Ce courriel reçu d’une correspondante française est rédigé avec humour, même s’il traite d’un sujet sérieux : la mondialisation qui transporte les idées pédagogiques les plus stériles dans tous les coins de la planète. Voir ce qui se passe au Caire permet de mieux comprendre le non sens de ce qui se passe en France.

Journée harassante à donner des cours particuliers. J’en vois de toutes les couleurs chez les français comme chez les égyptiens. Je ne parle ici que « des nantis » bien sûr, les autres sont entassés à 80 élèves par classe dans des écoles taudis ou traînent dans la rue depuis la naissance.

J’ai du mal à comprendre comment on peut imposer la méthode « Justine » à des arabophones de six ou sept ans. Il faut les voir ces gamins se creuser sur ces manuels de français que les écoles internationales diffusent. Les mêmes ouvrages qu’en France, même pas adaptés à un « apprentissage » du français en tant que langue étrangère. On leur « enseigne » le français comme si c’était leur langue maternelle, en même temps que l’anglais, dès six ans et avec les méthodes les plus globales du monde.

Le résultat est effarant. En tous cas, les parents paient : l’école internationale coûte très cher, ce à quoi ils ajoutent des cours particuliers eux-mêmes très onéreux, et le môme du matin au soir trime comme un beau diable. Les éditions constructivistes font déjà du gros fric en France, on le savait, ajoutons désormais qu’ils s’en mettent plein les poches aussi à l’étranger. La mondialisation a du bon pour certains.

Et moi j’arrive en fin de journée, quand ils sont épuisés, avec ma méthode Fransya sous le bras… Et je fais le topo aux parents, qui m’ont sollicitée pour aider leurs gosses qui ne s’en sortent pas. Tant qu’il s’agit de la méthode Fransya, et c’est bien le miracle, cela se passe drôlement bien , même si les enfants sont épuisés, mais dès qu’il s’agit – ce que je ne peux refuser aux parents – de faire les devoirs, on replonge dans un délire abominable, et la fatigue disparue avec la méthode alphabétique revient au galop avec l’abominable Justine.

Je refusais au début de faire ces devoirs, mais je laissais derrière moi des familles éplorées qui m’avaient bien payée à qui je promettais la lune pour plus tard. Donc je consacre un quart d’heure pour torcher le torchon et pour que l’enfant retourne en classe le lendemain avec les exercices ineptes exécutés sur son cahier ou plutôt son porte-photocopies.

Du primaire en désespérance, il y en a des tonnes au Caire, et chez les riches.
Normalement un jour ou l’autre David démolira Goliath. Patience, courage, espérance.

Un tour de force : enseigner aussi l’arabe en global

Pour finir, j’apprends que mon petit voisin français, élève de CM2, apprend aussi l’arabe au lycée français du Caire, deux heures par semaine. Pourquoi pas ? C’est même une excellente chose car l’enseignement de l’arabe, à mon sens, ne peut être « gobalisé » (du verbe gober). Enfin une occasion de jouir d’un enseignement structuré et structurant.

L’arabe est une langue qui s’écrit comme elle se prononce, sans difficulté majeure. Je veux dire qu’on ne rencontre pas d’obstacle particulier pour apprendre à la déchiffrer – autre chose est de la prononcer, mais ce n’est pas ici mon propos. Le mot arabe s’écrit uniquement avec des consonnes au-dessus desquelles trois signes manifestent les trois voyelles de la langue : a, ou, i. Ainsi, le mot madrassa (école) s’écrit MDRS. La syllabe MaD s’écrit M avec le signe a au dessus du M et D avec un dernier signe manifestant l’absence de voyelle. Ce qui donne MaDRaSa qu’il faut prononcer madrassa.

Mon voisin a 10 ans, il est français et exclusivement francophone, pas du tout arabophone, et vit avec ses parents français expatriés au Caire depuis peu. Il subit en classe tous les apprentissages implicites et doit, pour s’en sortir, prendre des cours particuliers à la maison à la fin de sa journée d’école. Il peine en français. Il peine donc aussi dans toutes les autres matières. Heureusement, me suis-je dis, l’enseignement de l’arabe lui prouvera qu’apprendre une langue ce n’est pas forcément la bérézina.

Las ! Nos pédagogistes ont réussi le tour de force de gobaliser jusqu’à la langue arabe ! Incroyable mais vrai. Comment ? En supprimant tout simplement la visibilité des voyelles. Il fallait y penser. Plus aucun signe apparent sur les consonnes. Si bien que madrassa devient MDRS et que le cerveau du petit voisin français turbine à fond chaque fois qu’il est confronté à MDRS en se demandant s’il s’agit de Moudarissou, ou de Midourassi, ou de Midrissou ou de Madourissa… Je n’ai pas compté le nombre de combinaisons possibles pour m’épargner la migraine. Gageons qu’il s’agit d’un chiffre impressionnant. Les devoirs sont eux-mêmes consignés en arabe sans voyelle dans le cahier de textes.

Pendant ce temps-là, chez lui, le petit camarade égyptien (7 ans) qui habite sur le même palier que mon petit voisin français planche lui aussi sur ses devoirs maison (devoir maison et non divour misen). Lui aussi fait de l’arabe sans voyelle sous le prétexte formidable qu’à terme l’arabe peut se lire sans elles – en effet. A terme. Mais pas au début. Même pour un enfant arabophone, car si l’usage courant du mot madrassa lui permet de reconnaître le mot sans les voyelles, de le deviner en somme – exigence pédagogique habituelle des constructivistes – il n’en sera pas de même pour un mot nouveau. Et des mots arabes nouveaux pour un petit égyptien à l’école, il y en a autant que des mots français inconnus pour un petit gaulois en classe. Ainsi, le patinage global est arrivé jusqu’au Nil. Chapeau bas.

Après son exercice d’arabe transformé en casse-tête chinois, le petit enfant égyptien doit maintenant, comme nos pédagogues l’attendent de lui, « remettre en ordre la phrase française suivante » : dromadaire de n’a Le bosses pas

Conclusion : ce qu’il y a de merveilleux avec la mondialisation c’est que nous allons tous pouvoir communiquer les uns avec les autres…

FB

(Visited 1 times, 1 visits today)

Pour rester informé, je m'abonne à la lettre

Pin It on Pinterest