Le français d’étudiants en Lettres et en Droit
"chaos", "chao", "cao", ou même "KO"
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Chez près d’un tiers des élèves de sixième, les ressorts de la phrase française sont mal identifiés et le lexique élémentaire mal assimilé. Que peut-on augurer, non seulement en lettres mais dans toutes les matières, d’un cursus commencé dans de telles conditions ? Le constat n’est pas moins affligeant, à vrai dire, si l’on se tourne vers les sujets qui ont correctement rempli le contrat et parviennent sur les bancs de la Faculté. L’évaluation officielle, à ce degré, n’étant pas faite, il faut s’en remettre à l’expérience de chaque professeur. Qui a, ces trois derniers mois, corrigé près d’un millier de copies d’examen peut ainsi témoigner de son effarement à la lecture de ces pages truffées de mots écrits soit en phonétique (par exemple, "chaos", inscrit pourtant en toutes lettres dans le libellé d’un sujet, remplacé par "chao", "cao", ou même "KO"), soit de manière aléatoire ("on doit s’interroger", puis indifféremment, "s’interrogé", "s’interrogeai", "s’interrogéent", etc.). Effarement renforcé, il faut le souligner, par le fait que de telles graphies ne sont pas forcément celles des mauvais devoirs, et doublé d’un sentiment d’impuissance à l’idée qu’il n’est pas question, qu’il ne sera plus question désormais de sanctionner ces fautes comme telles : on ne recale pas un étudiant de droit pour mauvaise orthographe, on s’expose même à de sérieuses réclamations de sa part, et probablement à quelques différends au sein du jury si l’on prétend minorer sa note à ce seul motif !
Extrait de "Point de vue" DERNIERES NOUVELLES D’ALSACE – 13 mars 2002
Voici comment écrivent le français nos étudiants de lettres [ il s’agit d’une version d’espagnol : je passe sur les contresens, les incohérences et les erreurs de traduction… Je respecte scrupuleusement l’orthographe, l’accentuation et la ponctuation.]
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Je trouve, en glanant au hasard dans le paquet :
« quelques jours étaient passés quand il m’envoyât le maire; je me dirigais au supplice; je traversâs le portail et frappis à la porte; je toquai avec les doigts; personne ne m’invitât à m’asseoire ; Elisa me regardit; ma collège Elisa; ce fut le maire qui parlât et m’adressât; tu t’abituras; il faut les dressés; il m’addressa; je me dirigea; Elisa me défigura avec les yeux [pour "me dévisagea"], etc. »
Que l’on massacre ainsi le français en sixième, passe encore (autrefois, on aurait redoublé le CE1). Mais à l’Université, et dans un Département de Lettres !
Pedro Cordoba – Membre des jurys de l’agrégation d’espagnol et des concours d’entrée à l’ENS
Président de l’association "Reconstruire l’école"