Instruire aujourd’hui à l’école primaire (fin)
Résumé des exposés des journées Trans-Maître
Mathématiques
. Laurent Lafforgue, professeur à l’IHES, répond à la question "Pourquoi enseigner le calcul et la géométrie au primaire ?". Les mathématiques sont indispensables aux sciences de la nature. Elles sont aussi le signe d’une réalité supérieure qui s’impose à l’esprit humain. Les enfants apprennent que les êtres et les choses qui les entourent peuvent être mesurés, comptés, que des formes peuvent être définies avec précision, et que ces représentations mathématiques, abstractions communes à toutes les choses, sont aussi communes à tous les humains : les résultats des comptages et des mesures sont indépendants de celui qui le fait. Elles vont bien au-delà de la simple description. Elles donnent "une expérience immédiate de la transcendance de la vérité".
Laurent Lafforgue insiste sur le rôle du langage dans les mathématiques. Le raisonnement mathématique s’exprime par la parole, et se fixe par l’écriture. "En mathématiques, on ne peut pas écrire n’importe quoi". Il est important que les élèves rédigent eux-mêmes, et sous une forme correcte, leurs raisonnements.
. Marc Le Bris, instituteur, expose ce que devraient être les fondements des progressions en calcul et géométrie de la maternelle au CM.
En préambule, il rappelle qu’une bonne pédagogie doit s’adapter à la diversité des élèves, de leurs façons de penser, de réagir mentalement à ce qu’on leur dit, et de mémoriser. Il présente deux cas extrêmes. L’un, d’un élève qui spontanément structure ce qu’il sait et généralise en créant son propre ordre, ses propres règles, et qui cherche à insérer chaque apport nouveau dans cette structure, pour confirmer ou infirmer les "règles" précédentes, et si nécessaire, changer l’ordre qu’il met en permanence dans les savoirs qu’il acquiert. A l’opposé, le cas d’un élève qui ne sait pas apprendre autrement qu’en retenant tout en l’état brut. Marc Le Bris fait l’hypothèse que tous les élèves se placent entre ces deux extrêmes.
Quant à la progression, qui devrait d’abord être conçue dans son ensemble, non seulement jusqu’au CM mais au-delà, il importe de bien voir que chaque notion doit être enseignée différemment à chaque âge : on n’enseigne pas l’addition de la même façon à 4, 5, 6 ou 7 ans. C’est ce que Marc Le Bris appelle une progression verticale. Il développe un autre exemple avec la notion de carré et montre comment elle peut être abordée différemment de la maternelle au CM2.
C’est ainsi qu’une progression bien conçue ordonne l’immense variété qui s’impose au maître : des milliers d’objets à enseigner, des dizaines de types de personnalités d’élèves.
Enfin, si la compréhension est l’objectif de l’enseignement, il faut reconnaître dans le primaire la nécessité absolue d’enseigner des automatismes, des procédures, etc…
. Le calcul au CP par Brigitte Guigui, institutrice. Son exposé commence par la démonstration du procédé le plus employé aujourd’hui : celui des fiches (souvent photocopiées) que l’on remet aux élèves comme principal outil de travail et moyen d’apprendre. On les voit même utilisées en CE1 comme des devoirs à faire à la maison, ce qui suppose qu’elles se suffisent à elles-mêmes. Or ces fiches ne sont en général que des assemblages hétéroclites et superficiels de notions présentées dans le désordre. La fiche fournit une illusion d’apprentissage. Travailler avec des fiches, c’est travailler sur des représentations que l’enfant n’aura pas créées lui-même à partir du concret.
Il faut donc remettre à sa place l’ardoise, la craie, le cahier réglé, les objets pour les additionner, multiplier, partager, etc… Et surtout les doigts de la main, pour la numération et le calcul sur les nombres jusqu’à 5 puis les deux mains pour la dizaine, qui, par le système décimal, amènera progressivement l’élève à la notion d’infini.
. Le calcul mental au CM par Vincent Fontaine, instituteur. Actuellement les élèves entrant en CM manquent d’agilité en calcul mental, et d’abord il leur faut connaître par cœur les tables d’addition et de multiplication.
En CM, le calcul mental doit être quotidien, et Vincent Fontaine décrit les divers exercices qui, par leur répétition, visent à construire des mécanismes dans l’esprit des élèves, tels que : multiplications (réponses sur les ardoises levées), lecture de chiffres de longueurs différentes, emploi de représentations matérielles : barres, cubes…, conversions d’unités, petits problèmes dont la résolution implique d’abord d’en comprendre l’énoncé oral, puis de retenir et énoncer.
Questionner un élève : "Comment as-tu fait ?" permet à tous de prendre conscience de leur propre processus mental.
. "Qu’en est-il de l’école aujourd’hui ?"
En conclusion de ces deux journées, Jean-Louis Thevenet, professeur de lettres classiques, analyse la crise de l’école et les forces négatives à l’œuvre depuis 40 ans. Il évoque "la mise au rebut de l’instruction désintéressée, gratuite en ce sens, et obligatoire, au moins au sens d’un devoir moral"
Il appelle en retour à une culture authentique et humaine, contre la culture dévaluée, prête à l’emploi, objet de production et de consommation de masse. Il prône le retour à l’instruction, à un enseignement de valeur qui ne peut être destiné à tous, parce que les exigences de confort et de liberté sont très grandes, et considérés par la plupart des familles comme des droits acquis des enfants.