La Lettre : Philippe Gorre, vous mettez actuellement la dernière main aux recherches que vous menez depuis quelques années sur l’enseignement de la lecture. Quel est l’objet de la publication que vous souhaitez en faire ?
Réponse : Il s’agit de donner aux parents dont un enfant va apprendre à lire ou aux étudiants qui s’apprêtent à devenir professeurs des écoles, les moyens de juger par eux-mêmes de la valeur de cet enseignement.
La Lettre : est-ce du choix de la méthode que vous voulez parler ? On dit pourtant que c’est une querelle dépassée.
R : oui, on le dit, en avançant que ce sont le niveau culturel familial, les divorces ou l’abus de la télévision qui expliquent les résultats inégaux et bien souvent insatisfaisants obtenus.
Ces facteurs ont une influence indéniable sur les résultats, mais l’école n’a pas ou peu d’influence sur eux, alors que le choix de méthodes appropriées dépend d’elle. Mes investigations m’ont conduit à la conclusion qu’il y avait des méthodes efficaces et des méthodes inefficaces, voire nuisibles. Cela est vrai pour tous les enfants et au degré le plus élevé pour les enfants les plus défavorisés.
La Lettre : mais la décision de Gilles de Robien, ministre de l’Education nationale, en 2006, de prohiber les méthodes semi-globales et de rétablir les méthodes syllabiques n’a, dit-on, rien changé aux pratiques des maîtres reposant dans la grande majorité des cas sur les méthodes semi-globales.
R : l’arrêté pris en janvier 2006, dans le sens que vous indiquez, n’a en effet pas changé les pratiques, puisque le décret préparé par ses services et publié deux mois plus tard en neutralisait les effets. Cependant je crois que son initiative, loin d’être un coup d’épée dans l’eau, comme on l’a prétendu, apparaîtra un jour comme un pavé dans la mare.
La Lettre : mais Jack Lang, alors ministre, n’avait-il pas déjà lui-même, en 2002, décidé qu’il fallait « tourner résolument le dos aux méthodes globales » ?
R : oui, mais c’était enfoncer une porte ouverte. Tout le monde convient que les méthodes globales ne sont plus employées et qu’elles ne l’ont été que fort peu.
La Lettre : méthodes syllabiques, semi-globales ou globales, les différences ne sont pas claires pour tout le monde.
R : Il y a deux approches de la lecture, par les lettres et par les mots.
La Lettre : par les lettres ?
R : ce sont les méthodes connues depuis toujours sous le nom d’alphabétiques, parce qu’elles commencent par l’apprentissage des voyelles, puis des lettres ou de syllabiques, parce que la découverte de chaque consonne est immédiatement suivie de celle des syllabes qu’elle forme avec les voyelles. Une fois les syllabes connues, l’on passe immédiatement aux mots qu’elles composent. En termes plus savants, ces méthodes sont appelées méthodes synthétiques.
La Lettre : et pour quelles raisons commencer par les lettres ?
R : parce que l’écriture est une convention, un code qui permet de représenter les sons de la langue par des signes ou des combinaisons de signes, et qu’il est logique de commencer l’apprentissage de la lecture par celui du code.
La Lettre : et par les mots ?
R : il faut d’abord distinguer deux sortes de méthodes commençant par les mots :
– Les méthodes globales qui n’apprennent que la lecture de mots entiers, sans les décomposer.
– Les méthodes semi-globales, dites aussi mixtes ou analytiques qui partent des mots, puis enseignent le code en les décomposant.
La Lettre : quels sont les arguments en faveur des méthodes globales ?
R : elles seraient naturelles, l’élève apprenant spontanément à lire, comme il a appris à parler. Il est d’ailleurs significatif que les deux premiers ouvrages prônant ces méthodes dans notre langue soient :
– De la manière d’apprendre les langues de l’abbé de Radonvilliers (1768), et
– Vraie manière d’apprendre une langue quelconque de Nicolas Adam (1787).
La Lettre : et les méthodes semi-globales ?
R : elles prétendent réunir les avantages des méthodes alphabétiques et des méthodes globales, en intéressant l’apprenti lecteur par des mot qui « font sens » et en lui apprenant ensuite le code, systématiquement ou pas.
La Lettre : c’est-à-dire ?
R : dans certaines méthodes semi-globales, il est demandé au maître de décomposer chaque mot nouveau pour les élèves en syllabes puis en lettres, pour leur apprendre le code ; dans d’autres méthodes, cela peut se faire à l’initiative du maître ou à la demande des élèves, sans être systématique.
La Lettre : et quelles méthodes recommandez-vous ?
R : les méthodes globales sont indéfendables. Demander à notre cerveau d’enregistrer les mots comme des images est aussi absurde que de les enregistrer de même sur son ordinateur, en déclarant inutiles les logiciels de traitement de texte.
Pour désamorcer l’initiative de Gilles de Robien, la « communauté scientifique » de notre pays a bien voulu convenir, quelques années après celle des Etats-Unis, que les méthodes semi-globales n’enseignant pas systématiquement la relation entre les lettres et les sons donnaient des résultats inférieurs à celles enseignant cette relation systématiquement et aux méthodes alphabétiques.
Il reste à cette communauté à reconnaître que, comme je l’ai constaté, les méthodes alphabétiques sont en toutes circonstances, à conditions d’enseignement égales, supérieures aux méthodes semi-globales, systématiques ou pas.
La Lettre : sur quoi repose votre conviction ?
Sur cinq éléments :
– La définition même des méthodes synthétiques que l’on n’appelait pas pour rien Méthodes de doctrine ou d’enseignement.
– L’histoire de l’enseignement de la lecture.
– Les fausses justifications de l’opinion contraire.
– Ce que l’on sait du mode de fonctionnement du cerveau.
– La comparaison des résultats obtenus par l’une et l’autre approche.
(Visited 1 times, 1 visits today)