L’école ou la guerre civile

Philippe Meirieu, bourré de bonnes intentions, nous explique que la guerre civile qui se prépare et se développe à l’école, doit être combattue dès l’école en supprimant l’orientation prématurée, une sélection abusive, l’apartheid, l’échec social, la violence.

Si l’on n’est pas obligé de partager son analyse, on peut accepter l’idée que l’école doit jouer un rôle pour éviter ou résoudre des situations conflictuelles au sein de la société. Mais les voies proposées par celui qui depuis 10 ans est l’un des gourous de grande influence et de grand pouvoir peuvent susciter des réserves.

Sur la classe hétérogène (il s’agit ici du collège unique)

« La classe hétérogène systématisée, dans la nouvelle école obligatoire, répondra à une double exigence : d’une part, accepter les élèves tels qu’ils sont avec leurs différences, pour pouvoir les faire progresser ; d’autre part, apprendre aux élèves à travailler ensemble, non seulement en dépit, mais aussi en raison de ces différences »

Sur la paix sociale.


« En effet, la paix sociale se construit dès l’école : on commence à vivre ensemble et à se respecter dans la même classe. Les différences de niveaux, de méthodes et de points de vue, au lieu de servir de prétextes à des conflits, constituent un atout d’enrichissement mutuel. Un écart de niveau représentera une chance si le fort parvient à aider le faible » (page 106)

La solution : des classes le plus hétérogènes possible, la suppression de tout esprit de compétition, la négociation plutôt que la violence.

Que devient le rôle du professeur dans cet univers scolaire revu et corrigé ? Écoutons-le.

« Dans ce cadre, l’enseignant pourra devenir un véritable passeur, un médiateur qui permet à l’enfant de se comprendre, de comprendre le monde des hommes dans lequel il a surgi, qui lui apprend à s’y inscrire et à le prolonger. L’enseignant devient un tisserand de lien social. Il n’enseigne pas ce qu’il pense lui-même, ni ce que pense le groupe de pression auquel il appartient, ni la pensée dominante, ni la dernière mode intellectuelle. Il renonce à fabriquer l’autre. il met en place les situations et propose les savoirs nécessaires pour que le jeune (c’est nous qui soulignons), se fasse œuvre de lui-même, comme disait déjà le pédagogue suisse Pestalozzi au XVIIIème siècle.» (page156)

Rendons hommage à Philippe Meirieu. Il est l’un de nos idéologues les plus remarquables. Pour lui l’école doit essentiellement éduquer – droits de l’enfant, droits de l’homme, éducation à la paix, éducation à l’environnement – et très accessoirement instruire, ce qui n’est plus l’objectif. Mais en  entrant au collège plus de la moitié des élèves quittant le primaire ne sait pas lire couramment.

Enfin sur le droit à la différence

« Droit à la différence et droit à la ressemblance : deux exigences complémentaires

Le droit à la différence ne peut avoir de sens et de portée que s’il repose sur un droit fondateur à la ressemblance. Et c’est là notre conviction fondamentale : l’école obligatoire doit faire droit aux différences et leur permettre de s’expri­mer dans un creuset commun où les enfants apprennent à «faire société». »

Sur ce que doit être l’école

« l’école doit garantir, d’une part, des acquisitions culturelles qui permettent de se comprendre et de comprendre le monde dans lequel on vit, d’autre part, la construction de l’espace de parole qui condi­tionne toute société démocratique. »

Comment utiliser l’école dans ce sens ?


« Ces deux objectifs n’impliquent pas deux types d’activités scolaires différentes et juxtaposées : au contraire, ils s’articulent étroitement pour constituer la spécificité de l’apprentissage scolaire.

« Apprendre les mathématiques d’un côté, et, de l’autre, dans des cours d’instruction civique ou des exhortations collectives, à s’écouter mutuellement et à faire la paix serait totalement artificiel et inefficace. Mais il y a une manière de découvrir les mathématiques qui contribue à construire la paix et une autre qui prépare à la guerre : je peux apprendre le théorème de Thalès dans une classe animée par l’esprit de rivalité, où l’on ne réussit qu’au détriment des autres, où celui qui a raison est toujours le même… celui qui a les diplômes, celui qui crie le plus fort [1]. Ou bien je peux apprendre le même théorème avec un enseignant qui me montre en quoi cette formule mathématique a rendu les hommes plus intelligents et en quoi elle me délivre de quelques préjugés, dans une classe où les élèves s’entrai­dent pour réussir, dans un espace social où celui qui a rai­son est celui qui démontre le mieux en respectant les autres et en se faisant comprendre d’eux. »

« L’école obligatoire doit être capable de tresser en permanence des objectifs de connaissance et des objectifs sociaux de haut niveau. »  (Pages 100 – 111)

Il n’y a rien à ajouter, mais il se peut que les familles n’acceptent pas cette vision. Seront-elles entendues ? On peut en douter. Cela n’empêche pas le ministre de proclamer son désir de donner toute leur place aux parents, alors même que les professeurs ne sont ni écoutés ni entendus.

La lecture de cet ouvrage est une bonne introduction à comprendre l’incompréhensible de ce qui se passe à l’école.

L’école ou la guerre civile – Philippe Meirieu et Marc Guiraud, Plon 1997

[1]
Il est clair que Ph.Meirieu ne partage pas la vision des anglo-saxons, pour qui le sport, dans le respect de ses règles, est une composante majeure de l’éducation des adolescents. Car pour lui le sport prépare à la guerre : compétition perpétuelle, réussite des meilleurs… aux applaudissements du public.

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