Les raisons de l’adhésion d’une institutrice au projet SLECC (Savoir lire, écrire, compter, calculer)
Vous connaissez tous la phraséologie éducative actuelle : pictogrammes en maternelle, maths modernes, lecture globale par hypothèses (naturelle puis semi-globale), histoire thématique dont on a évacué la chronologie, les dates et le nom des hommes qui l’ont faite, grammaire nouvelle qui prétend dépoussiérer la langue, livrets d’évaluation par compétences dont on doit évacuer la notation chiffrée, l’ORL qui permettrait une négociation de la langue et, enfin, la littérature jeunesse qui n’est rien d’autre pour moi que l’autodafé programmé de la littérature classique, des programmes toujours revus à la baisse… je me suis pliée à toutes ces directives. Je tenais bien mes classes, j’avais une bonne discipline, les élèves travaillaient mais je n’étais pas satisfaite.
Cette prise de conscience a été provoquée au début, par le constat du niveau en lecture et orthographe de mes élèves quand j’ai repris ma classe après un congé parental en 96. J’avais comme repère le souvenir d’une classe de CM1 que j’avais eue en 80/85, composée pour une bonne part d’élèves d’origine étrangère et qui, pourtant, avaient un meilleur niveau que celui de ceux que je retrouvais en 96. Sans faire à l’époque du catastrophisme, je trouvai une proportion d’environ 40 % d’élèves qui fréquentaient l’orthophoniste ou étaient considérés comme en difficultés en maths ou en français ; sur 24 CM1/CM2, il y avait 12 élèves dans cette situation (orthophonie, soutien scolaire). Cette classe avait aussi d’excellents élèves et donc était extrêmement hétérogène – or nous étions dans un quartier favorisé. Je me souviens aussi que bien des contenus que j’avais enseignés dans une école considérée comme très « moyenne » à Tourcoing avait été évacués des progressions. En un mot, en 96, tout un pan de ce que l’on enseignait aux élèves en 81 avait été évacué des programmes.
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Combien de conférences pédagogiques dont nous sortions littéralement amoindris, avec le sentiment que nous étions responsables de l’échec simplement parce que nous ne suivions pas leurs directives ! Récemment, au cours d’une conférence pédagogique sur l’ORL, l’intervenante nous prévient sur un ton docte que si nous continuons à enseigner la grammaire dogmatique, académique, sans laisser la parole à l’enfant par la négociation, nous déclencherons des révoltes comme celles de novembre 2005 dans les banlieues.
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"Evaluations"
Les chiffres officiels signalent 15% d’échec au collège à l’entrée en 6ème. Ces chiffres sont très contestables, dans nos classes nous avons 20 à 30 % d’élèves en difficultés au moins, pour des écoles pouvant être considérées comme « de niveau moyen ». Sans doute dans le but inavoué de masquer ces résultats déplorables, l’Education Nationale a mis en place un système d’évaluation par compétences tellement abscons que les parents n’y comprennent rien. Les enseignants quant à eux, dociles, renseignent les livrets sans non plus pouvoir s’y retrouver.
Au niveau national, on fait passer des évaluations qui ne permettent pas de contrôler les acquis de nos élèves mais seulement d’évaluer les démarches des enseignants. Monsieur Meirieu n’a-t-il pas affirmé « Changez les évaluations et vous changerez les maîtres ». Alors vient le rituel du mois de novembre : quand les bilans sont finis, on nous retourne les résultats transcrits dans des tableaux ; tel ou tel pourcentage de réussite en maths ou français, il faut mieux faire ! La démarche imposée est tellement dénuée de substance que c’en est désespérant. Car il ne s’agit plus en effet de proposer à l’évaluation de véritables épreuves significatives : dictée de texte, analyse logique de phrase ; problème de calcul consistant mettant en oeuvre les 4 opérations ; rédaction qui permettrait de vérifier les acquis en vocabulaire, en syntaxe, un texte d’auteur avec questions de sens.
Non, tout cela serait trop évident, trop rétrograde sans doute – ce sont les compétences qu’il faut évaluer ! les compétences vous dis-je ! Donc il y aura des textes dits « résistants » dont l’élève devra comprendre le second degré, on évaluera s’il a une démarche « personnelle » de résolution de problèmes, mais on se satisfera d’une démonstration de calculie quasiment préhistorique, ou tout autre démarche « non experte » pour laquelle on aura pris soin, pour l’entrée en 6ème, de laisser une grand rectangle blanc sous un problème à une seule ligne d’énoncé. On admettra l’écriture phonétique de « farfelu » comme « pharfelu » et on codera positivement un texte à trous que l’élève aura su compléter avec cinq mots déjà lus auparavant. On le piègera par la lecture de graphiques et autres statistiques échevelées pour des gamins de cet âge… avec des documents au contenu parfois complexe pour – prétend-on – situer sa capacité à « lire divers types de documents ». Le mot-clé adoré par nos actuels scientologues de l’éducation est « compétences ». Le problème est que la distinction entre savoir et compétence est aujourd’hui totalement biaisée. Moi je me dis que la compétence est au savoir ce que la règle du 3,4,5 du maçon est au théorème de Pythagore. Et là est le danger ! La compétence ne se développe-t-elle pas à partir du savoir, de la connaissance ? d’où l’importance du maître (le magister) – celui qui est investi de la responsabilité de transmettre les savoirs.
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Un grand nombre d’enseignants voudraient pouvoir réfléchir, remettre en question les dogmes imposés par quelques doctrinaires officiellement accrédités. Cela n’est-il pas justifié puisque partout l’école actuelle est décriée, jusqu’à l’IGEN qui conclut que la réussite de certaines école serait due à l’effet maître et école plus qu’à l’origine sociale des élèves ! Tout est remis entre les mains du maître d’école mais en même temps celui-ci doit se soumettre aux conclusions des sacro-saintes sciences de l’éducation…
Oui, nous sommes fonctionnaires, nous devrions respecter l’article de loi qui nous impose le respect des règlements et directives, mais nous ne pouvons pas ne pas dénoncer aussi ce qui dans ces directives porte atteinte au bien public. Et c’est le cas. L’impossibilité dans laquelle on met l’enseignant de transmettre les savoirs devient insupportable. Quand un conseiller pédagogique, aussi respectable et sympathique soit-il, dit à une jeune institutrice : « vos élèves ne sont pas censés savoir cela à ce stade du cycle » alors qu’elle a réussi à le leur apprendre, quand un maître formateur (aussi cordial et coopératif soit-il) prévient un jeune instituteur « vous savez, il va y avoir un changement de ministre, il faut donc respecter les programmes sinon vous risquez des soucis » – parce que ce maître à réussi à leur apprendre les conjugaisons qu’ils devraient apprendre en 6ème seulement – je dis que nous sommes dans un système qui devient totalitaire . Comment peut-on d’ailleurs admettre cet obscurantisme qui a pour but à peine déguisé d’empêcher de faire mieux que le médiocre standard prédéfini ? Quand un directeur d’école se voit montré du doigt parce que son école bénéficierait d’une bonne réputation, du fait d’un projet d’école ambitieux qui porterait prétendument préjudice aux autres écoles voisines, est-ce admissible ? Quel entrepreneur mettrait des bâtons dans les roues d’un salarié parce qu’il veut bien faire, trop bien faire ? En réalité, on cherche ici encore à infantiliser le plus possible le maître d’école, à lui faire courber l’échine, et ce d’autant plus qu’il travaille bien au regard des objectifs officiels, au demeurant incohérents et contradictoires.
Toutes ces raisons m’ont fait chercher une autre voie. J’ai ainsi découvert le projet SLECC ("Savoir Lire Ecrire Compter Calculer"), qui a d’emblée retenu mon intérêt. Ce projet est porté par le GRIP, créé en juin 2003 et constitué depuis juillet 2005 en association loi 1901 ("Groupe de Recherche Interdisciplinaire sur les Programmes"). Des universitaires de renom, des professeurs de toutes disciplines et de tous les niveaux de l’enseignement, des instituteurs communiquent et réfléchissent ensemble sur l’école et ses problèmes. Le GRIP remet en question tous les dogmes, notamment celui du "constructivisme". Au sein du GRIP, nous travaillons à la conception de nouveaux programmes d’enseignement reconstruits de manière riche et progressive, et rédigeons des documents pédagogiques. Nous doutons que l’enfant soit un chercheur en herbe capable de construire tout seul ses savoirs. Nous revendiquons très fort le rôle fondamental de l’école qui est d’instruire. Celui de l’éducation n’en est qu’un corollaire implicite, qui ne peut d’ailleurs être atteint sans l’engagement actif des familles et de la société.
F.C. (Extraits)