La rentrée de la désinformation (2) : à propos des pratiques – 2006

 On nous dit que les instituteurs ont forgé des pratiques nouvelles à partir des méthodes connues : globale, alphabétique, mixte.
 • Les méthodes mixtes ont d’abord consisté – et consistent encore dans beaucoup d’écoles – en un départ global suivi quelques semaines ou quelques mois plus tard par une approche pseudoalphabétique (lettres, graphèmes et phonèmes abordés en désordre, alors que la méthode alphabétique se caractérise par une progression rigoureuse).
 Plus récemment, la mode a consisté à essayer d’associer un départ global et un départ alphabétique.
 Or, l’efficacité exige un départ alphabétique prolongé jusqu’à ce que l’enfant ait assimilé le principe alphabétique, c’est-à-dire la représentation des sons de la langue parlée par des lettres ou groupes de lettres. C’est rigoureusement incompatible avec le départ global : aucune relation logique ne peut s’établir dans l’esprit de l’enseignant, ni dans l’esprit des enfants, entre les deux approches. Les auteurs des manuels font comme si c’était naturel. Mais les maîtres, eux, sont réduits à chercher des pratiques qui conviennent à la majorité de leurs élèves. Et beaucoup sont profondément découragés par les résultats qu’ils obtiennent. 
En effet, pour se satisfaire de ces méthodes, il faut considérer comme normal et acceptable que 25 % des élèves ne sachent pas lire à la fin du primaire. 
• L’adoption de la méthode alphabétique ne dispense évidemment pas les maîtres d’un effort constant d’amélioration de leurs pratiques. Apprendre à lire à 20 enfants est un métier, beau mais difficile. Les parents en trouveront un témoignage passionnant dans le livre de Rachel BOUTONNET : Pourquoi et comment j’enseigne le b.a-ba – Conseils et récits d’instits à l’usage des collègues débutants et des parents curieux.
  
• Par contre, pour apprendre à lire à un seul enfant, on peut se passer d’une expérience pratique préalable. C’est prouvé, chaque année, par la réussite d’innombrables parents et grands-parents.

Tous syllabiques !

Comme beaucoup de parents sont déroutés, voire scandalisés, par la pédagogie mixte, et que leur préférence va, sans équivoque, à l’alphabétique, des auteurs de ces manuels cherchent à faire croire que leurs méthodes sont compatibles avec la méthode alphabétique.

C’est ainsi que l’adoption de l’expression "méthodes intégratives" vise à convaincre que l’alphabétique est, dans ces méthodes, un constituant intégré et sublimé par les synthèses "forgées au cours des trente dernières années".

Comment créer la confusion en noyant le poisson ? Un exemple éloquent nous est fourni par la méthode mixte LIRE AVEC PATATI ET PATATA, dont les auteurs présentent un argumentaire destiné aux instituteurs. Cet argumentaire doit leur permettre de répondre aux interrogations sur la conformité avec les déclarations ministérielles au cours des réunions d’informations qu’il leur est conseillé d’organiser dès la rentrée.

Citations

. Lire avec PATATI et PATATA est avant tout une méthode d’apprentissage des codes. C’est une méthode à caractère syllabique originale et complète.

. Le retour éventuel à une démarche syllabique exclusive nous inquiète !

. En s’adressant aux parents :

– on ne dira plus "acquisition globale des mots" mais "mémorisation des mots"
– à "reconnaissance globale des mots" on préférera l’expression "lecture par voie directe"
– on montrera l’importance de faire une approche simultanée du code et du sens
– à partir de là, plus personne ne pourra dire que vous appliquez la méthode globale ou semi-globale.

NDLR :
Codes = associations graphèmes-phonèmes<br>
Approche du sens = "démarche de découverte d’un texte dont on ne connaît pas encore toutes les graphies et les phonèmes associés".

Pas si simple !

La brochure "Apprendre à lire, pas si simple" va être distribuée à 500.000 exemplaires. Ce texte nous rappelle un argument maintes fois entendu : "Vous croyez qu’il suffirait d’adopter l’alphabétique pour résoudre les problèmes, mais ce n’est pas si simple, car les résultats ne seraient pas meilleurs, et pour plusieurs raisons :

• D’une part, les échecs actuels ne sont pas imputables à l’Education Nationale, et donc sont indépendants de la pédagogie. Si l’on changeait la pédagogie, les mêmes causes produiraient les mêmes effets : troubles chez les enfants, nécessitant des traitements spéciaux, influences familiales et sociales négatives, etc…, toutes causes que l’Education Nationale ne peut attaquer, faute de moyens.

Cependant, les témoignages montrent que des maîtres obtiennent, avec l’alphabétique, de meilleurs résultats, même auprès d’enfants "à problèmes" et dans les zones défavorisées.

• D’autre part, lorsque l’alphabétique était généralisé, les échecs étaient aussi nombreux.
On ne peut pas nier l’existence d’illettrés sous la IIIème République. Mais les comparaisons sont difficiles car tout était différent. Ce dont on a la preuve, c’est que de bons élèves étaient, à la fin du primaire, beaucoup plus instruits que ceux d’aujourd’hui, notamment en français et en calcul. On manque d’informations comparatives sur les moins bons.

• On nous affirme aussi que les résultats des méthodes actuelles sont acceptables et que le niveau ne baisse pas. Or, il est de notoriété publique que si le niveau ne baisse pas, c’est une simple apparence, car les exigences des examens et évaluations sont en diminution constante, et que d’ailleurs il est de moins en moins question de contrôler le savoir des élèves.

Ce dont ont besoin les parents, et aussi les enseignants et les élèves, c’et de pouvoir juger les méthodes et les pratiques sur les résultats, grâce à des examens, des tests et des notations objectifs, compréhensibles par tous, et comparables dans le temps. La coexistence transitoire de maîtres attachés à des méthodes mixtes, et de maîtres encouragés à pratiquer l’alphabétique, trancherait alors rapidement les débats.

Mais cela, les tenants du statu quo n’en veulent pas. Après avoir, pendant des années, manié les arguments d’autorité, ils poursuivent la désinformation par d’autres voies, dans l’espoir de décourager les opposants. Fort heureusement, les instituteurs et les institutrices sont de plus en plus nombreux à résister à ces pressions.

Deux questions censurées

• Dans combien de classes de CP pratique-t-on l’alphabétique ?

L’Education Nationale ne peut pas avoir de réponse officielle, puisque, pour éviter les brimades, un certain nombre d’instituteurs préfèrent ne pas afficher leur préférence pour l’alphabétique.

De plus, puisque maintenant on publie l’infinie diversité des pratiques, il semble évident que certaines de ces pratiques penchent très fortement vars l’alphabétique authentique. Mais combien de classes sont dans ce cas ? L’Education Nationale ne cherche manifestement pas à recenser, à classer, à mettre de l’ordre dans cette diversité affichée. Il faut dire que cela ne concerne que 800.000 enfants chaque année.

• Combien d’enfants apprennent-ils à lire en dehors de l’école ?

Ceci grâce aux grands-parents et aux parents, mais aussi grâce à certains acteurs du soutien scolaire et de l’orthophonie, et c’est pratiquement toujours en alphabétique.

L’éditeur BELIN annonce entre 70.000 et 110.000 exemplaires du BOSCHER, chaque année depuis 1984 (Le Figaro 29.8.06). Il faut ajouter les ventes des autres manuels alphabétiques (vrais), et considérer que chaque manuel sert très probablement à plusieurs enfants, car ils ne se démodent pas, contrairement à la production continue des manuels mixtes.

Certains estiment qu’ainsi un enfant sur trois bénéficie d’un enseignement alphabétique. Mais cela n’intéresse pas l’Education Nationale, qui là aussi ne pourrait pas procéder à un simple recensement, parce que beaucoup de parents évitent d’en parler à l’école.

Quoi qu’il en soit, puisque officiellement les méthodes mixtes ont été, jusqu’à présent, pratiquées dans la quasi totalité des classes, la réussite des enfants instruits en alphabétique a été portée au crédit du mixte.

… PAS SI SIMPLE, en effet, lorsque ceux qui détiennent le pouvoir réel à l’Education Nationale s’emploient à entretenir la confusion, au détriment de l’avenir des enfants.

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