L’autorité du savoir et non la loi du plus fort (2006)
PROPOSITIONS DE LA SOCIÉTÉ DES AGRÉGÉS DE L’UNIVERSITÉ
POUR SOUSTRAIRE VRAIMENT L’INSTITUTION, ET DONC L’INSTRUCTION,
AUX VIOLENCES SCOLAIRES
1 – Un préalable : rétablir clairement la valeur de l’instruction
2 – N’esquiver aucune question
A – Rétablir le maniement clair, correct et général de la langue française
B – Renoncer à la note dite "de vie scolaire" au Brevet
C – Refuser la dénaturation du métier de professeur
D – Amender enfin, de la manière la plus rigoureuse, la circulaire N° 2000-105 du 11 juillet 2000 sur l’organisation des procédures disciplinaires dans les collèges, les lycées et les établissements régionaux d’enseignement adapté
E – Définir des règles nationales pour l’architecture des locaux scolaires
F – Assurer la sécurité des élèves sur le trajet allant de leur domicile à leur établissement
G – Mettre réellement en œuvre la protection statutaire des fonctionnaires de l’Etat
La nécessité absolue de mettre fin aux manifestations de violence constatées en milieu scolaire, de les empêcher de se renouveler, et par conséquent de rétablir partout les conditions de l’instruction, n’est pas une préoccupation nouvelle pour la Société des agrégés de l’Université qui, dès le 10 mai 1993, avait soumis au Ministre de l’éducation nationale des propositions concrètes, renouvelées et complétées à plusieurs reprises, mais non suivies de décisions officielles.
Indigné d’apprendre qu’un jeune professeur d’arts appliqués avait été gravement agressé et blessé dans sa classe du Lycée Louis-Blériot d’Étampes, le 16 décembre 2005, par un lycéen de dix-huit ans, le Bureau de la Société des agrégés de l’Université a décidé de manifester au professeur son soutien et d’adresser au Ministre une vive protestation contre l’inadaptation ou l’insuffisance flagrantes des mesures prises ou envisagées, au regard de ce qu’il s’agit de rétablir, c’est-à-dire le respect absolu et effectif de l’institution scolaire. Le sentiment de peur, qui étreint un nombre sans cesse croissant de ceux qui fréquentent les établissements scolaires, apporte la preuve irrécusable que, dans certains collèges et dans certains lycées, la loi du plus fort a réussi à subvertir la loi de la République. Il résulte de cette subversion que ceux qui se croyaient à bon droit des professeurs, des élèves, des membres du personnel administratif, peuvent, faute de la protection appropriée et efficace que leur doit la République, devenir, pour des prédateurs habiles à tirer parti de ce rassemblement, des victimes exposées à des agressions de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes. Mais quand la loi du couteau transforme la transmission du savoir en un simple cadre circonstanciel pour des agressions préparées ou non, il devient nécessaire de rappeler que c’est la transmission du savoir qui doit faire la loi, et que l’autorité du savoir est incompatible avec celle du couteau.
Selon la Constitution de la République française, l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. C’est pour cela qu’aux fonctionnaires chargés de ce devoir, le statut général de la fonction publique assure la protection de l’État, selon les dispositions de l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Une agression commise contre un fonctionnaire de l’enseignement ne saurait être présentée comme relevant d’un état de fait inéluctable, de nature à remettre en cause la fonction originelle des professeurs. Elle est, à l’inverse, un scandale contraire à la protection que l’État doit, sans aucune réserve possible, assurer à ceux qu’il a chargés de la transmission du savoir. La fonction des professeurs est de transmettre le savoir et la culture à leurs élèves ou à leurs étudiants. La sécurité absolue doit être garantie à cette fonction indispensable.
A l’avis du Bureau, une agression commise dans un établissement scolaire suffit par conséquent à révéler indubitablement une faute de la collectivité nationale.
Invoquer la circonstance que cette faute ne figure pas dans une liste préétablie de “ fautes caractérisées ” (conférence de presse de la Mission d’inspection générale, le 17 janvier 2006) prouve seulement la nécessité de réviser les critères qui définissent actuellement ces “ fautes caractérisées ”. Elle ne saurait en aucune façon dispenser la collectivité nationale ni le Ministère de l’éducation nationale de rechercher et de reconnaître les erreurs et les fautes sans lesquelles les actes de violence n’auraient jamais pu commencer de se produire puis de se multiplier comme ils l’ont fait dans les établissements scolaires.
Qui peut croire qu’il existera un espoir de faire disparaître ces violences, si les erreurs et les fautes qui les ont favorisées ne sont pas identifiées, si le Ministère de l’éducation nationale ne consent pas pleinement à la réflexion promise, s’il ne consent en réalité qu’à persévérer, par quelques mesures, pour certaines dès longtemps préparées, dans ses erreurs et ses fautes antérieures ?
1.- Un préalable : rétablir clairement la valeur de l’instruction
Selon des sources nombreuses, et convergentes, c’est à partir de 1993 qu’a commencé de se produire une augmentation constante, non seulement de la gravité des actes de violence commis dans les établissements scolaires (énumérés par la circulaire n° 98-194 du 2 octobre 1998, ils justifieront la publication de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, relative aux délits d’outrages commis contre le corps enseignant), mais encore de leur nombre : environ 80.000 “ incidents graves” sont chaque année signalés par le système Signa, mis en service précisément en 1993, et le nombre réel des “ incidents ” qui forment le quotidien de beaucoup d’établissements est au moins trois fois supérieur.
La Société des agrégés de l’Université n’est donc pas seule à le dire : c’est bien à partir de 1993, c’est-à-dire quatre ans après le début de la mise en application de la loi du 10 juillet 1989 (dite “ loi JOSPIN ”) qu’a commencé de se manifester cette très grave dérive. Attachée au principe selon lequel l’organisation de l’enseignement doit être fixée par la loi, la Société des agrégés de l’Université s’est maintes fois interrogée sur la conformité générale des dispositions de la “ loi JOSPIN ” avec les principes de la Constitution : une loi, qui fixe un droit, peut-elle définir un pourcentage d’accès à des diplômes nationaux, comme le fait l’article 3 de la “ loi JOSPIN ” ? La Société des agrégés de l’Université a donc regretté que le Conseil constitutionnel – lequel a annulé en 2005 plusieurs articles de la “ loi FILLON ” et ainsi ôté toute portée législative à son rapport annexé – n’ait eu, en 1989, à se prononcer ni sur la portée législative de la “ loi JOSPIN ” ni sur celle du rapport qui lui fut annexé (et qui fut publié au Journal officiel sans avoir été discuté par le Parlement). Comme la Société des agrégés de l’Université l’a maintes fois dénoncé, c’est sous l’effet direct des dispositions de cette loi (et de son rapport annexé) que s’est développée la violence en milieu scolaire, parce que les dispositions de ces textes sont constamment inspirées par un relativisme hypocrite à l’égard de la valeur du savoir, seule source légitime de l’autorité du professeur, seul motif capable de rendre possible que des élèves qui étudient puissent le faire tranquillement.
Là où le Ministère de l’éducation nationale aurait dû s’efforcer de garantir à chaque élève la possibilité d’accéder AU savoir, c’est-à-dire d’acquérir un ensemble cohérent de connaissances, autrement dit l’instruction, la “ loi JOSPIN ” lui propose d’acquérir UN savoir, et de rapporter la valeur des contenus d’enseignement, des connaissances et des méthodes à “ son projet ” personnel d’épanouissement (article 8 de la “ loi JOSPIN ”), comme si, précisément, le savoir n’avait pas de valeur en lui-même, et ne méritait d’être acquis qu’à proportion des avantages concrets qu’un jeune esprit peut en attendre.
Il est nécessaire de rappeler, une fois de plus, les multiples attaques lancées par cette loi contre l’autorité légitime du corps enseignant : définition, par la loi, de pourcentages d’accès “ au niveau du baccalauréat ” ; passage dans la classe supérieure rendu, pour cette raison, quasi automatique ; scolarité rendue, ainsi, quasi indépendante des résultats scolaires, et donc indépendante des appréciations scolaires, devenues tout aussi inutiles que les conseils relatifs aux efforts, à la quantité de travail ou au soin à y apporter ; constitution de classes totalement hétérogènes du point de vue des capacités scolaires des élèves et prêchi-prêcha de la pédagogie officielle sur la “ gestion de l’hétérogénéité ” des classes (fuies par tous ceux qui le peuvent, à commencer, par les propres enfants des théoriciens de la “ gestion de l’hétérogénéité des classes ”).
Or les professeurs ne peuvent contribuer à la réussite scolaire de leurs élèves quand la loi encourage ces derniers à contester systématiquement, au nom de leur “ projet personnel ”, l’intérêt de la géographie, celui de la géographie des États-Unis, celui de l’étude des Montagnes rocheuses, celui des zones préservées etc… Ils ne peuvent enseigner si la loi autorise leurs élèves à ignorer leurs avis, à traiter leurs exigences, même les plus ordinaires (travailler, essayer de se concentrer etc…), comme données négligeables. Ils ne peuvent accepter d’être plus longtemps les souffre-douleur de la démagogie au service de l’irréalisme le plus farfelu.
Le développement de la violence en milieu scolaire ne sanctionne donc pas la faillite des principes traditionnels du système éducatif français, mais celle de leur abandon.
La Société des agrégés de l’Université admire qu’il reste encore au corps enseignant quelque chose de son autorité légitime, alors qu’elle a été systématiquement attaquée par des initiatives officielles, soutenant ce qui aurait dû être désavoué, et désavouant ce qui aurait dû être soutenu. Pierre BOURDIEU n’a-t-il pas été élevé au rang de “ sage ” et chargé (en 1988-1989) de présider une commission de réflexion sur le contenu des formations secondaires, alors qu’il avait désigné l ‘enseignement comme un acte de “ violence symbolique ” (sic) ? Monsieur MEIRIEU n’a-t-il pas été chargé (en 1998) de conduire la consultation intitulée “ Quels savoirs enseigner dans les lycées ?” (sic) alors qu’il avait désigné publiquement la raison comme une puissance “ colonisatrice ” (resic), tandis que le Ministre responsable de sa désignation, Monsieur Claude ALLÈGRE, ne craignait pas, pour sa part, de désigner les membres du corps enseignant comme des “ profs ” (resic) et son administration comme “ un mammouth ” à “ dégraisser ” (resic) ? La grossièreté de l’expression n’aura – hélas ! – pas rebuté le “ rapporteur spécial ” devant l’Assemblée nationale du projet de budget pour l’année 2006, puisque Monsieur Lionnel LUCA, après avoir fait part de sa conviction qu’il “ faut remettre les enseignants au travail ” (sic), croit pouvoir constater que “ le mammouth n’était pas si facile à dégraisser ” (resic). Bref, comme la consultation récente de la presse permet – hélas ! – de s’en convaincre, le Ministère de l’éducation nationale aura, par la voix de personnes qu’il avait officiellement investies de responsabilités éminentes, trop souvent donné une forme de caution à des déclarations qui sonnent comme autant d’insultes délibérées, par exemple : “ en France, on a encore tendance à considérer que la qualité d’un enseignant se mesure au nombre d’élèves qu’il fait trébucher ”, Monsieur MEIRIEU, in Le Monde du 14 septembre 2005. Or l’existence même du Ministère de l’éducation nationale est là pour le faire savoir : ce qui doit empêcher que la devise de la République reste un mythe, c’est l’école ; ce qui doit empêcher (et peut seul empêcher) la reproduction des inégalités sociales, c’est l’école ; affecter, comme le font certains, de croire que l’école reproduit les inégalités sociales est faire affront, délibérément, aux garanties que donne un système national d’enseignement en matière d’égalité d’accès au savoir ; c’est dissimuler, volontairement, que les inégalités, croissantes depuis 1993, résultent non pas de l’organisation de ce système national d’enseignement, mais de sa remise en cause par l’idéologie du “ projet ” personnel de l’élève. L’acquisition de l’instruction aide à trouver sa place dans la société. Il est indispensable que la collectivité nationale fournisse toutes les aides, notamment financières, nécessaires afin que chacun puisse accéder à l’instruction. Mais il ne faut pas dissimuler que l’acquisition de l’instruction demande aussi beaucoup d’efforts et de travail. Les élèves les plus désireux de s’instruire, trompés par la facilité des études au collège, ne parviennent pas, ultérieurement, à s’adapter aux exigences des études supérieures, à moins d’appartenir à une famille avertie qui aura décidé, précocement, de les entraîner à l’effort. Certes adoptée sans mauvaises intentions, la métaphore de l’ “ ascenseur social ” se révèle extrêmement nuisible, par l’espoir de facilité qu’elle fait naître. C’est gravement tromper les élèves que de leur laisser croire à l’existence d’un “ ascenseur social ” qui devrait, et cela par la seule vertu motrice du “ projet ” personnel , propulser chacun à l’étage de son choix, sans qu’il lui en coûte le moindre effort, sauf celui – en cas de panne prévisible – d’une réclamation de la part des élèves et des parents, que cette seule comparaison fonde à se comporter en usagers, puis en créanciers grincheux.
Chasser la violence des établissements scolaires, et d’abord celle des élèves entre eux, requiert de commencer par rétablir clairement les valeurs fondatrices de l’école, la primauté du savoir, la valeur d’une véritable instruction, la vertu de l’effort, la joie de la découverte et la beauté de l’étude rigoureuse.
Seule la confiance en la valeur absolue de l’instruction peut fonder de manière incontestable l’autorité du corps enseignant. Dans les professeurs s’incarne une institution fondamentale de la République. Là est la source de leur autorité, et non dans leurs dispositions psychologiques personnelles.
Cette conviction guide la Société des agrégés de l’Université dans son appréciation des mesures officielles, qu’elles soient décidées, envisagées ou implicitement exclues.
L’autorité du savoir – N’esquiver aucune question
A) Rétablir le maniement clair, correct et général de la langue française.
Voyant dans le maniement clair et correct de la langue française une condition essentielle de la substitution du dialogue à la violence, la Société des agrégés de l’Université approuve la décision prise par le Ministre, Monsieur Gilles de ROBIEN, de prescrire la remise en cause des méthodes dites “ globales ” ou “ semi-globales ” qui se sont révélées nuisibles à l’apprentissage de la lecture, et de remettre à l’honneur la méthode alphabétique. Elle demande en outre que les épreuves du concours de recrutement des professeurs des écoles soient réformées afin que les candidats à l’enseignement élémentaire soient sélectionnés non pas selon leur capacité de seulement “ traiter un thème ayant trait à la grammaire ”, mais selon leur capacité de parfaitement connaître et savoir mettre en oeuvre sans erreur les règles de la grammaire et celles de l’orthographe françaises. Cette capacité doit être vérifiée également chez les candidats aux concours de l’enseignement secondaire, quelques disciplines qu’ils enseignent. Le régime des épreuves doit en tenir compte.
Le fait que le maniement clair et correct de la langue française fasse partie intégrante d’une formation simple mais très précoce à la civilité ne devrait plus être dissimulé et devrait au contraire figurer plus nettement dans les instructions de l’école élémentaire, école maternelle comprise. Il faut que les professeurs des écoles soient par exemple clairement autorisés à corriger l’emploi du langage bas, emprunté innocemment à la rue par les très jeunes élèves, et dont l’usage ne cessera ensuite d’entretenir la violence, alors que l’appropriation d’un langage structuré et nuancé est pour l’enfant la seule occasion de sortir de soi et de devenir homme. Il ne serait sans doute pas inutile non plus de remettre à l’honneur, à l’école élémentaire, la copie régulière de ces préceptes simples, depuis dénoncés comme faits de “ violence symbolique ”, mais qui formèrent naguère (ou jadis) en chacun les rudiments de sa civilité: pourquoi un élève du cours préparatoire, au début du troisième millénaire, ne pourrait-il comprendre, par exemple, ce précepte : “ je suis plus grand que je n’étais hier, donc il faut que je sois plus sage ” ; ou bien “ je serai toujours exact à l’école ” ? Dans l’enseignement secondaire, l’emploi d’un langage relâché doit faire l’objet d’un rappel à l’ordre systématique, quand bien même certaines outrances verbales pourraient laisser croire cette entreprise irréaliste. Les professeurs, témoins les plus fréquents de ces excès, doivent être assurés du soutien de toute l’institution : personnel d’éducation, chef d’établissement, et tous représentants de cette institution. De manière générale, il faut savoir ôter aux trublions le plaisir de diviser pour régner.
B) Renoncer à la note dite “ de vie scolaire ” au Brevet
La Société des agrégés de l’Université renouvelle sa ferme opposition à la prise en compte, pour l’attribution du Brevet, d’une note de vie scolaire. L’attribution du diplôme national du Brevet doit sanctionner la valeur scolaire de l’élève et conserver le caractère d’une évaluation autonome par rapport à l’appréciation de son comportement : une note de camaraderie ne saurait compenser des lacunes dans l’acquisition du savoir. L’instauration d’une note dite “ de vie scolaire ” au Brevet ne peut avoir d’autre effet que de ruiner le caractère impératif de la ponctualité, de l’assiduité, du respect des règles de la politesse, de l’observation de la discipline prescrite par le règlement intérieur de l’établissement, alors qu’il est nécessaire au contraire que soit obtenu de chaque élève qu’il respecte, complètement et scrupuleusement, les exigences du fonctionnement d’un établissement scolaire : le règlement intérieur n’est pas un texte que l’on peut respecter plus ou moins, mais une règle dont le respect s’impose à tous. De plus cet article 32 de la “ loi FILLON ” se révélera vite inapplicable, à moins d’engendrer, par l’arbitraire qu’il entraînera inévitablement, les conflits auxquels il espérait mettre fin.
La Société des agrégés de l’Université demande en revanche qu’en cours d’année il soit fait état, dans les bulletins scolaires, de la qualité du comportement de l’élève et de son respect à l’égard du règlement intérieur.
C) Refuser la dénaturation du métier de professeur
Le Ministère de l’éducation nationale a d’abord le devoir de prévenir et de faire disparaître les situations de violence. Il serait odieux qu’il demande aux IUFM de préparer les professeurs débutants à affronter ces situations, comme si elles faisaient normalement partie de l’exercice quotidien du métier. Il serait certes plus loyal d’avouer aux professeurs débutants que ces situations constituent autant de graves anomalies, de ne pas leur dissimuler celles des décisions officielles qui ont fini par substituer, à des ambiances scolaires normales, des “ climats ” scolaires pleins de violence. À l’avis de la Société des agrégés de l’Université, dispenser aux lauréats des concours de l’enseignement une formation pratique ne saurait en aucun cas consister à tenter de les habituer à l’idée qu’il leur appartient de compenser les conséquences désastreuses des erreurs et des fautes commises par les pouvoirs publics.
La Société des agrégés de l’Université dénonce à cet égard la confusion, entretenue principalement par les écrits de la CDIUFM (Conférence des directeurs d’instituts universitaires de formation des maîtres), entre une préparation aux conditions “ réelles ” de l’enseignement et une préparation à des conditions “ difficiles ”, implicitement présentées comme normales, et ne peut ignorer que ces confusions tentent essentiellement de justifier l’existence des IUFM. Elle dénonce le caractère scandaleusement tendancieux, exclusif (et de plus médiocre) des bibliographies prescrites aux professeurs stagiaires par les représentants des sciences de l’éducation dans les IUFM. Elle voit dans ces bibliographies le véhicule d’une pensée unique et celui de l’aberration fondamentale par laquelle les IUFM ont tout fait pour ruiner l’autorité légitime du corps enseignant, en développant constamment cette idée que l’autorité d’un professeur est largement indépendante de sa compétence dans sa discipline, et cette idée aussi que sa compétence proprement “ professionnelle ” ne procéderait pas de la maîtrise des connaissances qu’il doit transmettre. Elle demande au Ministère de l’éducation nationale de prêter attention au témoignage des professeurs stagiaires sur cette entreprise de déstabilisation de la fonction enseignante. Découvrir tel ou tel “ climat d’établissement ” ne devrait en aucun cas conduire à tenter de persuader les professeurs stagiaires que tout est relatif et qu’ils doivent s’adapter à tout, cependant que les propagandistes de l’adaptation à la difficulté y soustraient souvent leurs propres enfants.
D) Amender enfin, de la manière la plus rigoureuse, la circulaire n° 2000-105 du 11 juillet 2000 sur l’organisation des procédures disciplinaires dans les collèges, les lycées et les établissements régionaux d’enseignement adapté.
La Société des agrégés de l’Université approuve l’idée directrice de cette circulaire, à savoir que les procédures disciplinaires appliquées en milieu scolaire doivent être conformes à des règles nationales, et celles-ci conformes aux principes généraux du droit.
Mais elle constate avec indignation que la rédaction de la circulaire, bien loin de se conformer à cette orientation générale, aura favorisé l’expression de comportements violents à l’égard du corps enseignant. Car il semble bien que, dans de nombreux cas, des élèves se rendent compte de l’appui que donne à leur indiscipline, voire à leur violence, la rédaction confuse et insinuante de ce texte. Bien loin d’apporter aux professeurs une représentation univoque des moyens légaux de la discipline scolaire, les formulations de ce texte tendent à présenter les établissements comme des zones de non-droit où régnerait, à l’initiative du corps enseignant, un arbitraire abject. La refonte de ce texte est indispensable. Il faut par exemple en supprimer cette disposition selon laquelle, hormis l’exclusion définitive, “ toute sanction est effacée automatiquement du dossier administratif de l’élève au bout d’un an ” : il est intolérable que, de la sorte, des professeurs reçoivent sans aucune information dans le nouvel établissement des élèves qui se sont déjà rendus coupables, ailleurs, de comportements violents.
Il faut mettre fin à la situation actuelle, dans laquelle les principaux et proviseurs n’ont d’autre choix que de conserver dans l’établissement un élève insociable ou de le faire inscrire dans un autre établissement, ce qui inspire à cet élève un sentiment d’impunité voire d’immunité, mais qui suscite aussi un sentiment d’impuissance et de malheur chez ses condisciples et ses professeurs. Il faut donc créer des structures éducatives renforcées, mais dans lesquelles on doit s’abstenir d’inscrire indifféremment des élèves délinquants et des élèves en grande difficulté scolaire, sur lesquels les premiers exerceront une influence désastreuse.
E) Définir des règles nationales pour l’architecture des locaux scolaires
La Société des agrégés de l’Université demande que soient définies des règles nationales pour la construction des locaux scolaires et que soit créée une commission nationale de surveillance de l’exécution des travaux (afin d’empêcher certaines aberrations architecturales ou certains défauts d’exécution). La sécurité des élèves, celle des professeurs, celle du personnel, ne peuvent être garanties, par exemple, que si les établissements sont enclos. En la matière, comme, en général, en matière d’architecture scolaire, ce sont bien des règles nationales qui doivent s’appliquer : il est par exemple inacceptable que la hauteur de la clôture d’un collège ne puisse dépasser un mètre parce que le plan d’occupation des sols (POS) puis le plan local d’urbanisme (PLU) l’auront interdit.
F) Assurer la sécurité des élèves sur le trajet allant de leur domicile à leur établissement
La Société des agrégés de l’Université n’est pas favorable à l’idée d’attribuer un “ policier référent ” à certains collèges ou lycées, car cette mesure, prise par définition pour une liste limitative d’établissements, aurait pour effet inévitable de stigmatiser durablement tous les élèves qui les auraient fréquentés, alors qu’il appartient au contraire au Ministère de l’éducation nationale de remédier aux causes du développement de la violence dans ces écoles, ces collèges, ces lycées précis. Il va de soi en revanche que la mise en oeuvre d’une procédure d’enquête administrative, éventuellement de sanction administrative, à propos d’un acte de violence ne sauraient faire obstacle, aussi bien de la part du représentant de l’État dans l’établissement que de la part du professeur concerné, au dépôt d’une plainte au commissariat de police, accompagnée de la consignation des faits dans la main courante. Seuls les fonctionnaires de police peuvent d’autre part assurer la protection efficace des élèves, lorsque ces derniers circulent entre leur domicile et leur établissement, contre les trafics de drogue, le racket, les tentatives de séduction exercées par des adultes. Il serait nécessaire de dispenser de façon systématique, même aux élèves les plus jeunes, c’est-à-dire à ceux qui fréquentent l’école maternelle, des explications très simples qui leur permettraient principalement de reconnaître une tentative de racket, de savoir à qui ils doivent demander de l’aide en pareil cas. Il faudrait aussi faire comprendre aux élèves plus âgés, qui effectuent seuls le trajet allant de l’école à leur domicile, qu’en aucun cas ils ne doivent consentir à se laisser accompagner par une personne qui ne se serait pas fait connaître de la direction de l’établissement en présentant la preuve d’une autorisation parentale.
G) Mettre réellement en oeuvre la protection statutaire des fonctionnaires de l’État
Dès 1993, et à de multiples reprises, la Société des agrégés de l’Université a réclamé que, soit sous la forme d’une circulaire publiée au BO, soit sous la forme d’un livret individuel d’information, les professeurs disposent d’un guide juridique relatif aux conduites à tenir en présence d’un comportement inquiétant ou violent. Il est heureux que le Ministère s’avise enfin de l’utilité de cette demande. L’expérience acquise en effet par notre association à l’occasion de la permanence (téléphonique et épistolaire) qu’elle assure chaque jour à l’intention de ses sociétaires lui permet d’affirmer qu’informés de certaines règles générales du droit administratif et pénal, les professeurs offrent une résistance plus efficace aux agressions exercées contre leurs élèves ou contre eux-mêmes. La Société des agrégés de l’Université s’est indignée d’apprendre (par la presse) qu’à l’occasion de la conférence de presse tenue le 17 janvier 2006, la Mission d’inspection générale, chargée de l’enquête administrative sur l’agression perpétrée le 16 décembre, avait cru pouvoir souligner que le professeur n’aurait pas alerté les personnes qui convenaient dans les formes qui auraient convenu. À l’avis de l’association, le Ministère de l’éducation nationale est d’autant moins fondé à ce genre de reproche qu’il s’est toujours refusé à la diffusion auprès du corps enseignant de l’information sobre, sérieuse, objective, qui serait nécessaire. Le Guide juridique de l’enseignant (CRDP de Poitou-Charentes, 2003) ne saurait en tenir lieu, et cela non seulement parce qu’il est inadmissible que le Ministère de l ‘éducation nationale laisse l’un de ses services faire commerce (en l’occurrence, pour le prix de 25 €) de l’information qu’il a le devoir de fournir gratuitement, mais encore en raison du contenu même de ce prétendu Guide juridique de l’enseignant : bibliographie délibérément orientée, illustrations dégradantes qui en disent long sur le crédit que les auteurs accordent à l’intellect du corps enseignant, aveux doctrinaux sans surprise : “ Ainsi le professeur n’est plus l’unique diffuseur de savoirs, mais il doit prendre en compte les différents partenaires : usagers (élèves), collègues et parents. Comme le dit Bernard Charlot, l’enseignant doit donner envie d’apprendre et non enseigner ” (p. 55). Ce qui se veut un Guide juridique de l’enseignant ne serait-il pas plutôt un guide idéologique, et, finalement, une agression à lui tout seul ?
Le livret d’information que réclame la Société des agrégés de l’Université doit énoncer les termes de l’article 11 de la loi n° 83-634 portant statut général de la fonction publique, ainsi que les principaux textes juridiques (loi relative au délit d’outrage, notamment). Il doit énumérer et définir les abus contre lesquels les professeurs (et les fonctionnaires en général) doivent être protégés dans l’exercice de leurs fonctions : menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations, outrages. Il doit mettre en évidence le devoir de l’État d’agir au nom du professeur, pour défendre celui-ci, et lui assurer la réparation des préjudices subis. Il doit renseigner le professeur sur les démarches qu’il peut ou doit lui-même accomplir, désigner l’autorité qui doit être saisie en chaque cas, éclairer les conséquences de décisions telles que la constitution de partie civile. Dans l’éventualité de semblables démarches, un cours de droit administratif, ainsi qu’un cours de correspondance administrative doivent être dispensés aux professeurs stagiaires.
Conclusion
La Société des agrégés de l’Université s’inscrit en faux contre le mythe actuellement entretenu par certains d’une défiance, voire d’une hostilité réciproque entre parents et professeurs, professeurs et élèves. Elle n’a cessé de proposer des mesures simples et, croit-elle, de bon sens, propres à rétablir la sérénité dont tous les élèves ont besoin pour étudier. Il faudrait par exemple remettre en cause certains usages, tels le recours systématique, avant la sanction, à des avertissements répétés (et faire savoir clairement, à l’occasion du premier avertissement, qu’il n’y en aura pas d’autre) ou l’habitude de consigner les élèves en se bornant à les envoyer, entre deux cours, dans la salle d’étude, où ils ne feront que perturber leurs condisciples. Les consignes doivent avoir lieu le mercredi et le samedi après-midi. Il faut pour cela des moyens, comme il en faut pour empêcher que les lycées soient investis par de jeunes adultes venus narguer de trop rares surveillants et terroriser les élèves. La lutte contre la violence scolaire demande incontestablement des moyens, mais elle demande d’abord une volonté.
Pour le Bureau
Le 12 avril 2006
Geneviève ZEHRINGER