En exerçant mon métier à contre-courant… (2007)
Un témoignage de plus. Pourquoi le publier, puisqu’il ressemble à tant d’autres ? Parce qu’il décrit une réalité actuelle. Mais qu’y a-t-il de nouveau ? Cela ne dure-t-il pas depuis des années ? Hélas non : la situation de l’enseignement s’aggrave d’année en année, du primaire au supérieur.
Depuis trois ou quatre ans, certes, des progrès ont été enregistrés : le désastre de l’école n’est plus censuré, des enseignants agissent courageusement. Nous en rendons compte. Mais il ne faut pas que cela fasse oublier les réalités omniprésentes.
L’Ecole représente pour moi l’institution la plus formidable. En effet, je l’ai fréquentée de 1969 à 1976 en primaire, encadrée par des instituteurs formés à l’Instruction publique ; je l’ai fréquentée de 1977 à 1981 au collège, encadrée par de vieux professeurs nous transmettant des connaissances solides. Alors tout cela a été un grand bénéfice pour moi, fille d’ouvrier ; j’ai pu facilement prendre place dans la société en exerçant le métier de mon choix.
Aujourd’hui, hélas, l’Ecole n’est plus l’institution qui permet de prendre l’ascenseur social. Professeur des écoles dans une ZEP difficile des Bouches-du-Rhône, ayant fait l’IUFM à Lyon en 1992 (première année de son existence), je peux témoigner qu’il existe un gouffre entre l’école actuelle et celle qui m’a donné envie de faire mon métier.
C’est grave, très grave. J’ai vu un jeune professeur des écoles ne connaissant pas lui-même l’orthographe, qui affichait donc des textes avec des fautes au tableau. Celui-ci subissait d’autant plus le comportement difficile des enfants de ZEP que l’on a pratiquement interdit aux enseignants de faire de la discipline, le mot même étant devenu tabou. Sa classe devenait alors un véritable lieu de chahut où la violence s’exerçait et débordait dans la cour d’école. Pourtant ces professeurs passent des heures à faire des fiches de préparation et il suffit qu’ils tiennent leur rôle d’animateur c’est à dire que les élèves participent à la séquence d’enseignement lorsque l’inspecteur vient les voir pour qu’ils soient validés dans leurs fonctions de Professeur des Ecoles.
Je vois mon école devenir une véritable jungle où les élèves issus d’un milieu très défavorisé culturellement (gitans, Maghrébins) ne trouvent aucun repère rassurant. Je vois des enfants arrivés en fin de CM2 qui ne savent ni lire ni écrire ni compter car ayant peu fréquenté l’école, être orientés d’office en sixième.
J’entends nos conseillers pédagogiques ou notre inspectrice nous présenter tous les deux ans une nouvelle orientation afin d’améliorer les compétences des élèves. Les nouveaux préceptes s’opposent aux précédents mais nous sont assénés avec la même certitude que ce sont ces derniers les meilleurs. Pour les connaître, il faut quasiment lire des ouvrages entiers, de chercheurs en sciences de l’éducation.
J’entends mes collègues culpabilisés de ne se sentir jamais à la hauteur, à qui on demande de se considérer comme des médecins de l’intelligence en remplissant un dossier PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Educative) pour chaque élève en difficulté dans sa classe.
Je n’entends toutefois jamais que les élèves doivent travailler. On dit plutôt qu’ils sont "les acteurs de leur savoir" et que les enseignants doivent leur apporter les outils et l’encadrement nécessaire pour qu’ils découvrent et apprennent. Ceci dégage les élèves de leurs responsabilités de fournir le travail d’être attentif par exemple, de s’entraîner avec ardeur pour atteindre des résultats. L’évaluation notée est mal vue puisqu’on doit renvoyer une image de l’élève toujours positive et encourageante. Le redoublement est par conséquent proscrit car considéré comme un échec des maîtres puisque eux seuls doivent trouver les moyens pour que les enfants apprennent.
Tout cela est véritablement insupportable. Je ne comprends pas que l’on ne reprenne pas comme référence, avec bon sens, l’enseignement qui a fonctionné jusque dans les années 70, reconnu par tout le monde.
Aujourd’hui, en tant que parent, je ne fais moi-même plus confiance à l’Ecole. Chaque partenaire éducatif a perdu son statut : les instituteurs, les parents, les élèves même. Chaque professeur se débat dans sa classe, chaque parent inquiet se débat avec son enfant qui peut se démotiver.
Pour ma part j’ai opté pour l’enseignement auquel je crois, celui qui m’a formé véritablement et celui que je souhaite pour ma propre fille.
Aller du simple au complexe. Intégrer au même niveau que les disciplines dites nobles, l’apprentissage de l’écriture, de la lecture à haute voix, de la mémorisation des tables et des conjugaisons. Je m’appuie sur des manuels classiques qui ont fait leurs preuves (n’en déplaise aux pédagogues dits modernes). Les leçons sont faites dans un cadre très ritualisé afin que les élèves ne soient pas déroutés par des approches sans cesse renouvelées, qu’ils puissent se concentrer sur la notion à apprendre.
Les évaluations sont fréquentes et régulières portant tout d’abord sur l’effort qu’a fourni l’élève pour apprendre, écouter. Je note en effet l’apprentissage d’une règle basique d’orthographe ou les tables de multiplication. L’enfant prend ainsi conscience que ses résultats dépendent en grande partie de lui et que la maîtresse pourra d’autant mieux l’aider qu’il fait la démarche de travailler.
Enfin bref, en exerçant ainsi mon métier, à contre-courant de ce qu’on nous préconise, je retrouve l’envie et la foi d’être enseignante.
Quel gâchis, quelle catastrophes toutes ces énergies et même cet argent gaspillé dans une école insensée qui ne rend heureux personne et qui augure un avenir noir pour nos enfants et la société.
L.D. Novembre 2007