La possibilité pour les écoles maternelles d’accueillir des enfants de deux ans existe dans le principe depuis longtemps, mais en pratique le nombre d’enfants de deux à trois ans accueillis dans les maternelles a fortement diminué depuis dix ans.

Cette question est revenue d’actualité  dans les médias parce que le projet de loi sur la refondation de l’ école, qui sera présenté au Parlement prochainement et sur lequel nous reviendrons, prévoit expressément un recrutement  qui s’étalera sur toute la législature.
Les réactions n’ont pas manqué, de parents imaginant des classes de 30 enfants de deux à trois ans. C’est peut-être un peu rapide, mais c’est aussi dû à l’emploi par le ministère du terme de « scolarisation ».

– La maternelle.

Nous avons récemment commenté sur ce site le rapport de l’inspection générale sur la maternelle, complété par un exposé de Gwenola Petit, institutrice et mère de famille.
Les deux textes se rejoignent pour déplorer que l’école maternelle soit de plus en plus une école qui prend modèle sur l’école élémentaire et de moins en moins maternelle. Il serait extrêmement fâcheux que cette dérive affecte des enfants de deux à trois ans qui ont avant tout besoin d’adultes s’occupant d’eux comme le font leurs mères.
Ces deux documents, et nos commentaires, abordent déjà la question des enfants de cet âge. Nous les complétons ici, à la lumière du projet de loi, et d’une circulaire du 18 décembre 2012  parue dans le Bulletin Officiel du ministère.

– A quel besoin  cette mesure  répond-elle?

Le rapport de l’inspection générale met clairement en évidence le besoin de beaucoup d’élèves de maternelle : trop de maîtres et de maîtresses parlent aux enfants qui s’expriment et ne parlent pas aux enfants qui ne s’expriment pas. Ainsi, au rebours de tout bon sens, l’écart se creuse entre les enfants mauvais  parleurs et les enfant  bons parleurs.
Les enfants mauvais francophones risquent de  subir le même sort au CP et donc de ne pas bien apprendre à lire (car lire implique que les mots écrits rappellent en mémoire des mots de la langue parlée et comprise par l’élève);  ainsi ces enfants mauvais francophones courent-ils un énorme risque d’échec scolaire.

– Pourquoi des enfants mauvais francophones ?

On peut penser à plusieurs cas schématiques :
– enfants à qui les parents parlent exclusivement une langue étrangère : ils apprennent à parler, mais pas en français
– enfants dont les parents maîtrisent mal le français
– enfants auxquels les parents ne parlent pas, ou pas assez ; ce peut être le cas de parents francophones.
Un bébé auquel on ne parle pas n’apprend pas à parler. Si on lui parle, le nouveau-né commence immédiatement à analyser et mémoriser les sons et les mots de la langue puis à leur donner un sens,  jusqu’au jour où il commence à parler. Les enfants mauvais francophones ont deux ans de retard sur les enfants « Français moyens » du même âge. L’expérience montre que ce retard est rattrapable et que le plus tôt est le mieux. (Avant deux ans c’est la question des crèches qui est posée.)

– Le besoin est donc bien circonscrit.

 Il s’agit  d’un nombre limité d’enfants. Dans les milieux défavorisés, il y a des parents qui prennent remarquablement soin de leurs enfants. Il existe aussi certainement des enfants mauvais francophones en dehors des ZEP.
Les éléments d’un programme en découlent :
– il faut trouver un moyen de repérer ces enfants
– il faut réfléchir au dispositif à créer pour les 2-3 ans, et à leur suivi individuel de trois à six ans en maternelle : dispositions matérielles,  recrutement et formation du personnel
– il faut concevoir et conduire les modalités d’action sur le terrain les plus susceptible  d’entraîner la collaboration effective des parents

– Identifier les enfants bénéficiaires.

Le rapport de l’inspection générale mentionne l’expérience consistant à faire un bilan de langage à l’âge de 3 ans. Cela devrait être généralisé pour les enfants mauvais francophones à 3, 4 et 5 ans.
Mais d’abord il faudrait transposer ce bilan à 2 ans, ce qui est sans doute moins facile car ces enfants s’expriment moins bien. Cependant il doit être possible de vérifier leurs connaissances, notamment en vocabulaire et compréhension, par des tests ludiques.
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Ces bilans devraient être systématiques, c’est pourquoi nous pensons qu’il devraient être confiés à la PMI : la santé mentale des enfants et aussi importante que leur santé physique.

– La structure d’accueil.

Deux  organismes ont  la compétence  d’accueillir les enfants de deux à trois ans : les crèches et les maternelles. Comme il s’agit des mêmes enfants, il s’ensuit que les crèches et les maternelles devraient être organisées de la même façon, tant en ce qui concerne les locaux et les installations, que les personnels en charge. Cela implique de développer pour ces derniers une double qualification d’éducateur et d’enseignant à laquelle. Il faudra ajouter une spécialisation sur le langage des  enfants mauvais francophones et sur le bilinguisme.
Une partie du personnel des maternelles devrait recevoir la même formation pour prendre en charge les enfants mauvais francophones de 3 à 6 ans.
Nota: effectifs. Même si les mauvais francophones ne représentaient que 10 % des 800 000 enfants de 2 à 3 ans soit 80 000, avec un taux d’encadrement analogue à celui des crèches soit un adulte pour six à huit enfants, il faudrait recruter et former 10 000 à 13 000 personnes. Le projet de loi de refondation de l’école prévoit 3 000 créations de postes pour l’accueil de ces enfants, ce qui paraît peu, même si une partie de ces  personnels dépend des municipalités.

– Les parents.

Quoi que puisse faire la structure d’accueil, l’efficacité sera faible si les parents ne voient pas l’intérêt, ne comprennent pas ou sont hostiles.
Tous les parents ne sont pas en cause, mais le cas des parents indifférents ou opposants pose problème, car le but est que tous les enfants mauvais francophones soient pris en charge, alors qu’aucune obligation légale ne s’impose aux parents.
C’est par la persuasion qu’il faudra obtenir d’abord la présence des enfants et ensuite une collaboration active impliquant souvent un changement dans les habitudes familiales.
Les travailleurs sociaux et les associations qui travaillent déjà avec les familles sont plus aptes à cela que l’Education nationale.

– L’action locale.

La circulaire du ministère en date du 18 décembre 2012 fournit un certain nombre de précisions:
– La prise en charge doit faire l’objet d’un échange avec les parents; il faut travailler en partenariat avec des structures associatives et les  services sociaux
– Il faut établir la collaboration entre les collectivités locales, l’Education nationale et les autres services en charge de la petite enfance (PMI, CAF etc.)
– Dans certains cas, il pourrait être créé des structures d’accueil mixtes associant services de la petite enfance et école. A ce sujet, il est dit dans la circulaire que cette formule  « permet d’offrir du temps scolaire dans des dispositifs conçus localement ». Sur ce point nous sommes en désaccord : il ne s’agit pas de donner des leçons à ces enfants, mais de faire en sorte que les personnes en charge aient la volonté et le temps  de leur parler et de les faire parler, en saisissant toutes les occasions courantes.

Enfin pour le pilotage de ces actions locales, la circulaire désigne les inspecteurs de l’Education nationale comme les pilotes naturels des projets locaux. Nous soutenons l’idée que les actions locales dans les quartiers, qui doivent faire collaborer des administrations, des associations et des parents, doivent être pilotées par les mairies, c’est-à-dire par les Adjoints au Maire  compétents dans le scolaire et la petite enfance.

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