La ‘Lettre aux éducateurs’ de Nicolas SARKOZY (4 Septembre 2007)

Le texte intégral peut être consulté sur le site www.elysee.fr

 Surprise : ce qui était annoncé comme une lettre aux enseignants est intitulé "Lettre aux éducateurs" Plusieurs journaux en ont d’ailleurs rendu compte en titrant sur "enseignants". 

Est-ce un retour à la langue de bois de la part de quelqu’un qui ne peut pas ignorer l’urgence de rétablir la primauté de la transmission du savoir? Est-ce une concession au dogme de l’Education Nationale, institution qui instruit de moins en moins et qui, en revanche, éduque de plus en plus … à sa façon ? (1)

Si c’était le cas, on comprendrait l’indignation des enseignants qui veulent enseigner, et ne veulent pas être confondus avec n’importe qui : "nous sommes tous des éducateurs" dit la lettre.

Mais ce n’est pas le cas, puisque la lettre, en plusieurs passages, s’adresse explicitement aux parents et à bien d’autres ("le professeur, le juge, le policier, l’éducateur social, et tous ceux qui sont en contact avec l’enfant dans le milieu sportif, culturel, associatif").

Ainsi, le message est-il consacré à l’éducation au sens large, à l’Education Nationale et hors de l’Education Nationale, englobant l’enseignement ou transmission du savoir. Nous-mêmes pensons qu’il est important de différencier l’éducation et l’instruction, sans occulter leur complémentarité. Mais c’est le point de vue de l’auteur – collectif – et le lecteur ne peut que l’admettre.

Un autre choix est celui du mot"enfant", qui semble souvent désigner indifféremment des enfants, des adolescents et des jeunes adultes.

L’inconvénient de ces choix est que, à la lecture des nombreuses propositions ou résolutions concernant l’éducation, on ne saisit pas toujours ce que l’auteur considère comme la part de responsabilité de l’école.

Dernière observation quant au choix des mots : la lettre conclut "Le temps de la refondation est venu". On serait tenté d’y voir une réminiscence de l’Appel à la refondation de l’école et du Pacte pour la refondation de l’école . Malheureusement, il s’agit de la "refondation de notre éducation", vaste ambition comparée à la précision des propositions de Laurent Lafforgue et de ses amis. Comme trop souvent en politique, on peut craindre que le mot ne soit usé avant d’avoir servi.

Dans l’axe du principal objectif de notre association : "que l’écolere devienne le lieu où le professeur enseigne et où l’élève apprend",nous ne commenterons pas ici les nombreuses et souvent pertinentes considérations sur l’éducation. Nous nous en tiendrons à l’enseignement.

Sur la critique du système d’enseignement actuel

… "c’est la personnalité de l’enfant qui a été mise au centre de l’éduction au lieu du savoir ("l’enfant au centre")

… à trop valoriser la spontanéité, …, à ne plus voir l’éducation qu’à travers le prisme de la psychologie… on ne s’est plus assez appliqué à transmettre

… les chances de promotion sociale des enfants dont les familles ne pouvaient pas transmettre ce que l’école ne transmettait plus se sont réduites.

… on n’éduque pas un enfant en lui faisant croire que tout lui est permis, qu’il n’a que des droits et aucun devoir … on ne l’éduque pas en lui laissant croire que la vie n’est qu’un jeu ou que la mise en ligne de toutes les connaissances du monde le dispense d’apprendre.

… dans le monde tel qu’il est… nos enfants ont besoin de plus d’humanisme et de plus de science … sur ces deux terrains nous avons trop cédé.

… c’est un autre des défauts de notre éducation traditionnelle que d’opposer ce qui est manuel à ce qui est intellectuel."

Les lecteurs avertis penseront peut-être qu’on enfonce des portes ouvertes, que tout cela n’a rien d’original. Mais l’important est que ce soit dit au plus haut niveau.

Sur ce que devrait être l’enseignement

…"le but c’est de s’efforcer de donner à chacun le maximum d’instruction qu’il peut recevoir en poussant chez lui le plus loin possible son goût d’apprendre, sa curiosité, son ouverture d’esprit, son sens de l’effort.

… d’aller puiser ce qu’il y de meilleur dans notre tradition intellectuelle, morale, artistique et de le transmettre à nos enfants pour qu’ils le maintiennent vivant pour tous les hommes

… un savoir réfléchi, ordonné, maîtrisé

… l’enseignement par discipline doit demeurer… fécondation mutuelle des disciplines.

… l’idée que l’enfant de famille modeste … n’aurait pas besoin d’être confronté aux grandes œuvres de l’esprit humain… est pour moi l’une des plus grandes marques de mépris.

… remise à plat des rythmes et des programmes scolaires.

… réformer le collège unique

… aller progressivement vers la suppression de la carte scolaire … pour qu’il y ait moins de ségrégation.

… je souhaite que les élèves se découvrent lorsqu’ils sont à l’école et qu’ils se lèvent lorsque le professeur entre dans la classe."

Quelques propositions approximatives ou discutables

    … l’interdisciplinarité doit trouver très tôt sa place dans notre enseignement
Il y a un grand risque de confusion entre l’interdisciplinarité et la "transversalité", qui consiste à tout mélanger.
D’autre part, "très tôt" suggère "dans le primaire", où l’interdisciplinarité est déjà personnalisée par le maître.

ilne faut pas que les enfants restent enfermés dans leur classe. Trèstôt, ils doivent aller dans les théâtres, les musées, lesbibliothèques, les laboratoires, les ateliers. Toujours "trèstôt"! Or on ne peut observer utilement le monde extérieur que si l’ondispose de références structurées et que l’on sait analyser et doncd’abord exprimer ce qu’on voit. Toutes ces bases s’acquièrent dans laclasse.

pour lapremière fois dans l’histoire, les enfants savent beaucoup de chosesque les parents ne savent pas… mais il faut structurer ce savoir.
Il ne faut pas confondre information et formation, alors que verbe"savoir" peut s’appliquer aux deux. La raison d’être de l’enseignementest de donner aux élèves des bases de connaissances solides,indispensables pour bénéficier de l’accès facilité à l’information.

ilfaut amener l’enfant à s’interroger, à réfléchir, à prendre de ladistance, à réagir, à douter et à découvrir par lui-même les véritésqui lui serviront toute la vie.
Une fois de plus, leterme "enfant" risque de renvoyer à l’enseignement primaire. Or tousles impératifs énoncés dans ces termes sont l’ambition de toute unevie, et l’on serait heureux de pouvoir s’en rapprocher, dans quelquesmatières, à la fin de l’enseignement secondaire. Dans le primaire,l’enfant doit acquérir des certitudes qu’il relativisera plus tard.

Attention, ici encore, à l’emploi des mots. A partir de sa naissance,l’enfant observe le monde et, guidé par ses parents et ses maîtres, il"découvre" ce que tout le monde sait. Cela n’a rien à voir avec "laconstruction par l’enfant de son propre savoir" et la pédagogie des devinettes.

… je souhaite que les enfants handicapés puissent être scolarisés comme tous les autres enfants…
Il y a d’énormes différences dans les handicaps. Certains permettant desuivre une classe ordinaire, peut-être avec une aide non médicale.D’autres exigent des soins médicaux lourds, ou bien rendent quasimentimpossible la participation à une classe ordinaire. Pour les enfantsdans ce cas, la proposition de la lettre, qui s’apparente à l’idée desocialisation, devrait conduire à trouver et organiser des activitéscollectives avec les autres enfants, en dehors de l’instructionproprement dite.

Par analogie, on peut considérer qu’unenfant appartenant à un milieu où l’on parle peu et mal le françaisentre dans la vie avec un handicap. Il est contreproductif de lui fairesuivre la même initiation que les autres enfants et avec eux. Mais lespossibilités de socialisation sont nombreuses, dans les activitésludiques, sportives, manuelles, artistiques.

vous pourrez choisir la pédagogie… l’évaluation sera la règle.
Sur la liberté pédagogique et les évaluations, voir : la rentrée de Xavier DARCOS .

Des expressions approximatives risquent d’être récupérées par les partisans du statu quo 

L’avenir tranchera.

Cette lettre n’est ni floue, ni contradictoire dans ses termes. Elle est générale et prudente. Elle s’apparente à une déclaration de politique générale dans les domaines de l’enseignement et de l’éducation.

Elle est prudente, en ce que la critique de la situation actuelle reste mesurée, mais néanmoins claire sur les principes. D’ailleurs, l’emploi du mot "refondation" place le citoyen lecteur devant deux interprétations : ou bien il s’agit d’une expression politicienne, d’une promesse qui n’engage que ceux qui y croient ; ou bien le Président parle français : alors l’impératif de la refondation implique nécessairement une critique radicale des fondements même de notre système.

On peut considérer comme marque de prudence le fait que la lettre ne traite pas des voies et moyens, mesures concrètes dont l’évocation aurait pu entraîner des réactions négatives. Mais n’est-il pas logique, et dans les attributions du Chef de l’Etat, de définir d’abord les objectifs à long terme ? ("Ce sera un long travail qui va de la reconstruction de l’école primaire à celle du lycée"). Les voies et moyens viennent ensuite, ne sont pas de la responsabilité directe du Président, et sont contingents : même Dieu écrit droit avec des lignes courbes.

Nous-mêmes, qui n’avons pas la responsabilité du pouvoir, devons continuer à concevoir et exprimer clairement ce qui nous paraît nécessaire.

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(1) Voir la piteuse rédaction de l’article 2 de la Loi FILLON :
"Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Dans l’exercice de leurs fonctions, les personnels mettent en œuvre ces valeurs".

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