L’enfant de six ans et le départ global

Pourquoi les méthodes à départ global n’aident-elles pas suffisamment les enfants de 6 ans à " grandir " et ne leur permettent-elles pas toujours de s’engager dans un réel apprentissage de la lecture ?

En encourageant d’abord l’enfant à appréhender le mot écrit dans sa globalité et à mémoriser sa correspondance orale, on le traite en être immature qui ne peut lire que par reconnaissance des mots ramenés au statut d’image (" photographier ") alors qu’on devrait au contraire l’aider à quitter le registre imaginaire pour accepter les symboles; on le prive d’autonomie puisqu’on ne lui fournit pas d’abord la maîtrise du mécanisme qui permet l’accès au sens . Paradoxalement, alors qu’il s’agit pour l’enfant qui grandit de repérer et d’accepter la différence, on lui demande de rechercher du pareil, du semblable (retrouver le même mot). On le leurre en lui faisant croire qu’il peut lire ainsi, alors qu’il n’en a pas les moyens (l’imaginaire à nouveau). Cette démarche est démagogique (on fait plaisir à l’enfant) mais pas structurante.

Or les enfants un peu immatures se satisfont pleinement de cette situation, glissant rapidement de " photographier " à " deviner". Deviner c’est du côté de l’imaginaire, du tout est possible; l’enfant s’imagine que c’est lui qui peut décider du sens du mot. Il évite ainsi de se confronter à ce qu’un autre a écrit, de se confronter au code.

Mais quand il va s’agir ensuite d’entrer dans le registre du symbolique, de repérer par exemple les correspondances sons/graphies (les chercheurs reconnaissent depuis plusieurs années que c’est un passage obligé), il va leur falloir opérer un virage à 180°. Beaucoup s’accrochent alors au comportement antérieur (que l’adulte lui même a d’abord valorisé), essayant toujours de deviner plutôt que de faire l’effort de lire, c’est à dire de décoder ("déchiffrer") la phrase orale signifiante à partir de la phrase écrite. Il en reste cette approximation, qui persiste, on le constate, très tard dans le cursus scolaire.

F. Dolto soulignait en 1985 qu’elle était "tout à fait contre cette méthode car elle maintient en régression" (revue Naître et grandir); effectivement au lieu d’aider l’enfant à grandir on le ramène du côté de ce qu’il a précisément du mal à quitter…

Une des justifications des méthodes à départ global consiste à privilégier le sens en proposant d’emblée des textes étoffés. S’agit-il de sens quand l’enfant répète un texte appris par cœur ? Les enfants un peu immatures (ou dont le bagage linguistique est pauvre) se perdent dans la trop grande quantité d’informations proposée.

Le lecteur est à même d’accéder au plein sens d’un message écrit dans l’ exacte mesure où il a discerné les repères que ce message véhicule, repères phonétiques et rythmiques, renvoyant à la structure orale, repères syntaxiques (pluriel : s, ent), structuraux ( = rôle des éléments dans la phrase : a/à, et/est) qui différencient les sens possibles. Il n’y a de sens que s’appuyant sur un code : que p soit différent de b, c’est ce qui évite de prendre boule pour poule ! Le repérage des différences donne seul accès au sens.

L’apprentissage doit donner à l’enfant toutes facilités pour acquérir ce repérage, en s’appuyant sur ce qu’il connaît déjà de la parole et du langage oral.

Dans nos pratiques quotidiennes d’orthophonistes et de psychothérapeutes, nous avons constaté qu’adopter la démarche inverse (méthodes à départ global) et, voulant privilégier le sens, n’introduire les repères que dans un deuxième temps, conduit à laisser sur le bord du chemin nombre d’enfant qui se "contentent " d’une démarche non repérante (et donc régressive).

L’enrichissement du langage comme l’accès au sens doivent en effet être des objectifs prioritaires au CP ; mais confronter un enfant de 6 ans à des difficultés simultanées conduit le plus souvent à l’échec.

Il est donc préférable de proposer à l’ enfant , dans des temps différents :

– d’une part des textes à lire, faciles à comprendre, ne comportant que des mots dont les graphies sont impérativement déjà connues et maîtrisées.

– d’autre part des textes plus complexes qui seront lus par l’adulte, conçus pour permettre le travail sur le langage et la compréhension.

iThérèse CUCHE – Michelle SOMMER
Créatrices de la méthode "LIRE AVEC LEO ET LEA" – [www.leolea.org

Texte intégral consultable sur www.sauv.net rubrique Contributions 05/02]i

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