Présidentielle 2017 : Primaire 2016 – François FILLON

Nous avons déjà dans ce site abordé la présidentielle avec la recension de deux ouvrages d’Alain Juppé et François Fillon.
Comme nous l’avons fait en 2005 – à propos de la Loi Fillon – en 2007 et 2012, nous analyserons les propositions des candidats dès qu’ils seront connus. En avant-première, nous croyons utile d’examiner les propositions des candidats à la ou les primaire(s).
   

Les propositions de François Fillon sont présentées dans un document intitulé "Education, parce que tout commence par là". Ce texte de 7 pages serrées avance beaucoup de propositions que nous approuvons. Mais il comporte aussi de graves lacunes, des imprécisions, ambiguïtés, contradictions. Il met aussi sur le même plan des considérations fortes et des questions secondaires, sans perspective ni échelonnement dans le temps.

Le document est téléchargeable ici.

 

Observations et commentaires
Nous nous limiterons à quelques points significatifs.
    

SOMMAIRE

Confusion constante entre les mots « éducation » et « enseignement »

Confusion constante entre les mots "éducation" et "enseignement".
Cette confusion est institutionnelle depuis la substitution de l’Education Nationale à l’Instruction Publique. Mais ce n’est pas gravé dans le marbre, et la confusion des termes n’est jamais positive.
Exemples : "éducation, comme lieu d’acquisition des connaissances et du savoir… comme lieu de formation à l’emploi" (p.2)
Il est aussi question du "système éducatif" au lieu du système d’enseignement (p.2)
    

Confusion entre les élèves mineurs et les citoyens majeurs.

Le document traite de l’école, du collège, du lycée, et donc il s’applique à un certain nombre d’élèves de plus de 18 ans, censés de par la loi être des citoyens responsables dotés de discernement.
Or, il y a une différence fondamentale entre l’enseignement des mineurs et celui des majeurs, différence ignorée par la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans. 
Il serait préférable de porter l’obligation scolaire – et la gratuité – à 18 ans. L’enseignement obligatoire – et l’éducation qui l’accompagne- aurait alors un objectif clair : former des citoyens capables d’assumer leurs responsabilités.
   

Une lacune majeure : l’occultation, certainement volontaire, du secteur privé.

Certes l’Education Nationale n’est pas non plus citée (sauf dans l’introduction, pour mentionner "l’erreur grave"  "les rigidités d’un des systèmes administratifs les plus lourds du monde" (p.2) et, page 3, "les centaines de milliers d’enfants en difficulté" (à l’issue du CP).
On pourrait en déduire que les propositions s’appliquent au secteur privé comme au secteur public. Mais ce ne n’est pas le cas : de multiples propositions ne concernent manifestement que le secteur public. Ainsi, de l’idée de donner aux écoles "le statut d’établissements publics, dotés d’un vrai directeur" (p.7).
 NB. Lors de l’émission politique du 3 Novembre 2016, François Fillon a déclaré : "je veux redonner la possibilité de créer des établissements privés, dans lesquels les enseignants qui veulent travailler plus et gagner plus pourront le faire"

Lacune grave : l’absence de mise en perspective, de prise en compte de la durée, l’absence d’échéances.

La présentation à plat des nombreuses propositions sans hiérarchisation, est aggravée par l’absence de tout échelonnement dans le temps. Pourtant François Fillon, ex-ministre de l’Education, sait pertinemment qu’entre une décision ministérielle et une application généralisée à l’Education Nationale, il peut s’écouler plusieurs années, voire une éternité.
Tout se passe comme si le document décrivait ce qui, dans l’esprit de François Fillon, est nécessaire, sans donner la moindre indication sur la façon de rendre faisable ce qui est nécessaire.
  

Lacune : crèches et maternelles

La période initiale de la vie de l’enfant, entre la naissance et 5 ans, est d’importance majeure pour le développement cérébral. On le savait, mais désormais c’est prouvé par l’étude du fonctionnement du cerveau. Cela concerne ici les crèches et les maternelles, où d’énormes progrès pourraient résulter d’un changement radical de pratiques.
  

Lacune : naufragés et décrocheurs

Les naufragés sont des élèves que leur retard empêche de suivre les cours de la classe dans laquelle ils se trouvent. Les décrocheurs ont quitté le collège.
Comme l’indique le programme de François Fillon (p.3), cela représentera, en 2017, des centaines de milliers d’élèves. Et cela durera tant que le primaire n’aura pas été remis d’aplomb.
François Fillon ne propose rien pour reprendre en mains ces élèves et les sauver au cours du prochain quinquennat.

II

   

L’apprentissage.

A juste titre, François Fillon préconise le développement de l’apprentissage. Il cite l’exemple allemand "les deux tiers des jeunes de plus de 16 ans choisissent une formation duale école-entreprise" (p.5)
Mais il n’en tire pas ouvertement les conséquences logiques : une forte diminution de l’effectif dans l’enseignement général, collège et lycée. Cela, dans le droit fil des valeurs collectives mises en avant "Valeurs collectives d’excellence, de reconnaissance du mérite, de l’effort" (p.2), valeurs qui, pour la majorité des élèves, s’exprimeront mieux dans la voie professionnelle au sens large que dans la voie des disciplines académiques, étant entendu que l’objectif à terme devrait être qu’une proportion significative d’élèves en difficulté au départ dans la vie atteignent l’excellence dans ces disciplines, 
François Fillon préconise l’apprentissage à 15 ans (p.5), apparemment sans la condition d’avoir terminé les études au collège. Pourquoi pas 14 ans, comme c’était le cas dans la version initiale de l’apprentissage junior ?
      

Ambiguïté et contradictions à propos de l’autonomie des établissements publics.

Le document prévoit "des écoles collèges et lycées plus autonomes" (p.7).
Dans un ensemble hiérarchisé comme l’Education Nationale, l’autonomie s’appuie sur le principe de subsidiarité : déléguer à l’échelon le plus bas possible, le plus près du terrain, le maximum de responsabilités. Dans l’enseignement, l’échelon de base, capable de traiter l’information locale et de prendre des décisions rapides, est l’établissement. L’autonomie du chef d’établissement est plus ou moins grande selon les délégations qui lui sont confiées. Ces délégations déchargent largement les échelons hiérarchiques supérieurs, favorisant l’innovation et les économies.
Ainsi, le projet prévoit de "confier aux chefs d’établissement du second degré le choix de tous les personnels y compris les enseignants, en respectant des normes édictées par la direction de l’Education Nationale.
Question : pourquoi le bénéfice de cette proposition serait-il refusé aux chefs d’établissement du premier degré ?
    
Mais ces propositions, que nous approuvons, sont contredites par une série de propositions imposant des contraintes contraires à l’autonomie.
C’est le cas de toutes les propositions concernant les parents et leurs délégués, comme si tout chef d’établissement responsable était incapable de développer avec des parents des relations personnalisées selon l’environnement social de son établissement.
La centralisation excessive – contraire à l’autonomie – procède souvent par généralisations abusives : ici, il s’agit de substituer aux relations avec les personnes diverses que sont les parents, des relations avec une collectivité de parents, souvent  fictive.
     
     

Le secteur privé.

Le projet d’autonomie accrue se fonde sur la constatation que "les systèmes éducatifs étrangers performants sont généralement ceux qui laissent aux établissements scolaires une capacité d’autonomie importante". (p.7)
Cela, naturellement, vaut aussi pour le secteur privé. François Fillon passe sous silence le corollaire évident d’une forte autonomie des établissements publics : la "vraie" liberté des établissements privés, libérés de la tutelle et des pressions du quasi-monopole qu’est l’Education Nationale.
La "vraie" autonomie d’un côté, la "vraie" liberté de l’autre, sont les conditions nécessaires pour que la France réponde au défi mondial d’innovation et de réactivité.
Deux conditions à la liberté du secteur privé :
– qu’il bénéficie, par élève, dans des conditions et environnement comparables, des mêmes subventions que le secteur public, 
– que la qualité de son enseignement soit attestée par des examens nationaux obligatoires dans les deux secteurs et indépendants de l’Education Nationale.

Pour François Fillon : "l’État… certifie les examens nationaux" (p.6). Est ce que, dans sa pensée, l’État se différencie nettement de l’Education Nationale ?
           

Les lois de la République.

"L’État veille au strict respect des lois de la République dans les établissements" (p. 6).
Les lois sur la scolarité, la protection des mineurs etc. ne sont pas en cause. L’actualité, elle, montre la demande de législation concernant la laïcité. On met en cause des familles, opposées à la conception française de l’enseignement, qui exposent leurs enfants à l’endoctrinement islamique, soit dans certaines écoles coraniques ou associations, soit sous prétexte d’instruire leurs enfants en famille.
Ne nous étonnons pas que, pour le pouvoir actuel, le devoir de l’État incombe à l’Education Nationale. A notre sens, il faut ici distinguer deux domaines :
– celui de l’enseignement : ici le contrôle devrait résulter des examens nationaux contrôlés par une autorité indépendante
– celui de l’endoctrinement islamique considéré comme un danger pour la République ; cette question relève de la police et de la justice, l’Education Nationale n’ayant aucune compétence en la matière. À terme il s’agit dans ce domaine d’établir des relations de confiance avec les musulmans modérés, comme on doit le faire pour lutter contre la subversion ou le terrorisme.

III

   

Programmes et objectifs

François Fillon fait une large place aux programmes : "l’État fixe les principes et les programmes" (p. 6).
Nous avons fréquemment critiqué sur notre site cette priorité donnée aux programmes. Les programmes du primaire, censés convenir à 800 000 élèves chaque année, n’ont qu’un rapport très lointain avec la maîtrise effective des savoirs par les élèves à la fin du primaire.
Personne n’aurait l’idée de rédiger le programme d’un voyage avant d’en avoir fixé l’objectif et notamment la ou les destinations choisies.
Le programme n’a de sens qu’en tant qu’obligation de moyens : ce que les professeurs doivent enseigner, quoi qu’il arrive, quel que soit le savoir de leurs élèves.
Certes, il est beaucoup plus difficile de fixer plutôt que les programmes, les objectifs d’un enseignement, en termes de savoirs effectivement acquis par les élèves dans leur diversité. Mais, à notre sens, cette révolution dans les esprits de beaucoup d’enseignants et de parents mériterait de figurer dans les débats d’une élection présidentielle. 
Les objectifs ont une traduction pratique : les examens. Aujourd’hui, les objectifs étant toujours informulés, c’est l’Education Nationale qui, en manipulant sans cesse les examens, fixe implicitement ses propres objectifs, alors que ceux-ci devraient être arrêtés par le Parlement.
François Fillon propose que "l’État… certifie les examens nationaux" (p. 6). Encore faudrait-il au préalable fixer les objectifs, et qu’Etat ne soit pas représenté par l’Education Nationale.
    

Le socle commun

François Fillon attache beaucoup d’importance au socle commun, expression entrée dans notre vocabulaire par sa loi de 2005. Le ministre semble ignorer que, entre 2005 et 2012, on n’a jamais réussi à donner du socle commun une définition opérationnelle.
" Socle" est une expression poétique, qui évoque l’idée d’élévation ; par contre "commun" ne peut avoir ici qu’un sens : "commun à tous", sauf quelques cas exceptionnels. C’est ainsi que le Haut Conseil de l’Education avait remarqué qu’un socle commun imposait à l’Education Nationale une obligation de résultat.
– La définition du socle, en tant qu’objectif, appelle à une certaine ambition (on peut toujours rêver à ce que "personne ne devrait ignorer") mais aussi à une grande modestie, en pensant aux efforts que devra fournir le système d’enseignement pour transmettre des savoirs à tous les élèves.
La proposition de "faire du diplôme national du Brevet le certificat d’acquisition du socle" (p.4). assortie de la proposition "l’acquisition du brevet est nécessaire pour entrer au lycée" est difficilement compréhensible :
 

– soit le Brevet atteste un socle vraiment commun, et son niveau est nécessairement bas, et l’entrée au lycée est permise à 90 % des élèves.
– soit le Brevet est calibré par rapport à 9 ou 10 ans d’études, et alors le socle n’est pas commun,
En fait, dire que le Brevet atteste l’acquisition du socle est la solution trouvée actuellement par l’Education Nationale : le socle ne crée pas une obligation de résultat ; il est défini par le programme du collège ; le socle commun est fonction des résultats atteints par les élèves les plus faibles.
Le socle commun tel que nous le concevons, dans sa nécessaire modestie, serait acquis par beaucoup d’élèves à la fin du primaire. Mais l’obligation de résultat du système d’enseignement ne serait effective qu’à 18 ans. 
      

Comment définir le socle commun ?

Un socle commun exclut naturellement toute spécialité ; il se borne au domaine de l’enseignement général. Mais il ne saurait constituer à lui seul l’objectif de savoirs à 18 ans ; il doit être complété, soit par des connaissances générales beaucoup plus vastes, soit par des savoirs spécialisés, professionnels, artistiques ou autres, tels qu’ils peuvent résulter d’un apprentissage pratique.
François Fillon donne du socle (dans la même page 3) deux définitions différentes :
– d’une part "apprentissage de la langue française, de la lecture, de la grammaire et de l’orthographe"
– d’autre part "lecture, calcul, écriture, grandes dates de l’histoire de la nation, géographie de la France et des régions".
Pour approfondir, il faudrait prendre le cas d’hommes et de femmes de 18 ans déjà engagés dans une voie professionnelle. De quoi a-t-on strictement besoin pour exercer une activité utile par exemple dans l’horticulture, pour disposer d’une marge de progrès, voire pour reprendre plus tard des études, pour exercer ses responsabilités de citoyen et de futures responsabilités de père ou mère de famille ?
Sous cet angle, on trouvera certainement la capacité de penser, de s’exprimer à l’oral, de comprendre les autres, de lire, un minimum de calcul mental ; on n’y trouvera que des rudiments d’écriture et de rédaction, et probablement pas l’orthographe lexicale ou grammaticale.

IV

    

Les autres propositions

Les autres propositions comportent beaucoup d’idées utiles, telles que les suivantes.

• "Permettre aux chefs d’établissement d’exclure les élèves les plus perturbateurs" (et les confier à des établissements spécialisés) (p. 6). En effet l’obligation d’accepter ces élèves serait une infériorité par rapport au secteur privé, dans l’hypothèse de droits et de devoirs égaux entre les deux secteurs.

• "Commencer la scolarité obligatoire à 5 ans" (p. 3). Mais l’efficacité pourrait pousser à inclure la grande section de maternelle dans les écoles élémentaires, les maîtres de cette classe et du CP ayant une même spécialisation (cependant, il y a aussi un intérêt pédagogique à fusionner les trois sections de Maternelle).
• Dans le primaire, "Supprimer l’interdiction des devoirs après la classe … les écoles offrant la possibilité de faire les devoirs sur place". L’importance relative des devoirs et leurs modalités pratiques devraient faire l’objet d’une délégation au chef d’établissement, lui-même jugé sur les résultats de son école.
Les devoirs après la classe relèvent de la liberté pédagogique des établissements.
• "Organiser le temps hors enseignement avec le souci de l’éducation". En effet ces activités peuvent contribuer à l’équilibre des élèves et à leur éducation, à deux conditions : l’exigence du strict respect de la discipline propre à chaque activité (les règles du jeu) et de la persévérance malgré les efforts nécessaires.

• "Abolir la notion de cycle et organiser en 4 ans, au collège, pour les disciplines stratégiques, une montée continue des connaissances" (p. 4). 

Les cycles sont une invention restée largement virtuelle. Il faudrait évidemment restaurer la progressivité dans les disciplines "cumulatives".
• Renforcer la pratique de l’anglais … en mettant l’accent sur son utilisation pratique à l’oral (vie quotidienne et professionnelle)" (p. 5)
• etc…

La reconstruction de notre système d’enseignement obligatoire est vitale pour l’avenir de la France et des Français.


Les propositions de François Fillon portent la preuve du travail sérieux qui a été fait Il est encore temps d’en corriger les défauts et les lacunes.

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