Conférence de Marc LE BRIS à MADRID
29 Novembre 2006
Marc LE BRIS, Instituteur, Directeur d’école
Conférence du "Centro régional de innovacion y formacion"
Direction Général de Ordenacion Academica
de la "Consejeria de educacion" de la Communidad de Madrid
sous la présidence de Xavier Gisbert da Cruz, director
Une question internationale
La Grande-Bretagne vient de modifier par décret sa méthode de lecture.
Le canton de Genève vient de subir un référendum d’initiative populaire contre les responsables de l’enseignement primaire, pour la réhabilitation des notes.
Le ministre de l’Education Nationale française vient de tenter d’interdire les méthodes de lecture dites globales, il vient de remettre la grammaire au programme, il prépare une modification des mathématiques de l’école primaire.
Plusieurs états des États-Unis d’Amérique viennent d’interdire les « whole -words reading methods » et de décréter obligatoires les « explicit methods » et le « direct teaching » en ne subventionnant plus les écoles qui ne les pratiquent pas. (…)
Les ingénieurs
Les ingénieurs et les informaticiens américains sont souvent pakistanais, ou indiens. Les physiciens sont souvent russes. Il reste quelques mathématiciens français, mais après la dernière médaille Fields (Wendelin Werner, à Madrid, cet été), l’inquiétude apparaît dans les revues de mathématiques : « Rien ne nous garantit que perdure cette situation avantageuse » -A. Warusfel – Revue de la filière mathématique -Sept.06
Ceci provoquera des problèmes économiques.
Les cuisiniers
Le jeunes cuisiniers s’avèrent incapables de transformer une recette pour 5 en une recette pour 8, les apprentis garagistes ne savent pas combien d’huile rajouter à l’essence pour obtenir un mélange à 7, les jeunes électriciens hésitent devant une résistance. Il y a désormais en France, un nombre croissant de jeunes gens qui ne lisent ni ne calculent jamais. Non seulement ça, mais certains d’entre eux se sont réfugies dans de pauvres langues nouvelles, argots de cités compris seulement des trois grandes tours voisines, argot trop maigre pour trouver un emploi, argot inutilisable au centre de la ville argot insuffisant pour qui ne possède pas la langue commune. Motif de repli sur la bande des copains du quartier, motif de bagarre avec les voisins des autres quartiers, motif de mises à feu d’automobiles et d’autobus.
Ceci provoque déjà de graves problèmes sociaux.
Je ne me permettrai pas d’évoquer la formation des élites intellectuelles ou des jeunes apprentis espagnols, sans doute parce que je la connais moins que celles de la France ou des pays anglo-saxons qui défrayent régulièrement la chronique internationale. Mais j’entends profiter de mon passage parmi vous pour me renseigner.
Le film « Etre et avoir »
Il s’agit d’un pur documentaire de long métrage qui a eu un succès commercial énorme et très inattendu.
Les réalisateurs se sont installés pour un an dans la petite classe d’une école rurale de la campagne française. Une classe unique, qui reçoit tous les cours ensemble. Ils ont choisi soigneusement l’instituteur.
Un très beau film.
Georges Lopez, c’est son nom, est fils de républicains espagnols réfugiés en France. Je le considère comme le meilleur instituteur possible, le plus humain, le plus calme, du plus grand charisme … L instituteur que vous allez voir est véritablement un professionnel et un homme remarquable.
Pourtant regardez bien quand et comment on apprend à lire dans cette classe, ou quand et comment on y apprend les multiplications.
…/…
Voilà un film magnifique… un enseignant en tous points remarquable, qui enseigne absolument comme on doit enseigner en France depuis les années 70, qui sait le faire, et qui le fait en conscience, exactement comme cela doit être fait, remarquablement.
L’épisode de la multiplication à la maison’ avec un élève de 11 ans, prêt à entrer au collège est une sorte d’incident de tournage conservé au montage. Le réalisateur voulait filmer les élèves à la maison, les devoirs, les relations avec les parents. Il a demandé à un élève s’il pouvait le filmer chez ses parents. Mais il n’avait pas de devoirs à fair, le réalisateur de cinéma lui a donné innocemment une multiplication a faire. D’où cette scène.
L’autre épisode qui m’intéresse conceme l’apprentissage de la lecture- Le petit bonhomme doit lire "ami". Il lit "copain".
Dans cette classe, à l’excellent maître que vous avez vu, un élève de 11 ans qui entre au collège ne sait pas faire une multiplication; il ne connaît pas la table de cinq. Dans cette classe, un petit bonhomme croît que lire consiste à dire « copain » plutôt que de déchiffrer les lettres « a, m, i… ami ‘ » !
Mais je ne critiquerai pas plus mon collègue que je n’accuserai un soIdat de Juillet 14 d’être responsable de la terrible défaite du début de la guerre- Dans les crises d’état-major, ce sont les petits soldats qui souffrent. II a fallu une très importante réaction populaire devant l’échec outrageant de milliers d’élèves, pour que l’état-major de l’Education Nationale Française en crise, mais qui ne souffre pas pour lui-même commence seulement à rougir de surprise. Les systèmes éducatifs occidentaux vivent une terrible crise d’état-major.
La théorie constructiviste
Combien de fois le voit-on organiser les groupes, faire de la morale, demander de faire, corriger des erreurs …
Tout cela est très significatif de la fondamentale réforme pédagogique des années 70.
En 1970, la théorie dite « constructiviste » soutenue par celle de « l’activité autonome de l’élève » est devenue hégémonique. Je ne vous raconterai pas la naissance du BIE (Bureau International de 1 Education) et de ses satellites dans les années 20, mais il faut savoir que cette théorie pédagogique a été installée par un lobby international qui s’est posé comme l’interlocuteur privilégié des fondations pour 1’enfance, en particulier celles créées par la SDN puis par l’ONU. Ces quelques groupes de psychologues, alliés aux militants syndicalistes enseignants de la gauche française sont devenus les experts internationaux autoproclamés de l’Education, et, dès la fin de la deuxième guerre mondiale ont informé directement, tous les ministres de l’Education occidentaux et anglo-saxons sur les réformes à tenir. Depuis leur intégration dans l’UNESCO en 68, ils fournissent directement l’OCDE en experts issus de leurs rangs, qui récitent la doctrine Piagetienne par coeur, sans toujours savoir d’où elle sort.
Ces théories s’appliquent dans la classe que nous venons de voir.
L’élève construit lui-même son savoir, par son activité autonome, d’autant mieux lorsqu’il est en groupe.
Ce principe est LA méthode générale, globale, enfin découverte, qui est censée permettre à n’importe qui, d’apprendre n’importe quoi, à tout élève. Approximatif, grossier, dogmatique, ce principe est responsable de la catastrophe culturelle internationale en cours. Les pays influencés par l’UNESCO et 1’OCDE depuis la 2ème guerre mondiale sont en faillite scolaire. Les pays qui ont historiquement échappé a cette influence -anciennes républiques de l’URSS et leurs satellites, Chine, Pakistan Inde, Singapour … – vont donc dominer le XXIème siècle sans coup férir.
En lecture
En grammaire
Pour l’étude d’une langue étrangère
En mathématiques
Le sens de la division … Laurent Lafforgue, grand mathématicien français -médaille Fields 2002- nous écrivait fort modestement il y a quelques jours : « Je m’interroge encore sur le sens de l’addition »
Si je me moque ainsi de ce qui se fait, chers collègues, c’est bien parce que je l’ai fait moi-même, en conscience, le mieux possible. Comme Georges Lopez, comme beaucoup d’entre vous sans doute.
Alors, qu’est-ce qui ne va pas?
Construire ses savoirs
Mais il n’en est pas moins vrai que moi-même, et vous aussi sans doute, je n’ai fini par savoir poser une vis dans le mur avec une perceuse qu’après l’avoir fait tout seul. J’ai construit mon savoir faire. Et les enfants n’auront vraiment acquis la reconnaissance du nom et de l’adjectif dans la phrase qu’après les avoir retrouvés eux-mêmes, seuls. Et pas en groupe, certainement pas en groupe, à chacun sa confrontation avec l’objet étudié, à chacun son chemin intellectuel, que fort heureusement, aucun maître ne domine…
Pour savoir diviser, il faut avoir divisé.
Pour savoir quelle opération utiliser, il faut avoir utilisé soi-même des opérations.
Pas découvert ou inventé soi-même; mais seulement, au début, utilisé à bon escient…
Nous avons là une confusion funeste entre découvrir et comprendre.
Félix Klein, mathématicien, (1829, 1925 -Théorie des groupes. Géométrie non Euclidienne …).
"Il ne faut pas toutefois se départir de cette prescription qu’une question mathématique ne doit pas être considérée comme complètement épuisée alors qu’elle n’est pas encore devenue intuitivement évidente ; découvrir au moyen de l’Analyse, c’est bien faire un pas très important, mais ce n’est faire que le premier pas."
Un puzzle
Vous voudrez bien supposer avec moi, l’intérêt de savoir construire un puzzle.
Et je ne laisserai pas un théoricien pédagogique me décrire par le menu cet intérêt que nous supposons. II y a tant d’intérêts divers, qu’un spécialiste sans élèves réels risquerait d’en oublier un, plus nécessaire que les autres. Et ce seul oubli renverserait toute notre belle leçon de puzzle intelligemment préparée trop loin des enfants visés.
Nous sommes tombés d’accord sur le fait que c’est en faisant lui-même le puzzle que le petit saura faire des puzzles. C’est l’activité autonome. C’est la construction du savoir. Les « constructivistes » et les praticiens devraient donc procéder de la même façon.
Les constructivistes donnent au très petit élève un puzzle en vrac, de plusieurs pièces, ils l’observent et quelquefois l’aident… Ils « remédient ».
Les praticiens, les mères, les enseignants pragmatiques donnent d’abord au tout petit .. une pièce de puzzle, devant son trou : un ‘encastrement’. Quelquefois-même, la pièce est présentée dans le bon sens . Et le petit aura à la saisir, à l’observer, à la comparer, à comprendre le but du jeu, à orienter la pièce, à tenter de la glisser, à corriger le tir … Le lendemain, l’adulte proposera deux pièces et deux trous. Puis des pièces a l’envers; puis plusieurs pièces, puis des puzzles entiers, avec de plus en plus de pièces.
Recherche et découverte
Les jeunes mamans, les enseignants de terrain, conduits par les rails de la réalité du comportement enfantin, construisent des « progressions » soigneuses et délicates. Ils les construisent d’autant mieux lorsqu’ils comprennent la véritable origine des difficultés rencontrées par les enfants, qui sont de fait leur vrai guide.
‘
Cette progression, ces programmes de progrès représentent ce qui manque à la théorie moderne, et qui la renverse, la clé de voûte de tout enseignement conscient ou même naturel : la transmission progressive des connaissances, la transmission aux jeunes de la culture héritée.
Si le petit « construit lui-même ses savoirs », de façon absolue, il n’hérite plus de la culture de l’humanité que son père lui doit, que sa mère lui doit, que son pays lui doit. Les premiers pour faire de lui un humain, différent de l’animal par la culture transmise; le second, pour faire de la nation une civilisation historique et démocratique, par l’école.
Eviter la mécanisation ?
Quels sont les progrès pédagogiques modernes à sauvegarder ?
Quel était, quelquefois, le gros écueil de l’enseignement du milieu du XXème siècle?
Outre le châtiment corporel encore trop fréquent, que l’école publique naissante s’était pourtant donné comme but d’éradiquer, le gros défaut de certains enseignements était le « mécanisme ». Je veux dire « la mécanisation » excessive d’une pratique. Il a pu arriver que quelques rares élèves aient réussi à lire mécaniquement sans comprendre. Sans doute quelques-uns calculaient-ils fort bien de tête ou avec le crayon, sans comprendre ce qu’ils faisaient !! Hum !! Tout ceci reste discutable. Mais je souscris à l’objectif : vive la compréhension devant la mécanisation pavlovienne. Seulement, il arrive que la mécanisation soit nécessaire à ce bel objectif qu’est la compréhension : la lecture, le calcul doivent devenir, à un moment, mécaniques … en gros, une grande partie du corpus élémentaire. La question de la mécanisation est bien complexe et quelquefois contradictoire en elle-même -je veux dire qu’une véritable compréhension entraîne en général une mécanisation a posteriori-, mais elle m’éloigne des conclusions pratiques auxquelles je veux arriver aujourd’hui.
Dans le but de la compréhension devant la mécanisation excessive, nous conservons donc l’activité, qui n’est autonome que dans l’esprit de l’élève, puisqu’elle doit être clairement inscrite dans une progression soigneuse, chargée de transmettre précisément la culture. L’activité n’est pas autonome, mais elle est individuelle.
La recherche individuelle après, plutôt qu’avant
Les programmes
L’une, comme expliqué plus haut, concerne les contenus enseignés. Elle est fondamentale; elle est issue des programmes qui représentent la culture que la nation a décidé de transmettre à ses descendants. Les programmes doivent être fixés, au nom de la nation, par ses sociétés savantes. Ils sont prévus pour permettre au dernier petit citoyen de les rejoindre, éventuellement, un jour, pour à son tour participer à l’élaboration des sciences. Nul ne peut se permettre de prédire qui sera celui-là, ni de quelle zone géographique ou sociale il viendra. De ce fait, la nation, par efficacité pragmatique, mais aussi par l’humanisme qui lui est nécessaire en tant d’autres domaines, doit toute la culture à tout le monde. De ce fait, une zone géographique à objectifs scolaires différents est en soi, un funeste crime social.
Les progressions, issues de ces programmes, doivent prendre en compte la réalité de l’intelligence enfantine, pour l’instant jamais vraiment décrite -sauf par Henri Wallon, le psychologue du début du XXème siècle. La prétendue « science de l’éducation » actuelle, issue du Piagetisme n’est pas une science. Ce n’est qu’un ensemble d’affirmations improuvées, ce n’est qu’une alchimie dogmatique et complexe, uniquement destinée à la défense idéologique d’un étrange lobby international.
Par exemple, la constitution d’une culture mathématique, telle qu’elle est actuellement proposée en France, est complètement fausse, contredisant à la fois la réalité enfantine et l’histoire des mathématiques. Il faut présenter les 4 opérations simultanément, très simplement, et surtout pas successivement, de façon à ce que le petit élève puisse en les comparant, savoir laquelle utiliser. Mais en grammaire, il faut étudier les mots un par un, par leur nature fixe, noms, adjectifs, adverbes …, avant de les considérer par leur fonction changeante, sujet, complément, épithète … Mais en lecture, il faut apprendre à lire et à écrire les lettres une à une, puis entraîner les élèves à lire automatiquement des syllabes artificielles. En règle générale, il faut donner soigneusement, faire répéter et retenir, et très vite écrire, les noms de tous les objets étudiés; et surtout pas tenter de percer le sens profond d’un objet sans nom, dont on aurait manipulé uniquement le ‘concept’, comme cela a été tenté en France, au plus profond de la crise obscurantiste. Il faut connaître par coeur les tables d’addition et de multiplication, à l’endroit et à l’envers. Il faut faire des dizaines d’opérations à la main avant de les faire à la calculette…. Il faut avoir une chronologie historique dans la tête; une idée de la géographie physique de son pays et du reste du monde, avant d’aborder la géographie humaine … Il faut, il faut … C’est un livre entier et très précis, chers collègues, que nous pourrions écrire ici.
Ces exercices archétypiques sont :
– En mathématiques, les problèmes arithmétiques, dont la forme, très importante, doit évoluer progressivement au cours de la scolarité.
– En grammaire, l’analyse grammaticale des mots un par un, qui doit, quelle que soit la forme qu’elle prendra dans un pays ou dans un autre, contenir la reconnaissance d’abord de la nature d’un mot, puis de sa fonction dans la phrase étudiée.
– En écriture-lecture, la lecture à haute voix; l’écriture des lettres une à une, la dictée de syllabes puis de mots vrais. Jusqu’aux rédactions plus ambitieuses, bien plus tard, mais selon une progression précise …
– En langue : la version et le thème, écrits et oraux.
– En mathématiques secondaires, la démonstration, qui a complètement disparu des cursus français, est LE véritable but de l’enseignement; l’anti-mécanisme, l’autonomie intellectuelle. La progression des exercices de démonstration, parallèle à celle des contenus, est tellement importante qu’elle peut en devenir maîtresse.
– … mais la rédaction aussi, l’exposé, …… qui tous doivent être enseignés selon une progression pensée jusqu’à la forme que doivent prendre les étapes …
L’intérêt des choses
Démontrer le théorème de Pythagore ou que deux triangles sont semblables est, en soi, une activité autonome, individuelle, intéressante, aussi grisante lorsqu’elle est bien menée et réussie, que n’importe quelle autre activité humaine.
Considérer la démonstration ou l’analyse grammaticale comme des activités ennuyeuses a priori, revient seulement à dénigrer les activités intellectuelles en elles-mêmes.
Lorsqu’une nation agit ainsi, elle court à sa fin.
Une question internationale (2006)
29 Novembre 2006
Marc LE BRIS, Instituteur, Directeur d’école
Conférence du "Centro régional de innovacion y formacion"
Direction Général de Ordenacion Academica
de la "Consejeria de educacion" de la Communidad de Madrid
sous la présidence de Xavier Gisbert da Cruz, director