Les 28 et 29 octobre, Xavier Darcos a déclenché une polémique en se demandant publiquement si le Parlement ne devrait pas prendre la charge de prévoir "ce qui doit être enseigné", notamment en histoire, puis en récusant "l’ingérence du politique dans l’enseignement de l’histoire" (voir le communiqué AFP du 29 octobre).
De quel enseignement s’agit-il ? Pour nous, il est évident qu’après le collège, les élèves, qui vont rapidement atteindre leur majorité si ce n’est déjà fait, doivent être considérés par principe comme capables de jugement et de choix : l’enseignement, en toutes matières, mais particulièrement en histoire, doit leur montrer les diverses interprétations possibles des faits et des idées. L’expression "ce qui doit être enseigné" peut toujours s’appliquer au choix des lieux et des époques, et dans leurs exposés, les professeurs doivent manifester leur neutralité et leur liberté d’esprit, dans le respect des convictions personnelles de leurs élèves.
Il en va tout autrement pour l’enseignement obligatoire. D’abord parce qu’il serait irréaliste de vouloir entrer dans la relativité des choses avec des élèves qui n’ont ni la maturité d’esprit ni les connaissances élémentaires pour cela. Ensuite, parce que la représentation nationale qui institue l’obligation scolaire impose des contraintes énormes aux élèves, aux parents, et aux contribuables ; en contre partie, elle a le devoir d’énoncer clairement ce qu’elle attend des savoirs effectivement transmis aux enfants à l’issue du primaire et du collège.
S’il agissait ainsi, le Parlement ne fixerait pas les programmes (ce qui doit être enseigné) mais des objectifs (les savoirs qui doivent être transmis aux élèves). Il assignerait à l’Education Nationale des obligations de résultat.
Les objectifs étant fixés, les experts, c’est-à-dire les bons enseignants, détermineraient les programmes, les cheminements offerts aux élèves pour atteindre les objectifs.
Vis-à-vis des citoyens, le Parlement aurait enfin le devoir de vérifier a posteriori si et dans quelle mesure les objectifs sont atteints. Pour cela, nous préconisons, avec d’autres, la création d’une autorité indépendante de l’Education Nationale, chargée de contrôler la conception des examens, leur passation, les notations, et d’en publier les résultats.
Le cas de l’Histoire. L’histoire d’une époque n’est jamais clôturée, particulièrement l’histoire récente. Après 1930, l’histoire n’est pas faite, les circonstances et les causes ne sont pas toutes connues, les interprétations personnelles sont souvent la conséquence des sentiments et de convictions profondes et anciennes ; seuls sont connus avec certitude des événements. Pour ces 80 dernières années, il serait concevable de limiter aux grands événements l’enseignement de l’histoire au collège. De même, pour les époques anciennes, c’est au Parlement de décider si, au primaire et au collège, sont enseignés les mythes et les légendes qui, jadis, émerveillaient les esprits, et qui demeurent parmi les fondements de notre culture.
Objection. On nous opposera que cette conception éminemment démocratique du rôle du Parlement suppose des parlementaires exceptionnellement raisonnables, alors qu’on les voit, sensibles aux faits divers et aux foucades de l’opinion, changer facilement d’avis. Or l’enseignement exige avant tout durée et continuité.
Ce serait différent s’il était admis que les rares lois sur l’enseignement doivent recueillir un large assentiment, quitte à leur consacrer tout le temps nécessaire pour y parvenir. Nos députés savent le faire … parfois. Mais, malheureusement, l’enseignement est, en France, un champ de bataille idéologique.
Cette polémique éphémère ne fera pas avancer les choses. La confusion mentale s’y nourrit du flou dans les degrés d’enseignement, de l’amalgame entre objectifs et programmes, entre historiens et professeurs d’histoire, entre recherche et enseignement. Les belles formules fleurissent. On revendique hautement "la liberté d’expression des historiens face aux interventions politiques", on juge "inadmissible que le pouvoir politique gouvernemental et parlementaire puisse impose ce qui doit être recherché et a priori enseigné".
L’avantage des grands principes, c’est qu’ils dispensent de réfléchir.
G.C.