LA CROIX : enquête sur l’éducation et la formation
Au cours du mois de mai 2011, LA CROIX a publié une vingtaine d’enquêtes, chacune sur deux pages, sous le titre général «Apprendre autrement ». Malgré un volume important pour un quotidien, une telle enquête ne peut prétendre couvrir un domaine aussi vaste. La majeure partie de ces articles est consacrée à l’enseignement primaire et secondaire, mais des enquêtes ou des articles traitent aussi de l’enseignement supérieur, de la formation des adultes etc.
Chaque enquête présente différents aspects du sujet abordé, des réflexions, des témoignages ; une place est faite aux expériences étrangères. Sur chaque thème, les idées et les témoignages sont divers et souvent contradictoires, ce qui reflète la réalité complexe d’un constat objectif. Au lecteur de se faire sa…religion.
Inévitablement, certains mots sont employés dans des sens différents, ou se prêtent à plusieurs interprétations. Enfin, l’ensemble est agrémenté de quelques perles.
Cette série d’enquêtes a le mérite de bien montrer l’énorme travail de réflexion, de mise en ordre, de structuration, de clarification des objectifs, d’expérimentation sérieuse et donc de longue durée, de perfectionnement des enseignants, d’information des parents et des citoyens, qui s’impose désormais à la France en matière d’éducation et d’enseignement.
Nous donnons ci-après un rapide aperçu de quelques thèmes abordés – ou ignorés – dans cette série d’articles.
La transmission du savoir.
« Apprendre autrement »…, sans doute ! Mais la question posée depuis maintenant plus de 40 ans, de savoir si enseigner consiste à transmettre de ceux qui savent à ceux qui ignorent, ou au contraire à aménager des conditions telles que l’élève apprenne par lui-même, cette question essentielle n’est pas posée. L’opposition, ou l’éventuelle association de la transmission du savoir et du constructivisme, n’apparaît pas.
Certains des contributeurs vont plus loin : ils prouvent que cette transmission du savoir est désormais inutile, puisque les ordinateurs savent tout !
En effet, les élèves « savent que toutes les connaissances dans tous les domaines sont à la portée d’un clic » (16 mai).
« L’école n’est plus le seul endroit où l’on apprend. Ce qu’on enseigne est accessible en deux clics de souris » (31 mai).
Ces citations valent leur pesant de palmes académiques. Non seulement leurs auteurs excluent totalement l’ambition de contribuer, par la transmission de savoirs structurés, au développement intellectuel des élèves, mais en outre ils confondent deux notions bien différentes : la formation d’une part, l’information d’autre part. Il est vrai que notre langue permet d’employer le même verbe pour dire « je sais qui a gagné le Tour de France » et « je sais jouer du violon »
Peut-être faut-il aussi comprendre que les contenus des programmes ont été tellement appauvris ces dernières décennies que beaucoup d’élèves n’apprennent plus que des procédés qu’ils savent retrouver dans leurs machines ( sans parler de ceux qui glanent des citations dans l’ordinateur pour « produire » des « écrits » entièrement copiés collés).
L’ordinateur à l’école.
Puisque l’ordinateur sait déjà tout, ne suffirait-il pas de lui apprendre à enseigner pour qu’il remplace le maître ? Les auteurs ne vont évidemment pas jusque-là. Mais certains considèrent que pour donner aux élèves l’envie d’apprendre, l’ordinateur est devenu indispensable.
Dans le numéro du 17 mai, un professeur de mathématiques montre comment il utilise en calcul mental un système interactif qui affiche les réponses de tous les élèves, puis les noms des trois élèves les plus rapides qui apparaissent à l’écran sur un podium. Nous espérons qu’ensuite le professeur abandonne sa tenue d’entraîneur sportif pour faire réfléchir ses élèves aux diverses façons de mener un calcul mental et leur montrer que certains cheminements sont plus simples et plus élégants que d’autres.
D’autres contributeurs font nettement la différence entre l’apport ludique de l’ordinateur et l’acte d’enseigner :
Après la relation d’une expérience d’utilisation généralisée des ordinateurs dans des classes québécoises, la conclusion tombe : « le premier objectif, qui était de maintenir les enfants à l’école, est atteint. Maintenant on est devant un autre objectif : comment améliorer les résultats, les faire réussir ? » (17 mai).
« L’enseignement, c’est un maitre et des élèves. Le tableau noir ou l’ordinateur ne sont que des outils. » (23 mai).
Le plaisir d’apprendre.
Le 30 mai, une étude de l’OCDE montre qu’apprendre avec plaisir fait partie des objectifs en Europe du Nord et en Amérique du Nord, et que le Japon, la Corée du Sud et la Chine obtiennent des résultats, mais avec « une dimension de souffrance toujours présente ».
Entre le plaisir d’apprendre et la souffrance d’apprendre il y a, nous semble-t-il, une place pour l’effort d’apprendre, et même à certains moments pour l’ennui d’apprendre, effort et ennui que beaucoup considèrent comme nécessaires, alors que d’autres veulent les bannir par des pédagogies ludiques. L’effort d’apprendre n’exclut pas la satisfaction d’accroître continuellement son savoir grâce à l’école. Pour les adultes volontaires comme ceux qui suivent les cours du CNAM sans interrompre leur activité professionnelle (12 mai), il est naturel de trouver la contrepartie d’efforts très importants dans l’espoir d’acquérir des savoirs utiles.
Pour les enfants et les adolescents, un substitut se trouve dans l’espoir de diplômes, ce qui revient à apprendre pour apprendre. Mais, en vérité, ce dont ont besoin les enfants et les adolescents, c’est d’enseignants qui leur donnent envie d’apprendre (24 mai). Cela a toujours été le cas des bons enseignants, même sans ordinateur et sans l’aide de moyens sophistiqués, et sans recours aux pédagogies dites actives.
Malheureusement, pour des raisons auxquelles l’Education nationale s’attache mollement, trop de classes, du fait de la composition de leur public et des antécédents scolaires des élèves, sont devenues des enfers pour les maîtres et pour les élèves. Cette question n’est qu’effleurée dans l’enquête de LA CROIX; à noter toutefois (le 16 mai) : « beaucoup d’enseignants aujourd’hui ont peur des élèves ».
Au-delà des témoignages, fort intéressants, d’enseignants d’exception, les responsables de l’enquête n’ont manifestement pas cherché à connaître, sur tous les thèmes abordés, quels sont les idées et les sentiments des enseignants moyens, comment ils voient leur métier, quel regard ils portent sur eux-mêmes et sur leurs collègues.
Malgré ces lacunes, et quelques abus de formules(1), cette enquête présente utilement certains des composants de la question scolaire telle qu’elle se présente aujourd’hui.
(1) Apprendre, « c’est avant tout élever son niveau de conscience citoyenne » (9 mai).
« Il revient désormais à chaque enseignant de construire sa propre légitimité. Et ceux qui y parviennent le mieux sont ceux capables d’instruire tout en mettant en actes une éthique et un souci d’éducabilité, en projetant sur l’élève la possibilité de réussir, quel que soit son niveau » (20 mai)