Vaincre l’illettrisme, ça commence au CP !
Compte- rendu d’une journée organisée le 8 février 2012 par SOS Education, en partenariat avec les associations Lire-Ecrire, Le Droit de lire, Trans-Maître, Respect 93, Plus jamais Zéro, et le collectif d’associations Permis de Lire!
Plusieurs thèmes majeurs ont été abordés.
La souffrance des enfants, et des parents.
Des parents ont exposé le calvaire de leurs enfants, victimes de méthodes pédagogiques totalement inadaptées ; ils ont fait part de leurs propres souffrances et de leur indignation.
Sonia Imloul, créatrice de l’association Respect 93, insiste sur la nécessité de détecter le plus tôt possible les enfants qui « décrochent» et alors d’agir auprès des parents, ce que ni l’école ni les services sociaux ne sont parvenus à faire jusqu’à ce jour. « Des enfants sont condamnés à 6 ans ! »
Anne-Marie Gaignard, fondatrice de l’association Plus jamais Zéro qui vient en aide aux enfants en grande difficulté scolaire. Elle crie son indignation d’avoir dû attendre l’âge de 36 ans pour être informée que ses problèmes personnels n’étaient pas pathologiques, mais causés par les pédagogies constructivistes et globales. « Arrêtez le massacre ! ».
Rachida Dati parle de son cas personnel. Son père a appris à lire à 45 ans alors qu’elle était en CP. Elle affirme le rôle que devrait avoir l’école dans l’insertion des enfants défavorisés, et l’importance de la prévention.
Experts et chercheurs.
Frank Ramus, directeur de recherche au CNRS, laboratoire de sciences cognitives et psycho linguistiques, esquisse l’état de la recherche et présente les résultats d’une étude américaine déjà ancienne.
Les résultats concluent nettement en faveur de la supériorité des méthodes d’apprentissage phoniques (qui s’appuient sur les sons de la langue parlée), sur les autres méthodes, notamment idéo-visuelles (reconnaissance des mots à leur silhouette, interdiction faite aux enfants de parler à haute voix, etc…).
[Ces résultats ne sont pas étonnants, puisque l’écriture n’est pas autre chose que la représentation conventionnelle de la parole. Ce qui est étonnant c’est que des administrations, en France et ailleurs, aient pu tolérer ce genre de méthode NDLR]
Par contre l’étude en question ne permettait pas de trancher entre les méthodes « phoniques-synthétiques » c’est-à-dire la méthode syllabique ou alphabétique et les méthodes « phoniques-analytiques » qui partent des mots pour arriver aux associations graphèmes-phonèmes, et qui sont l’équivalent de nos méthodes mixtes.
Mais ceci ne prouve pas que les méthodes se valent, cela veut simplement dire qu’il faudrait approfondir les recherches.
Brigitte Étienne et Françoise Cousin, orthophonistes très expérimentées, rappellent que les enfants qu’elles aident souffrent beaucoup trop souvent, non pas d’affections personnelles, mais simplement des conséquences des méthodes mixtes.
Elles font alors du rattrapage scolaire, ce qui n’est pas leur vocation.
Elles reconnaissent que, si on n’aide pas ces enfants le plus tôt possible, cela devient carrément pathologique.
Elles affirment que :
– tous les élèves peuvent apprendre en alphabétique
– la méthode alphabétique force l’attention des enfants sur les mots, au bénéfice de la prononciation (et de l’orthographe)
– elles ne constatent aucun progrès au cours de ces dernières années, qui serait dû au fait que les instituteurs diminuent le temps consacré au départ global au profit du mixte.
– ce sont les élèves qui ont fait le plus d’efforts en mixte qui sont les plus marqués mentalement
– l’ordinateur n’a pas d’utilité dans l’apprentissage de la lecture, sauf en phonologie, car il permet de multiplier les exercices sur les sons.
Joseph Vaillé, qui travaille en collaboration avec Élisabeth Nuyts, se consacre à l’aide aux personnes en difficulté, enfants comme adultes.
Il développe l’importance de la parole, nécessaire pour que l’enfant devienne pleinement conscient.
Il donne des exemples d’entrave à la parole prônés par des pédagogues fous : interdire aux enfants de parler en lisant (le scotch sur la bouche), écrire sans parler, fermer mentalement les yeux les oreilles et la bouche, (fermer les volets, la porte et jeter la clé) etc.
De même qu’il y a des graphothérapies, il y a des logothérapies ou logopédagogies.
L’exemple de l’Angleterre
Exposés de Élizabeth Nonweiler et Rhona Johnston.
En raison de la complexité de l’écriture et de la prononciation anglaise, qui compte beaucoup plus de graphèmes que le français et d’innombrables phonèmes, il était admis jusqu’à présent que la méthode alphabétique n’était pas la plus performante pour l’apprentissage de la lecture, et qu’il était préférable d’enseigner des syllabes (comme ce fut le cas anciennement en France). L’inconvénient est que les syllabes sont très nombreuses.
En pratique, les méthodes les plus répandues sont mixtes.
. En 95-97, Rhona Johnston a procédé à une étude expérimentale en Écosse
Cette expérience consistait à conserver l’enseignement habituel mixte en ajoutant quelques séquences en alphabétique (phonique-synthétique) (2 × 15 minutes par semaine et au total 4H45) pour des enfants ayant entre quatre ans et demi et cinq ans et demi, en petits groupes.
Neuf mois après l’expérience, ces enfants avaient trois à cinq mois d’avance sur les autres.
. Cette étude a permis de déclencher en 97-2004 une étude officielle plus étoffée sur 300 enfants, en trois groupes
– enseignement standard mixte
– mixte plus un programme de reconnaissance des sons (conscience phonémique)
– alphabétique pour les enfants défavorisés
cela à raison de 20 minutes par jour pour les séquences additionnelles.
L’expérience a été interrompue au bout de 16 semaines car les résultats étaient tels que les enseignants n’ont pas voulu priver les enfants des deux premiers groupes d’un enseignement alphabétique.
. Les années 2005 et 2006 ont été consacrés à la réflexion, et en 2007 était publié le décret "Letters and sounds" prônant la méthode alphabétique. Un programme détaillé était envoyé à chaque école.
En 2011 était publié un catalogue de ressources
et en 2012 le document « Phonics screening check » (test)
L’Etat a financé la dotation des écoles pour l’enseignement phonique-synthétique
. Depuis, l’évolution de l’enseignement est lente car il y a toujours chez les enseignants beaucoup de réticences, de résistance au changement, et des méthodes qui ne marchent pas :
– mémoriser des mots entiers (et demander aux élèves d’apprendre tant de mots, le «stock de mots»)
– deviner à partir de la première lettre du mot
– deviner le mot d’après une image
– deviner le mot d’après le sens.
Lorsque les enseignants ajoutent un peu de phonique-synthétique dans leurs leçons, cela ne marche pas, car ce qui est efficace, c’est de travailler intégralement en phonique-synthétique.
En effet, en mixte, beaucoup d’élèves qui ont des notions alphabétiques préfèrent deviner, car c’est plus simple.
L’enfant qui ne sait pas lire demande « quel est ce mot ?»
l’enfant qui sait lire demande « quelle est la signification de ce mot ?
. En Angleterre, les écoles sont classées par niveau selon leurs résultats, qui sont publiés. Si l’école a un bon niveau, on lui laisse la liberté pédagogique. Si elle est faible, on forme les enseignants à la méthode alphabétique.
Les inspecteurs ne sont pas là pour juger, mais pour aider à évoluer vers des pratiques efficaces.
Enfin, l’étude 97-2004 a montré que les enfants des milieux défavorisés obtenaient des résultats identiques, voire supérieurs, à ceux des milieux favorisés. Et les garçons étaient à égalité avec les filles, alors que les études internationales classent mieux les filles.
[En conclusion, et transposition au problème français, on peut remarquer que l’intervention du pouvoir politique n’est certes pas suffisante, mais qu’elle reste nécessaire pour lever les freins NDLR]
Les praticiens.
Claude Huguenin, (association Le Droit de Lire) qui a conçu La Planète des alphas, explique comment cette méthode favorise l’accès à la conscience phonémique, en évitant dans un premier temps la formalisation par les lettres, tout en donnant aux enfants des représentations mentales associées aux sons : des personnages d’un conte de fée et de sorcière, sur la planète des alphas et la planète des bêtas.
Ainsi les enfants peuvent-ils associer les sons d’un mot à une suite de personnages. Enfin l’histoire raconte comment les personnages vont se déguiser en lettres.
Brigitte Guigui (association Trans-Maître) institutrice depuis 30 ans, esquisse son évolution personnelle, sa formation avec les méthodes héritées des anciens, la rupture après1989 et la loi Jospin (faisant du constructivisme la doctrine officielle de l’Education Nationale), sa résistance avec la méthode Boscher, la montée de l’échec scolaire, des changements positifs à partir de 2006 avec Gilles de Robien et Xavier Darcos.
Cependant elle constate depuis quelques années une importante dégradation de la calligraphie et de la rédaction.
Elle estime indispensable une réforme profonde de la maternelle, en lien avec le CP :
– en petite section : développement du langage par imitation et imprégnation
– en moyenne section : développement de l’expression corporelle, des travaux pratiques, du dessin, des gestes de la main (tenue du crayon)
– en grande section : graphisme, développement de la précision, chant, poésie, début de la lecture-écriture : lettres et mots simples
– en CP : âge de raison, passage à l’abstraction, lecture et écriture en simultané.
Marc Olivier Sephiha (Collectif Permis de Lire!), professeur de français dans un collège classé en zone prévention violence.
Il présente les résultats concernant des tests (dictées) qu’il a fait passer aux élèves de la 6ème à la 3ème : la quasi-totalité font des fautes par rapport aux sons.
Il a créé des ateliers de remèdiation sur 20 heures.
Michael Devaux (association Trans-Maître) professeur de philosophie et formateur en IUFM.
Il donne un éclairage sur la formation des maîtres, en rapport avec l’apprentissage de la lecture. Il rappelle que la liberté pédagogique implique le droit certes mais d’abord la capacité de choisir entre les méthodes et pratiques. Il est donc nécessaire que l’IUFM enseigne sans a priori plusieurs méthodes et pratiques, aucune n’étant ni totalement bonne ni totalement mauvaise. Dans cet esprit, un enseignement doit être consacré aux progressions pédagogiques, par l’étude comparée de manuels différents.
Il constate que beaucoup d’étudiants arrivent à l’IUFM l’esprit "déstructuré". Il s’interroge sur la création d’une licence spécifique pour les étudiants souhaitant enseigner dans le primaire.
La journée a été conclue par les propos d’Andréï Makine, écrivain de langue française, né en Sibérie, qui exprime son amour de notre langue.