J’ai choisi un poste de remplaçante (2002)
J’ai choisi un poste de remplaçante : ma mission consiste à effectuer des remplacements plus ou moins longs dans des classes allant de la maternelle à la classe de CM2, ce qui me permet de voir de nombreuses écoles. Je suis devenue institutrice après avoir élevé cinq enfants.
Le passage en IUFM
J’ai passé le concours d’une école normale d’instituteurs (devenue IUFM, lorsque j’y suis entrée) et subi deux années de formation plus pédagogique et idéologique que pratique. Nous avions des cours de toutes les disciplines enseignées à l’école et des cours de psychopédagogie. Je m’attendais à faire une grande révision, cela me semblait évident qu’un instituteur devait avoir une bonne connaissance de ce qu’il allait devoir enseigne. Je me trompais, nous allions être entraînés à faire des fiches pédagogiques.
Une fiche pédagogique est une préparation de cours précisant les objectifs pédagogiques dans le jargon approprié et expliquant le déroulement de la séance : il s’agissait surtout de mettre les enfants en situation de découvrir et de construire la leçon à partir de leurs découvertes. J’ai réalisé par la suite que le savoir ne faisait pas partie de la formation d’un instituteur.
Le premier stage
Mon premier stage a été un stage d’observation et s’est déroulé en CP. C’est là que j’ai découvert comment on apprenait maintenant à lire aux enfants. On était en janvier, les enfants devaient lire un petit texte photocopié composé par la maîtresse ; après une lecture silencieuse, les enfants qui avaient trouvé ou deviné les mots nouveaux venaient les murmurer à l’oreille de la maîtresse. Un peu plus tard ces enfants commençaient à lire à voix haute, les autres essayaient de suivre, le doigt sur n’importe quel mot, n’importe quelle ligne, sans pouvoir s’appuyer sur des lettres ou des syllabes. Ils étaient sans repères. Ensuite pendant que les plus rapides coloriaient, j’aidais l’institutrice à faire lire les plus faibles qui n’avaient rien compris à la façon de s’y prendre et qui étaient incapables de s’inventer une méthode.
Une leçon particulière : comment aider les enfants
Comme je me demandais comment aider ces enfants, mon professeur d’IUFM est venu me montrer comment on apprenait à lire aux enfants.
Il faut d’abord trouver un livre dont les illustrations correspondent bien au texte et puissent aider l’enfant à en découvrir le sens. Le professeur a passé un certain temps à montrer le livre à l’enfant en lui posant des questions sur ce qu’il voyait et qui devait lui permettre de faire des hypothèses sur le sens. Puis ils ont commencé à lire : le professeur lui montra le dessin du lapin et le mot « lapin » et l’enfant dit « lapin », l’enfant lisait les mots qu’il connaissait, en devinait d’autres à l’aide des illustrations et le professeur lui donnait ceux qu’il ne trouvait pas.
Voilà comment on apprend à lire en lisant et que l’enfant fait l’expérience que lire c’est comprendre. C’est la méthode de l’Association Française pour la lecture(AFL) dont un des maîtres à penser est Foucambert qui est toujours dans les hautes sphères du ministère de l’Education nationale.
Sur l’IUFM : les conclusions
Pendant ces deux années nous avons subi une sorte de lavage de cerveau, nous avons reçu la bonne parole pédagogique qui nous a éclairés sur ce qui était déconseillé donc interdit c’est-à-dire tout ce qui se faisait avant dans les temps reculés de l’obscurantisme pédagogique. Le cours magistral qui rend l’élève passif, la grammaire traditionnelle trop compliquée, la méthode syllabique qui demande à l’enfant d’ânonner des syllabes artificielles et qui n’a jamais appris à lire, la lecture à voix haute réservée à la communication, etc. … Il vaut mieux éviter les leçons de grammaire et faire de la grammaire sans en avoir l’air, on ne peut, paraît-il, réfléchir sur la langue avant l’âge de douze ans. Quant à l’orthographe, elle n’a plus l’importance qu’elle a eue, ce n’est pas dramatique, du moment qu’on se comprend, c’est l’essentiel.
J’avais l’impression qu’à force de vouloir donner du sens à tout, on en arrivait à perdre le bon sens. La pédagogie qui n’est qu’un moyen devenait un objectif . Et quelle pédagogie ! Mais je voulais sortir institutrice et il fallait donc essayer d’appliquer ces méthodes dépourvues de bon sens.
La méthode active amuse peut-être l’élève et stimule son intérêt mais je crois qu’il faut passer plus de temps à répondre aux questions qu’à se les poser et la réponse ne peut venir entièrement des élèves. Pendant les stages, quand un professeur venait évaluer ce que je faisais, ma seule crainte était d’en dire trop aux élèves, je devais les mettre sur la piste, stimuler leur curiosité, animer la recherche mais pas enseigner : l’enfant n’est pas une page blanche, il ne faut pas enseigner ce qu’il sait déjà ni ce qu’il est capable de trouver seul, l’enfant doit être actif et autonome, il cherche et découvre ce dont il a besoin. A l’instituteur d’être inventif, de trouver le point de départ de la recherche, ludique si possible. De toutes façons, l’instituteur n’enseigne plus, il ne transmet plus directement les connaissances, il anime une recherche.
Dans toutes les matières, c’est la même méthode basée sur la découverte : il faut tâtonner et la phase de découvertes débouche sur l’acquisition d’une notion. Parfois c’est bien long, les élèves se lassent et la découverte est assez pauvre. Le fin du fin, c’est d’aller jusqu’au bout du tâtonnement, de la recherche, jusqu’au bout des fausses pistes afin de pouvoir exploiter les erreurs. Les enfants bien souvent n’ont pas une attention parfaite, il leur arrive de faire un mélange de vérités et d’erreurs et de garder en mémoire toutes les bêtises qui ont été dites. La phase de découverte, qui est longue, tient lieu d’explication. On fait peu d’exercices ; d’ailleurs les manuels en proposent peu et les exercices répétitifs sont déconseillés dans les programmes de Jack Lang qui sont toujours d’actualité.
La découverte à tâtons mène souvent à une connaissance très légère de notions floues parce que, la plupart du temps, on n’a pas clarifié, reformulé, structuré ce qui a été découvert. Et on ne peut en vouloir aux enseignants qui font ce qu’ils peuvent avec les méthodes qu’on leur conseille.
On a rejeté le « par cœur » sous prétexte qu’il n’était que répétition, donc activité inutile. Si apprendre par cœur un texte mal compris ne sert à rien, apprendre par cœur une leçon bien expliquée et bien rédigée permet à l’enfant d’exercer sa mémoire, d’enrichir son vocabulaire, de retenir des constructions de phrases et de facilement exprimer ses connaissances.
……
Voilà ce qu’on apprenait à l’IUFM il y a dix ans. Le bon sens a repris un peu le dessus par endroit mais nous ne sommes pas sortis de toutes ces élucubrations. Les promoteurs de ces méthodes sont encore en activité et bien placés et ils ont formé les jeunes professeurs des écoles.
En dix ans, j’ai vraiment vu le niveau baisser
Après l’IUFM, j’ai décidé de faire des remplacements pour visiter les écoles, me faire une idée avant d’en choisir une. Neuf ans après, je visite toujours. J’avais hâte d’avoir ma classe et d’y enseigner comme j’en avais envie mais j’ai réalisé qu’on n’était pas vraiment libre de choisir sa méthode. C’est un métier qui demande beaucoup de travail personnel, si en plus il faut supporter une situation conflictuelle pour pouvoir enseigner comme on le veut, cela demande une grande résistance et des concessions difficiles à accepter .
J’ai donc continué à faire des remplacements, j’ai vu partout les méthodes de l’IUFM appliquées avec plus ou moins de bonheur et en dix ans j’ai vraiment vu le niveau baisser, le niveau d’enseignement comme le niveau des élèves . Par exemple, au début des années 90, les enfants apprenaient la division en CE2, maintenant elle est très souvent abordée en fin de CM1 quand ce n’est pas en CM2. Ce sera bientôt au programme de la 6ème.
Dans les remplacements il y a tout de même des contraintes mais elles sont passagères. En effet comme je suis de passage dans les classes, je ne peux perturber les élèves et changer de méthode. J’ai donc employé ces méthodes que je n’aime pas et j’ai joué à découvrir le sens avant de m’occuper des lettres et des sons ( j’insistais quand même sur les syllabes).
En une dizaine d’années, j’ai passé quand même une semaine dans un CP où les enfants avaient eu la possibilité de déchiffrer. L’année était bien avancée et je m’attendais à ce qu’ils sachent à peu près lire. Mais ils lisaient tous très bien et quelques-uns beaucoup mieux que certains élèves de CM que j’avais rencontrés par-ci, par là. Quand ils se trompaient, ils regardaient les lettres, ils se corrigeaient en s’appuyant sur elles et non sur le sens hypothétique de la phrase, ils savaient même reconnaître le verbe et son sujet (ce qui aide à la compréhension de la phrase).
Le plus gros problème est celui de la lecture
Le plus gros problème actuellement est celui de la lecture, compétence de base qui conditionne la suite de la scolarité. Beaucoup d’enfants ont du mal à apprendre leur leçon d’histoire ou de géographie parce qu’ils sont incapables de déchiffrer les noms propres et de les retenir . Apprendre à compter est une chose, (parfois difficile parce qu’au lieu de simplifier, on complique tout), résoudre des problèmes en est une autre et demande de bien savoir lire afin de comprendre l’énoncé. La plupart du temps quand un enfant ne trouve pas la solution d’un problème, c’est qu’il n’a rien compris à ce qu’il raconte, c’est la lecture qui pose problème.
A la maternelle, c’est la méthode globale intégrale : on reconnaît d’abord son prénom, puis ceux des autres, puis d’autres mots. Les enfants doivent se constituer un stock de mots. Certains enfants arrivent à reproduire leur prénom, d’autres pas.
Au CP, dans presque toutes les classes ils sont mis face à un texte fait de phrases courtes et très simples. Ils doivent s’entraîner à en reconnaître les mots et à les « lire ». De temps en temps ils apprendront un son sorti du texte mais toute l’année, ils auront à lire des textes dont ils ne connaîtront pas tous les mots ni toutes les lettres, ils devineront, reconnaîtront les mots à leur silhouette, à leur forme globale, se tromperont et recommenceront. La plupart des enfants se débrouillent et arrivent à lire en fin de CP ou de CE1. Les autres auront peut-être droit au RASED, réseau de soutien qui comprend psychologue, rééducateurs et maître d’adaptation (enseignant qui fait du rattrapage) ou bien seront abonnés pendant longtemps à la séance chez l’orthophoniste.
J’ai eu pendant six mois une classe d’adaptation. Je m’occupais d’enfants en difficulté dans une école et toute la journée, je prenais des enfants ou seuls ou en petits groupes. Ceux que je prenais seuls, c’étaient ceux qui ne savaient pas lire du tout. Ainsi un garçon de 10 ans qui était en CE2 après avoir passé deux ans en CP et autant en CE1 et qui avait bénéficié de soutien dans la classe d’adaptation pendant ces quatre années ne savait pas lire un seul mot. Il avait dû, je pense, être rééduqué de façon ludique sur ordinateur. C’était un garçon très logique, incapable d’inventer et j’ai utilisé la méthode syllabique (admise pour la rééducation) en commençant vraiment par le B.A BA. En le prenant 3 ou 4 fois par semaine vingt minutes, malgré une résistance forte au début devant l’effort à faire, au bout de ou 4 mois il commençait à déchiffrer. Quand je suis partie, il lui manquait encore pas mal d’heures d’entraînement.
Je pense que j’ai vraiment apporté une aide à ces enfants qui en avaient besoin mais je sais aussi pour l’avoir vécu à l’intérieur d’une classe que ces enfants qui quittent la classe une heure ou une demi-heure de temps en temps manquent une partie de ce qui est fait en classe et que cela m’a souvent posé un problème. Il faut une coordination parfaite pour que les autres pendant ce temps ne fassent pas quelque chose d’important.
Je me souviens aussi d’un remplacement effectué en CP dans une ZEP il y a 6 ou 7 ans. La directrice qui avait un peu de temps et voulait me montrer la méthode de lecture m’a fait une démonstration. Nous étions début décembre et les enfants connaissaient déjà pas mal de mots courants. La séance commençait par la lecture silencieuse d’un petit texte photocopié (comme partout), on s’occupait ensuite de découvrir le sens du texte. L’institutrice posait des questions mais comme les enfants n’avaient rien compris de ce qu’ils venaient de lire (j’avais l’impression qu’elle ne s’en rendait même pas compte), cela tenait plutôt d’une séance de devinettes. Les enfants répondaient n’importe quoi et pour obtenir des réponses satisfaisantes, la maîtresse se surpassait, elle arrivait à induire les réponses et j’admirais son talent d’accoucheuse de sens. C’était assez acrobatique mais enfin on avait trouvé ce que voulait dire ce texte. Venait ensuite le moment où on se lançait dans la lecture à voix haute, et là, si le sens était conservé, les mots étaient souvent remplacés par d’autres de sens à peu près équivalent. Cet exercice de lecture était difficile et très long pour un bénéfice qui m’apparaissaient léger pour ne pas dire nul ; la matinée était bien entamée et je comprenais pourquoi, dans le cahier des enfants, il n’y avait que deux ou trois lignes d’écriture tous les deux jours.
L’apprentissage de l’écriture est vraiment négligé. A l’IUFM, pas une minute n’y a été consacrée (sur deux ans !). En grande section de maternelle, on demande souvent aux enfants de copier des mots entiers ou des phrases en cursive alors qu’ils n’ont jamais appris à écrire les lettres et surtout ne savent pas à quoi elles servent. On appelle cela écriture alors que c’est du dessin et qu’il est souvent très mal reproduit. Au CP aussi, on passe sans logique de l’écriture de lettres à celle de mots dont les lettres ne sont pas connues des enfants. On laisse les enfants tenir leur « outil scripteur » comme ils le veulent, cela donne des écritures illisibles et la plupart des gauchers écrivent la main posée au-dessus de la ligne d’écriture. Comment reprocher cela aux enseignants à qui on n’a rien appris en la matière ?
C’est terrible de voir ces petits enfants mis en difficulté dès le début de leur scolarité. C’est à la fois un drame humain et un énorme gaspillage d’intelligence et de moyens. Il faudrait pouvoir chiffrer le coût de la rééducation et, comme elle est bien souvent inefficace, le coût ajouté de la délinquance et de l’exclusion. On se contente de proposer du soutien aux enfants en difficulté de lecture, on refuse de vérifier si la méthode est ou n’est pas en cause.
Après le CP, on passe à la lecture courante. On revient un peu à la lecture à voix haute mais comme les enfants lisent mal, c’est difficile à supporter pour la classe et l’exercice le plus courant et le plus conseillé est la lecture silencieuse suivie de quelques questions pour vérifier la compréhension. Les questions sont très simples et bien souvent il faut recopier la phrase dans laquelle on dit que … , c’est de la devinette et de la copie. Dès que la réponse demande une compréhension plus fine du texte, il y a beaucoup d’erreurs. Quand on lit à voix haute, il y a souvent des erreurs de mots, un mot confondu avec un autre qui lui ressemble (des erreurs de silhouette).
Il arrive que le maître propose le maintien dans la classe pour un enfant qui ne sait pas lire et que cela gênera encore plus dans la classe supérieure mais il suffit d’une lettre des parents ou bien que l’enfant ait déjà du retard pour qu’il soit admis dans la classe supérieure. C’est comme cela qu’un enfant peut arriver en 6ème sans savoir lire. Ces élèves incapables de suivre parce qu’on n’a pas su leur apprendre à lire non seulement sont handicapés pour toute leur vie mais en plus ils perturbent la classe et gênent le travail des autres.
……
On ne peut plus continuer à ne rien faire d’efficace, à faire croire que le niveau monte, que tout n’est qu’un problème de moyens tout en consacrant d’énormes dépenses à des actions dispersées qui n’améliorent pas grand chose et exaspèrent les enseignants. Il s’agit de laisser l’initiative aux enseignants dans le choix des méthodes et aux parents dans le choix de l’école : les résultats des enfants décideront de ce qui est efficace ou ne l’est pas et le débat sur les méthodes s’appuiera non pas sur des théories mais sur des expériences.
Novembre 2002