y compris dans des domaines où la recherche de la vérité est pourtant essentielle. Il est vrai que la télévision nous a depuis longtemps habitués à cela !

Ainsi s’est installée l’idée pernicieuse selon laquelle, point n’est besoin d’avoir une formation pour traiter de tel ou tel sujet.

Bref, la dé-légitimation du savoir. Comme si les « bases » ne servaient à rien. Voilà pourquoi, dans pratiquement toutes les disciplines, les apprentissages fondamentaux ont peu à peu régressé, qu’il s’agisse  des techniques de calcul, des démonstrations en math, des dates en histoire, des règles de syntaxe, ou tout simplement des raisonnements les plus élémentaires, si précieux dans les actes de la vie courante ! Résultat : peu d’élèves de terminale sont désormais capables de calculer correctement la surface … d’un rectangle !

Non, tout n’est pas dans tout ! Depuis la nuit des temps, les « disciplines » se sont construites de façon autonome, développant leurs propres objets de connaissance, leur propre logique et surtout leurs propres concepts.

Les arts et les sciences, pour reprendre une terminologie classique, en fournissent de multiples exemples. Mais au lycée, le génie propre à chaque discipline est récusé. On voit dans les livres de math ou de physique des exercices soit disant attrayants faire appel à du vocabulaire emprunté à la technologie de la construction, la médecine ou la sociologie… autant de difficultés supplémentaires pour l’élève. Il en va de même en physique où la soit-disant « transversalité » conduit dans les manuels à d’interminables développements sur le diagnostic médical, l’astronomie, voire l’écologie militante…

La transversalité s’infiltre dans la refonte des programmes

Et ces débordements ne se limitent pas aux éditeurs. Le « syncrétisme » s’infiltre dans la refonte des programmes, dans les instructions qui les accompagnent et finalement dans les sujets d’examens, au cas où les professeurs n’auraient pas bien compris le message… Loin de fournir des réponses à la question que se posent souvent les élèves « à quoi sert ce que l’on apprend aujourd’hui », un tel parti pris pédagogique, qui imbrique prématurément différentes logiques, a pour effet d’embrouiller les choses. Il en résulte pour l’élève une grande confusion qui n’est pas étrangère à la perte des repères et à la dégradation de l’écrit.

On ne construit pas un pont avant d’avoir préalablement construit ses piliers !

Il ne s’agit pas ici de défendre un enseignement rigide et cloisonné, mais de constater que la transversalité érigée en dogme absolu est un leurre. C’est enfin nier le fait qu’il existe des étapes dans la structuration des connaissances. Il y a un temps pour les apprentissages et un temps pour les synthèses. Enfin, exiger des enseignants une polyvalence de façade, n’est pas très crédible et les élèves ne s’y trompent pas. L’autorité vacille lorsque le professeur sort de son champ de compétences. Les professeurs d’histoire qui ont eu à enseigner les religions l’ont compris à leur dépens !

On assiste donc à un dumping pédagogique dont les fondements relèvent moins des sciences de l’éducation que du marketing politique. Il ne faudra pas s’attendre à ce que les performances de l’école s’en trouvent améliorées !

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