(Dés)information commentée (2006)

En ce mois de rentrée scolaire, des éditeurs et des syndicats enseignants proposent aux professeurs d’école des documents destinés à ‘informer’ les parents. En substance, il s’agit d’essayer de rassurer sur les méthodes de lecture employées (méthodes mixtes), de donner à croire qu’elles sont syllabiques et correspondent à la volonté ministérielle. Jean-Pierre Garcin fait un commentaire de cette note (en italique des extraits, après les flèches ses commentaires).

Tout d’abord il convient de distinguer "syllabique" d’ "alphabétique". Car les méthodes mixtes, à départ global (appelons un chat un chat), mettent en œuvre à un moment ou à un autre la combinatoire dans une démarche allant du texte vers la lettre.
L’approche alphabétique à l’inverse va de la lettre vers le texte. Du simple vers le complexe. Elle considère que la langue écrite n’a rien de naturel, qu’il s’agit de montrer d’emblée son fonctionnement, et non de le laisser deviner à des enfants supposés être des chercheurs.
L’application des méthodes mixtes, seules en vigueur depuis 30 ans, a conduit à la situation que dénonce l’OCDE aujourd’hui : le déterminisme social est de plus en plus fort.
• 84 % des jeunes ne présentent aucune difficulté en lecture, même si leur niveau de compréhension est hétérogène (DEP mars 2004).

-> C’est une interprétation partiale de la statistique qui indique que 15% des élèves ne savent pas lire. En réalité, dans le "restant" un pourcentage important ne maîtrise que très imparfaitement la lecture (voir la note de la Direction de l’Évaluation et de la Prospective d’octobre 2004 titrée "La maîtrise du langage et de la langue française en fin d’école primaire" et celle de juin 2004 "L’évaluation des compétences des élèves de 6ème en septembre 2003").
• 4,6% des jeunes présents aux JAPD sont repérés en situation d’illettrisme (ou en grave difficulté de lecture) : 6,3% des garçons et 2,8 % des filles.
-> Idem. Le "restant" ne maîtrise pas forcément la lecture. Seuls les rédacteurs de ce document peuvent croire que 95% des jeunes français lisent bien (voir la note de la DEP de juillet 2004).
• Ces taux sont les plus faibles enregistrés depuis 25 ans…
-> On surprend ici les rédacteurs en flagrant délit de mensonge, puisqu’on n’avait pas de chiffres sur l’ensemble de la jeunesse avant la mise en place de ces journées d’appel, les filles n’étant pas concernées !
Par ailleurs affirmer qu’on progresse puisque les jeunes lisent mieux que leurs aînés c’est oublier que la scolarisation jusqu’à 14 ans (puis 16) n’a pas bénéficié à nombre de nos aïlleux, et qu’une partie de celles et ceux qui ont appris à lire ont pu désapprendre faute de pratique régulière. La Suède a mis il y a quelques années en œuvre un plan pour obliger les entreprises à communiquer à leurs employés au travers de notes de service et autres écrits, pour essayer de remédier à ce problème.
• La méthode dite " globale " n’est pas appliquée en France aujourd’hui. Le fait qu’un enfant connaisse " par coeur " des mots et qu’il en devine d’autres ne signifie pas pour autant que l’enseignant applique cette méthode.
-> Les méthodes mixtes, naturelles, sont dérivées de la globale et commencent par elle. Toutes vont du texte vers l’élément simple. Toutes sont obligatoires de fait depuis 30 ans. La méthode globale est donc bien appliquée aujourd’hui en France.
J’ajoute que les méthodes dites intégratives ne sont qu’un nouvel avatar de l’approche mixte.
Quand on défend un point de vue, autant le faire clairement et ne pas tenter de se dédouaner…
• La méthode syllabique " pure " est aussi rarement utilisée. Elle oblige en effet à faire lire pendant de longues semaines des syllabes, des mots et des phrases qui n’ont aucun sens et ont découragé dans le passé plus d’un élève.
-> La réalité est différente.
De plus en plus d’enseignants mettent en œuvre une méthode alphabétique et ce nombre ira en augmentant au fur et à mesure de la diffusion des découvertes des neurosciences, parce que cette approche est recommandée, non seulement en France mais dans l’ensemble des pays comparables, et surtout parce qu’elle donne des résultats bien supérieurs à l’approche mixte comme le montrent toutes les études qu’on peut trouver (en voici une et son texte de présentation).
Voici un exemple de début de CP : sixième leçon de la méthode alphabétique Léo et Léa. On voit en effet un entraînement à la lecture de syllabes, suivi de lecture de phrases ayant du sens. Il ne s’agit pas là de donner de la culture littéraire mais de former des lecteurs à l’âge qui convient. À onze ans c’est trop tard. Le simple avant le complexe. Les bœufs avant la charrue. Les fondations avant les murs puis le toit.
• Ils n’interdisent pas une approche globale…
-> Ah mais ? Je croyais qu’il n’y avait pas d’approche globale en France !?!? winkbiggrin
i[• Comme avant, ils [les programmes] insistent aussi sur l’importance de la maîtrise du code (le rapport entre les lettres et les sons) !]i
-> En effet, cela figure dans les instructions officielles depuis 2002. Et c’était encore resté un peu lettre un peu morte… Pourtant, la loi s’impose à tous, particulièrement aux enseignants fonctionnaires.
• L’un des tout premiers mots qu’il apprend à reconnaître, c’est son prénom.
Cette approche est globale… même s’il elle est basée sur la reconnaissance de certaines lettres.
-> C’est exact c’est ce qui se fait le plus souvent à l’école maternelle. Comme d’autres je dis que cette approche n’est pas en cohérence avec l’approche alphabétique et devra être revue.
• Pour reconnaître « globalement » beaucoup de mots, cela suppose que le lecteur dispose déjà, dans sa mémoire, d’une image orthographique du mot.
-> La connaissance que l’on a du cerveau montre qu’il n’existe pas de reconnaissance globale, quasi photographique, du mot. Ceux qui fondent leur enseignement sur ce postulat se trompent donc. Ce n’est tout simplement pas le même hémisphère qui est concerné (voir le travail du Dr Wettstein-Badour).
Lorsqu’il a été démontré que la Terre était sphérique il a bien fallu en tirer les conclusions.
• Cette compétence s’acquiert au cours du temps…avec la lecture.
-> Ce qui s’acquiert au fil du temps c’est la rapidité de traitement des signes. Et non le nombre de mots enregistrés puisqu’on a vu que la reconnaissance photographique n’existe pas et que de toutes façons cela ne fonctionne pas pour les mots inconnus. Sans compter la saturation plus ou moins rapide, suivant les individus, de la mémoire.
Face à un mot inconnu, le lecteur global puise des indices dans le texte, c’est à dire en dehors du mot lui-même et va droit dans le mur ! Euh, droit au contre-sens…. wink cry
• Pour identifier les mots en les déchiffrant, il faut maîtriser les règles du code (relations entre les lettres et les sons).
Mais cette maîtrise n’est pas si simple qu’il n’y paraît…
-> Absolument. Et partir du son pour détailler les différents façons de l’écrire embrume beaucoup plus l’intellect des enfants que l’inverse. Les méthodes mixtes procèdent le plus souvent de la première et mauvaise façon.
• Le « b-a ba », ça ne marche pas à tous les coups !
Ça marche dans 75% des cas.
Les méthodes alphabétiques vont on l’a vu du simple vers le complexe. Les 25% restants sont donc enseignés après les cas d’association les plus simples. Qui est-ce que cette approche peut gêner ?
Les méthodes mixtes mettent d’emblée les élèves en difficulté, en insécurité. Et j’y reviens, ceux qui sont d’un milieu social défavorisé restent le plus souvent au bord du chemin tandis que les enfants d’enseignants suivront les traces de leurs parents. C’est insupportable en République.
Les nombreux panneaux de ce document, tentant de démontrer la complexité de notre langue, sont un écran de fumée.
Ceci dit, la complexité est aussi une raison de donner à voir comment fonctionne la langue, et non de le laisser découvrir à de supposés Champollion.
• Pour faire correspondre les lettres les sons, il faut donc :
– connaître la « combinatoire » syllabes)
– Mais aussi les mots, la grammaire l’orthographe, les phrases…
-> Ah les rédacteurs reviennent à la raison en énonçant les choses dans le bon ordre ! tongue
Il faut aussi avoir du vocabulaire, c’est un des rôles majeurs de l’école maternelle que d’en donner, les IO y insistent bien. C’est à juste titre le dada du linguiste Alain Bentolila.
• On lit pour s’informer, pour apprendre, pour se distraire, pour communiquer…,
On lit des livres, mais aussi des journaux, des magazines, le dictionnaire, une affiche, un relevé de compte…
-> La lecture fonctionnelle. Évidemment ! Qui a dit le contraire ?
Mais si on ne maîtrise pas le code ces déclarations sonnent comme des formules incantatoires.
• Apprendre à lire, c’est apprendre à mettre en jeu en même temps deux activités très différentes : celle qui conduit à identifier des mots écrits, celle qui conduit à en comprendre la signification dans le contexte verbal (textes) et non verbal (supports des textes, situation de communication) qui est le leur.
-> L’enfant qui décode pourra s’arrêter et dire : "un épicéa, qu’est-ce que c’est ?" Alors que s’il a été "entraîné" à puiser des indices ailleurs que dans le code il pourra prononcer "sapin" sans autre forme de procès… confused
Alors qu’on ne prétende pas que l’accès au sens est réservé au lecteur global !… mad
• À l’école, l’enfant se familiarise avec les différents supports de l’écrit,
• Il côtoie la littérature de jeunesse,
• Il va à la bibliothèque,
-> André Inizan, professeur émérite des universités, a écrit :
"L’envie d’apprendre à lire n’apprend pas à lire. Même, si elle ne débouche pas sur des acquis positifs journaliers, elle s’éteint comme feu de paille et laisse des traces négatives, de l’amertume et de la rancune. Beaucoup d’élèves des maternelles françaises s’y "vaccinent" contre l’écrit.
Ne nous trompons pas sur la genèse de la motivation de l’écolier : ce qui motive tout écolier, c’est le plaisir de la réussite immédiate perçue avec lucidité et qui induit l’espérance de prochaines réussites.
Finalement, quel adolescent et quel adulte fréquenteront les bibliothèques dont l’école fait tant de cas ? Ceux qui auront souffert de leur rencontre scolaire de l’écrit ? Sûrement pas. Il y a beaucoup mieux à faire : développer les composantes instrumentales de l’aptitude à apprendre à lire propre à chaque enfant, ses outils cognitifs qui vont être sollicités tout au long de son prochain apprentissage de la lecture-écriture."
• Apprendre à lire, ce n’est donc pas
qu’une question de méthode !
-> Cela se ferait-il naturellement ?
Pourtant, le document montre comme la langue est complexe !
Dès lors qu’on réfléchit à grande échelle, qu’on intègre le fait qu’on s’adresse à des cohortes d’élèves, que tous n’ont pas le même vocabulaire, la même culture, la même appétence, que les enseignants n’ont pas tous des connaissances approfondies en neurosciences, en linguistique, bien sûr que la question de la méthode revêt une importance capitale.
Demandez à un enseignant sénégalais qui a une classe de 50 élèves le matin et une autre de 50 encore l’après-midi quels sont ses résultats et ce qu’il en pense.
Car, vraiment, j’aimerais qu’on juge les enseignants et les méthodes sur leurs résultats. Les dés étaient jusqu’alors pipés en France, nous verrons ce qu’il en adviendra.
Il doit être dans un premier temps possible de laisser des gens comme Rachel Boutonnet travailler ; ou Pascal Dupré qui conduit une classe de CP expérimentale.
• De 2003 à 2007, 4101 enseignants de plus pour 184 901 élèves de plus, soit en moyenne une création pour 45 élèves supplémentaires !
-> Eh bien voyons, toujours plus !
La France est en tête quant à la part du PIB consacré à l’Éducation ; ça ne suffit pas ? Pour les résultats, médiocre milieu de la classe dans l’étude Pisa… mad
Par ailleurs ces chiffres bruts ne tiennent pas compte d’effets techniques comme par exemple du fait que de nombreuses classes uniques ont été regroupées et que le taux d’encadrement moyen augmente en conséquence.
• La fausse suppression de la « méthode globale »…
…Cache donc l’absence de vraies mesures pour la réussite de tous les élèves !
-> Le moins qu’on puisse dire est que ce n’est pas ce syndicat qui contribuera à l’amélioration des performances des jeunes français….
Faire en sorte que les élèves sachent lire ça c’est une vraie mesure responsable, le ministre l’a prise en janvier 2006.
Le reste est de l’agitation. 

Pour aller plus loin :

>> En complément du présent article, celui proposé par Françoise Appy : "Méthodes de lecture : arguments" 

Documents :

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