Généraliser l’enseignement de l’informatique ?

Un rapport de l’Académie des Sciences a préconisé de rendre obligatoire l’enseignement de l’informatique dans le primaire, le secondaire et l’enseignement supérieur. Les auteurs manifestent un enthousiasme rafraîchissant, que nous regrettons de ne pouvoir partager.

Avant d’aborder les propositions, il est bon de bien différencier les termes "informatique" et "numérique", puis d’évoquer les justifications d’un tel enseignement.

Ce rapport intitulé "L’enseignement de l’informatique en France – il est urgent de ne plus attendre » peut être téléchargé. 

Informatique et "numérique".

L’informatique est la science du traitement de l’information ; en tant que telle elle repose sur la recherche de haut niveau. Elle recourt largement aux outils mathématiques.

L’informatique est aussi un ensemble de techniques de programmation, c’est-à-dire l’écriture codée des instructions à donner aux machines pour opérer tel ou tel traitement de l’information ; cette programmation se fait en divers " langages" et incorpore divers algorithmes.

Le rapport insiste sur le fait que, si les applications et usages de l’informatique évoluent très rapidement, si les langages évoluent aussi, "la science informatique est fondée sur un ensemble stable et homogène de concepts et de savoirs" car elle "n’est pas différente selon les disciplines". Il ne faut donc pas confondre concepts généraux et déclinaisons particulières.

La science et les techniques informatiques se prêtent ainsi à un enseignement explicite, structuré, progressif.

Le "numérique" tire son nom du fait que les instructions transmises aux machines sont des successions de chiffres 0 ou 1 (bit – un octet = 8 bits).

Dans le langage courant, ce terme couvre tous les usages de l’informatique et les matériels qui supportent les applications. Ces usages reposent entièrement sur l’informatique, mais ils ne sauraient être confondus avec elle.

L’enseignement du "numérique" serait donc celui des usages, qui n’a pas grand sens puisque les plus jeunes d’entre nous s’initient très facilement. L’apprentissage des applications complexes relève de la formation professionnelle.

("L’enseignement numérique", inscrit dans la récente Loi de Refondation de l’école, reste largement à définir en tant qu’ensemble de moyens pouvant contribuer utilement aux processus pédagogiques).

Les motifs avancés par l’Académie des Sciences en faveur de la généralisation de l’enseignement de l’informatique.

Le premier motif est la constatation que l’informatique envahit progressivement toutes les activités humaines, comme par exemple le domaine médical et le domaine artistique. L’ignorance des fondements et les modalités de l’informatique comportent un double danger : celui d’une régression de l’esprit scientifique vers la magie ("tout est possible"), celui de la manipulation des idées, car les informations résultant de divers traitements peuvent occulter les informations brutes authentiques.

Face à ce danger bien réel, l’enseignement devrait favoriser un supplément de culture, notamment dans la compréhension des phénomènes informatiques et numériques.

Le second motif invoqué est que la France manque de bons professionnels informaticiens, à tous les niveaux : techniciens, ingénieurs, chercheurs et savants, et, bien entendu professeurs. 

Les professionnels devraient posséder une maîtrise suffisante de la science informatique pour faire face aux évolutions futures des techniques.

Ce motif milite en faveur d’un enseignement de haut niveau, qui existe déjà en partie dans l’enseignement supérieur, et qui doit coexister avec le renforcement de l’enseignement des mathématiques.

Au demeurant, c’est la base de la pyramide, c’est-à-dire l’enseignement donné à tous, qui nourrit le sommet de la pyramide professionnelle.

Les propositions de l’Académie des Sciences.

Elles couvrent toute la scolarité, de la maternelle à l’enseignement supérieur. Il s’agit d’initier tous  les élèves aux particularités de la pensée logique du traitement de l’information

Au passage, le rapport épingle quelques croyances naïves qui se sont fait jour dans les programmes scolaires et les pratiques maintenant déjà anciennes, telles que :

– la vision réductrice centrée sur l’équipement : "offrir un ordinateur à chaque élève entrant au collège ou équiper chaque classe d’un tableau blanc interactif (…) n’est qu’une façon inefficace de se dédouaner d’un problème réel"

– les TIC, technologies de l’information et de la communication, sont qualifiés par le rapport "d’outils à savoir utiliser sans trop penser".

TIC, curieuse association d’une science, l’informatique, et de la communication ou com’, nouveau métier consistant principalement à manipuler le langage.

Sur ces sujets, notre association s’est largement prononcée depuis des années, allant ainsi contrer la mode toute puissante.

Maternelle et primaire.

Le rapport propose un objectif de découverte des concepts et notions les plus simples. Il met l’accent sur l’enseignement "débranché", c’est-à-dire à l’écart des machines, et impose des limites à l’enseignement "branché".

• En mode "débranché", de nombreux exercices et jeux peuvent initier à la logique du traitement de l’information, et d’abord à la mise en évidence de l’information pertinente pour traiter un problème. D’autres exercices permettent de concevoir, pas à pas, la succession d’instructions élémentaires permettant d’aboutir au résultat recherché, préfigurant ainsi la notion de programme.

• En mode "branché", la programmation ne peut être abordée que sous la forme de "langages de programmation adaptés à leur âge". Il s’agit simplement de montrer, d’illustrer le résultat d’un traitement simple, de façon que cet enseignement soit "un prétexte pour s’interroger sur le fonctionnement des objets informatiques".

Au collège, "articuler sciences et techniques".

Au collège, peut être abordée la programmation avec les rudiments d’un langage de programmation, tout en approfondissant l’enseignement des concepts et notions scientifiques "par un cours magistral qui construit une pensée structurée".

Une approche trop technique de la programmation doit être compensée par le travail en amont qui consiste à analyser un problème pratique, à le reformuler en propositions logiques, à définir les informations, à construire un schéma d’un traitement logique.

Cette réflexion en amont de la programmation se place naturellement dans le cadre de projets concrets, où la programmation trouve sa place relative.

D’autres initiations peuvent se faire de manière "débranchée".

Au lycée, "consolider les savoirs et savoir-faire, pour tous les élèves de toutes les filières".

A condition évidemment que le primaire et le collège aient rempli leur mission, le lycée va permettre de reprendre tous les concepts et leur articulation : information, algorithmes, langages, programmation, machine.

Le rapport propose de moduler l’enseignement selon les filières.

L’enseignement supérieur.

On conçoit aisément les caractéristiques d’un enseignement supérieur pour tous les professionnels de l’informatique, aux différents niveaux. Le rapport préconise de renforcer largement ce qui existe.

Pour les étudiants des filières autres que scientifiques, le rapport propose la création d’un "volet généraliste destiné à approfondir leur culture générale dans ce domaine" assisté d’un volet "dépendant plus spécifiquement du métier auquel ils se destinent". Le risque principal étant que "dans certaines filières, les formations se centrent sur l’utilisation d’outils, sans réflexion sérieuse sur les concepts sous-jacents".

 Nos conclusions.

Bien que non professionnels de l’informatique, nous adhérons aux constats et aux conclusions d’un rapport argumenté et nuancé.

Nous approuvons plus particulièrement l’accent mis sur la compréhension des concepts et sur la culture générale, contre l’enseignement utilitaire ou même purement ludique. Le rapport se place ainsi dans la tradition ancienne de notre enseignement général.

Cependant, nous devons marquer notre désaccord sur une mise en application immédiate des propositions.

En effet, la science informatique est fondée sur les mathématiques, sur le raisonnement logique. Or, l’enseignement des mathématiques dans le primaire et le secondaire est dans un état de décomposition avancée, totalement incompatible avec les exigences du rapport quant aux fondements conceptuels de l’informatique.

Rendre obligatoire cet enseignement n’aura de sens que lorsque l’enseignement général aura été totalement rénové, particulièrement en français et en mathématiques, ce qui implique un haut niveau d’exigence et bien entendu un travail de fond dès le primaire et même la maternelle.

Il serait étonnant que le nouveau Conseil des Programmes en prenne le chemin.  Nous le saurons … plus tard.

Dans l’immédiat, nous ne voyons qu’une application pratique de ce rapport : réserver l’enseignement de l’informatique à la minorité des élèves maîtrisant les disciplines fondamentales et d’un niveau nettement supérieur à la moyenne, au collège et au lycée. On peut supposer que, pour eux, on trouverait les enseignants qualifiés.

Nous maintenons l’exclusion de cet enseignement dans le primaire, qu’il convient de protéger du "numérique".

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