L’imposture pédagogique
Isabelle STAL – Ed.Perrin 2008
Isabelle STAL, docteur en philosophie, est enseignante. Son livre décrit dans le détail un univers a priori impensable, de gens qui prônent des principes pédagogiques, tout en restant en dehors de la réalité des élèves tels qu’ils sont, leur but étant de changer ces élèves en ce qu’ils ne sont pas. Tout cela au nom d’illusoires sciences de l’éducation.
Or il ne s’agit pas de rêveries sans conséquence, car les pédagogistes – que l’auteur nomme aussi pédagologues – ont réussi à investir l’Education Nationale et à conditionner, dans un style totalitaire, une majorité d’enseignants. C’est de ces derniers que nous parle Isabelle STAL, d’autant mieux renseignée, et d’autant plus convaincante, qu’elle est elle-même professeur à l’IUFM de Nice, donc au cœur de la forteresse.
Les démonstrations s’enchaînent implacablement, les arguments s’appuient sur d’innombrables exemples. La description du fonctionnement de l’IUFM complète celle de "La Ferme aux professeurs", les instantanés pris en classe valent bien "Entre les murs".
Le style est vif, la lecture facile. On en sort assommé par l’implacable rigueur du réquisitoire.
A propos des pédagogistes et de leurs disciples enseignants, les formules abondent. En voici quelques exemples.
Citations
(Pour eux) "Les «contenus» (c’est-à-dire les connaissances) sont, à tout prendre, peu de choses au regard de la pédagogie, qui est la raison suprême de l’enseignement"
"… des maîtres dont la bonne volonté s’épuise en vain parce qu’on l’a privée de son ressort : le savoir, de sa finalité : la transmission, de son cadre : l’autorité …"
Les instituteurs : "… la télévision, l’ordinateur, ont peu à peu brouillé leur légitimité intellectuelle, au fur et à mesure que le savoir se trouvait supplanté par l’information".
"Les savoirs dégradés en information semblent convenir à n’importe quel esprit, fut-il le moins instruit et le plus négligent"
"La suspicion à l’égard du savoir, la réticence à instruire les élèves, si frappante chez tant d’enseignants …"
"… à force de démagogie et de relativisme culturel, ils ne savent plus très bien ce dont peut être capable un enfant normalement intelligent et correctement instruit".
" … on ne dit plus d’un enfant qu’il ne sait pas ou n’a pas compris la division, l’orthographe, etc… mais qu’il est «en cours d’acquisition»…" de sorte que nombre de jeunes entrent aujourd’hui en terminal à vingt et un ans révolus toujours en cours d’acquisition et doivent encore «découvrir» par eux-mêmes, bien sûr ! qu’on ne conjugue pas les adjectifs, que les verbes ne prennent pas de s au pluriel …"
"Tout leur effort, toute leur attention porte désormais sur les «dispositifs pédagogiques», non sur les résultats et bien souvent, quand ils ont usé des recettes conseillées par leurs formateurs, ils se tiennent quittes et abandonnent Kevin ou Sonia après les avoir déclarés «en difficulté»".
Au terme de la démonstration, on comprend pourquoi et comment notre système d’enseignement "où les enseignants feignent d’enseigner et où les élèves feignent d’apprendre"… "est sinistré, de la maternelle à l’université".
Puisse ce livre convaincre quelques-uns de ceux qui professent par principe que toutes les pédagogies se valent, ou encore que les progrès réalisés depuis plusieurs années grâce à la psychologie de l’enfant et la pédagogie ne peuvent être mis de côté sans dommage.
NOTE
Isabelle STAL et Françoise THOM ont publié en 1985 chez Juillard l’ouvrage "L’école des barbares" préfacé par Alain Besançon.
Les barbares, ce sont ceux qui nient le savoir, qui détruisent le respect du savoir ; alors "la faculté de raisonner s’obscurcit et la curiosité disparaît".
Etaient aussi décrits il y a vingt-cinq ans la machinerie intellectuelle et les réseaux de pouvoir qui allaient provoquer la débâcle de l’école.
Vos commentaires
Les Etats-Unis ont précédé la France
L’auteur observe un parallélisme étonnant entre l’évolution de l’enseignement secondaire aux Etats-Unis depuis le début du XXe siècle et en France cinquante ans plus tard. A ces époques, par suite de décisions politiques, l’enseignement secondaire devient un enseignement de masse et ses effectifs croissent rapidement. Dans les deux pays, cette généralisation a été le déclencheur d’une révolution pédagogique. De la démocratisation de l’enseignement, on est passé à une "éducation pour la démocratie" donnant la primauté au pragmatisme sur le rationalisme, et à l’expérience, la vie, l’action sur la raison.
Dans les deux pays, les résultats ont été également désastreux.