L’idéologie contre la transmission des savoirs
C’est ainsi que le recteur Michel Migeon prend nettement position en faveur du constructivisme : » l’optique constructiviste de l’appropriation des connaissances s’oppose à celle d’une transmission de celui qui sait à celui qui ne sait pas. La formation que nous avons reçue, notre histoire, le centralisme, notre vocabulaire conditionnent encore l’ensemble du corps social en faveur de cette conception. Aujourd’hui, il ne devrait plus être permis de douter : c’est bien chacun d’entre nous qui, depuis son plus jeune age, qui s’est lui-même construit. »
Il affirme encore : » Apprendre à lire est un apprentissage régi par les règles du constructivisme. »
Ces théories sont liées à celle du spontanéisme, selon laquelle, dans l’apprentissage réussi, tout dépend de la spontanéité de l’enfant.
Il ne pourrait donc exister qu’une façon d’apprendre, c’est de faire les choix par soi-même, de les comprendre également par soi-même.
Le constructivisme devient ainsi l’expression par excellence du spontanéisme pédagogique, puisqu’il est opposé de manière catégorique à la transmission des connaissances. L’enfant est ainsi obligé d’apprendre seul. La justification donnée par Migeon est typiquement scientiste : l’apprentissage, activité propre à l’enfant, se déroulerait conformément à une théories arbitrairement imaginées par des chercheurs, et qui n’a jamais été vérifiée en la confrontant à des faits d’observation. Par le constructivisme, on systématise la robinsonnade intellectuelle. C’est la forme moderne de l’abandon pédagogique des enfants.
Le constructivisme théorise en les poussant à l’extrême certaines idées de l’Education Nouvelle, concernant l’importance de l’activité de l’enfant dans l’apprentissage. Mais avec le constructivisme, il ne s’agit plus de la spontanéité des enfants, mais de la volonté délibérée de les contraindre à devenir des autodidactes scolaires. Cette démarche est justifiée au nom de modèles à prétention scientifiques sur la manière d’apprendre. De véritables pièges sont mis au point par des didacticiens : on oblige les enfants à deviner au lieu de comprendre, en obscurcissant délibérément la présentation des connaissances.
Dans la conception des nouveaux penseurs de l’école, l’élimination de la transmission s’accompagne généralement de la suppression d’un certain nombre méthodes d’enseignement fondées sur l’étude progressive des matières et sur l’automatisation des compétences fondamentales impliquées dans l’écriture, la lecture et le calcul. L’automatisation est favorisée par la répétition des exercices, elle dépend de l’entraînement. Il en va de même dans les activités sportives, quand on apprend à nager ou à skier. La rigueur pédagogique a déserté les bancs de l’école pour s’exercer dans les lieux où on pratique le sport. Curieusement, dans ces lieux, on ne prétend pas s’appuyer sur le constructivisme, et la rigueur pédagogique n’y est pas considérée comme une entrave la spontanéité.
Aux tâtonnements, aux ajustements réciproques imposés par la situation scolaire, on oppose un modèle hypothétique. La dimension humaine de l’école ne peut plus être prise en considération. En récusant des pratiques éprouvées au nom de conceptions qui s’avérant souvent arbitraires sur la manière d’apprendre, on transforme les enfants en "OBJETS SUR LESQUELS ON TRAVAILLE", selon la formule du recteur Migeon. On est loin de »l’épanouissement de l’enfant », rêvé par les tenants de l’Education Nouvelle. Ce dernier courant, en effet, voulait fonder sa démarche sur la prise en compte des personnes, et se réclamait de la psychologie de l’enfant.
Extrait de »La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs »
L.LURÇAT – F.X. De Guibert 1998