Conférence de Marc LE BRIS à MADRID

29 Novembre 2006

Marc LE BRIS, Instituteur, Directeur d’école

Conférence du "Centro régional de innovacion y formacion"
Direction Général de Ordenacion Academica
de la "Consejeria de educacion" de la Communidad de Madrid

sous la présidence de Xavier Gisbert da Cruz, director

Une question internationale

Il s’agit bien d’une question internationale.

La Grande-Bretagne vient de modifier par décret sa méthode de lecture.

Le canton de Genève vient de subir un référendum d’initiative populaire contre les responsables de l’enseignement primaire, pour la réhabilitation des notes.

Le ministre de l’Education Nationale française vient de tenter d’interdire les méthodes de lecture dites globales, il vient de remettre la grammaire au programme, il prépare une modification des mathématiques de l’école primaire.

Plusieurs états des États-Unis d’Amérique viennent d’interdire les « whole -words reading methods » et de décréter obligatoires les « explicit methods » et le « direct teaching » en ne subventionnant plus les écoles qui ne les pratiquent pas. (…)

Les ingénieurs

Une des grandes écoles dont la France est si fière, une de celle qui forme les ingénieurs qui travailleront dans l’aéronautique ou l’espace, vient de recruter des élèves en Inde. Non pas pour payer moins cher des travailleurs immigrés, mais tout simplement parce qu’à l’issue des classes préparatoires, un trop petit nombre de candidats d’origine française a réussi l’épreuve. Je connais un étudiant, qui n’a pas encore fini sa thèse dans une de ces grandes écoles, mais se promène déjà, pour faire de la publicité de recrutement dans les universités chinoises ou d’Europe de l’Est…

Les ingénieurs et les informaticiens américains sont souvent pakistanais, ou indiens. Les physiciens sont souvent russes. Il reste quelques mathématiciens français, mais après la dernière médaille Fields (Wendelin Werner, à Madrid, cet été), l’inquiétude apparaît dans les revues de mathématiques : « Rien ne nous garantit que perdure cette situation avantageuse » -A. Warusfel – Revue de la filière mathématique -Sept.06

Ceci provoquera des problèmes économiques.

Les cuisiniers

Mais, à côté des élites intellectuelles, où en sont les apprentis cuisiniers, les électriciens ou les jeunes vendeuses qui doivent vous rendre la monnaie ? J’en ai fâché une, voilà deux semaines, en rajoutant au dernier moment des chocolats et des bonbons à la note de pain et de gâteau déjà calculée par la « caisse enregistreuse ». Presque en colère, cette jeune fille de plus de 18 ans m’a dit, « Ah non, vous n’allez pas me faire faire ça à cette heure de la soirée … ». Il n’était guère que 19 heures. Et elle a mis plusieurs minutes à gribouiller, sur la petite note, une addition au crayon, avec une erreur … Ce qui n’est pas très bon pour le commerce …

Le jeunes cuisiniers s’avèrent incapables de transformer une recette pour 5 en une recette pour 8, les apprentis garagistes ne savent pas combien d’huile rajouter à l’essence pour obtenir un mélange à 7, les jeunes électriciens hésitent devant une résistance. Il y a désormais en France, un nombre croissant de jeunes gens qui ne lisent ni ne calculent jamais. Non seulement ça, mais certains d’entre eux se sont réfugies dans de pauvres langues nouvelles, argots de cités compris seulement des trois grandes tours voisines, argot trop maigre pour trouver un emploi, argot inutilisable au centre de la ville argot insuffisant pour qui ne possède pas la langue commune. Motif de repli sur la bande des copains du quartier, motif de bagarre avec les voisins des autres quartiers, motif de mises à feu d’automobiles et d’autobus.

Ceci provoque déjà de graves problèmes sociaux.

Je ne me permettrai pas d’évoquer la formation des élites intellectuelles ou des jeunes apprentis espagnols, sans doute parce que je la connais moins que celles de la France ou des pays anglo-saxons qui défrayent régulièrement la chronique internationale. Mais j’entends profiter de mon passage parmi vous pour me renseigner.

Le film « Etre et avoir »

Le film que vous allez voir maintenant met en scène un instituteur … remarquable.

Il s’agit d’un pur documentaire de long métrage qui a eu un succès commercial énorme et très inattendu.

Les réalisateurs se sont installés pour un an dans la petite classe d’une école rurale de la campagne française. Une classe unique, qui reçoit tous les cours ensemble. Ils ont choisi soigneusement l’instituteur.
Un très beau film.

Georges Lopez, c’est son nom, est fils de républicains espagnols réfugiés en France. Je le considère comme le meilleur instituteur possible, le plus humain, le plus calme, du plus grand charisme … L instituteur que vous allez voir est véritablement un professionnel et un homme remarquable.

Pourtant regardez bien quand et comment on apprend à lire dans cette classe, ou quand et comment on y apprend les multiplications.
…/…

Voilà un film magnifique… un enseignant en tous points remarquable, qui enseigne absolument comme on doit enseigner en France depuis les années 70, qui sait le faire, et qui le fait en conscience, exactement comme cela doit être fait, remarquablement.

L’épisode de la multiplication à la maison’ avec un élève de 11 ans, prêt à entrer au collège est une sorte d’incident de tournage conservé au montage. Le réalisateur voulait filmer les élèves à la maison, les devoirs, les relations avec les parents. Il a demandé à un élève s’il pouvait le filmer chez ses parents. Mais il n’avait pas de devoirs à fair, le réalisateur de cinéma lui a donné innocemment une multiplication a faire. D’où cette scène.

L’autre épisode qui m’intéresse conceme l’apprentissage de la lecture- Le petit bonhomme doit lire "ami". Il lit "copain".

Dans cette classe, à l’excellent maître que vous avez vu, un élève de 11 ans qui entre au collège ne sait pas faire une multiplication; il ne connaît pas la table de cinq. Dans cette classe, un petit bonhomme croît que lire consiste à dire « copain » plutôt que de déchiffrer les lettres « a, m, i… ami ‘ » !

Mais je ne critiquerai pas plus mon collègue que je n’accuserai un soIdat de Juillet 14 d’être responsable de la terrible défaite du début de la guerre- Dans les crises d’état-major, ce sont les petits soldats qui souffrent. II a fallu une très importante réaction populaire devant l’échec outrageant de milliers d’élèves, pour que l’état-major de l’Education Nationale Française en crise, mais qui ne souffre pas pour lui-même commence seulement à rougir de surprise. Les systèmes éducatifs occidentaux vivent une terrible crise d’état-major.

La théorie constructiviste

Combien de fois, dans ce film, voit-on l’enseignant expliquer, montrer, dire, dessiner un schéma ?

Combien de fois le voit-on organiser les groupes, faire de la morale, demander de faire, corriger des erreurs …

Tout cela est très significatif de la fondamentale réforme pédagogique des années 70.

En 1970, la théorie dite « constructiviste » soutenue par celle de « l’activité autonome de l’élève » est devenue hégémonique. Je ne vous raconterai pas la naissance du BIE (Bureau International de 1 Education) et de ses satellites dans les années 20, mais il faut savoir que cette théorie pédagogique a été installée par un lobby international qui s’est posé comme l’interlocuteur privilégié des fondations pour 1’enfance, en particulier celles créées par la SDN puis par l’ONU. Ces quelques groupes de psychologues, alliés aux militants syndicalistes enseignants de la gauche française sont devenus les experts internationaux autoproclamés de l’Education, et, dès la fin de la deuxième guerre mondiale ont informé directement, tous les ministres de l’Education occidentaux et anglo-saxons sur les réformes à tenir. Depuis leur intégration dans l’UNESCO en 68, ils fournissent directement l’OCDE en experts issus de leurs rangs, qui récitent la doctrine Piagetienne par coeur, sans toujours savoir d’où elle sort.

Ces théories s’appliquent dans la classe que nous venons de voir.

L’élève construit lui-même son savoir, par son activité autonome, d’autant mieux lorsqu’il est en groupe.

Ce principe est LA méthode générale, globale, enfin découverte, qui est censée permettre à n’importe qui, d’apprendre n’importe quoi, à tout élève. Approximatif, grossier, dogmatique, ce principe est responsable de la catastrophe culturelle internationale en cours. Les pays influencés par l’UNESCO et 1’OCDE depuis la 2ème guerre mondiale sont en faillite scolaire. Les pays qui ont historiquement échappé a cette influence -anciennes républiques de l’URSS et leurs satellites, Chine, Pakistan Inde, Singapour … – vont donc dominer le XXIème siècle sans coup férir.

En lecture

Ainsi, pour apprendre à lire, et ce qui suit n’est qu’une conséquence du principe précédent, les élèves découvrent par eux-mêmes, grâce à des "activités autonomes de découverte" (les « actes de lecture » ) quelles sont les lettres, pour l’instant inconnues, qui font le son {ch} dans {cheval} ou le son {ou} dans {tambour}. Ils devinent donc par eux-mêmes comment les lettres s’écrivent et se disent, simplement en les observant. Ils devinent comment les mots s’écrivent et se disent, en lançant des « hypothèses ».

En grammaire

Ainsi, pour comprendre la grammaire de sa langue, et ce qui suit n’est qu’une conséquence du principe « constructiviste », les jeunes élèves regardent et ‘analysent‘ eux-mêmes un texte dans son ensemble par des activités autonomes de découverte que le maître, fin psychologue saura bien leur souffler Outre les locuteurs et les interconnecteurs qu’on leur fait observer suivant la moderne théorie linguistique de la communication, ils trouvent dans le texte, grâce la grammaire dite de texte, des paragraphes. Puis dans les paragraphes, ils voient des phrases. Les phrases, ils les décomposent eux-mêmes, toujours aidés par le maître-animateur, en "groupes du nom". Lequel "groupe du nom’ est alors analysé en ce qu’il est : un nom et quelques autres composants, comme l’article ou l’adjectif qualificatif. Mais l’enquête a duré, l’année scolaire est presque finie, et il ne reste plus que quelques petites semaines pour étudier de plus près les accords grammaticaux …

Pour l’étude d’une langue étrangère

Ainsi, pour apprendre une langue étrangère, on essaie de tremper l’élève dans un «bain linguistique oral » d’où il tirera lui-même avec l’aide de quelques jeux et animations diverses, le sens des phrases et puis des mots. Impuissant rêve de bilinguisme natif. Lequel bilinguisme naturel existe bien, mais seulement pour des enfants assez jeunes, plongés huit heures par jour pendant plusieurs années de suite, dans la langue nouvelle. Les trois minutes de langue orale parlée et les deux demi-heures hebdomadaires de langue étrangère entendue oralement ne remplaceront jamais cette vraie plongée dans un autre pays. Le"bain linguistique" n’est pas si facile à mettre en place à l’école.

En mathématiques

Ainsi, pour apprendre et comprendre une opération -prenons la division, par exemple-, le maître-démiurge va plonger un groupe d’élève dans une « situation-problème », sorte d’histoire naturelle, inventée pour la circonstance, dans notre exemple un partage à faire, ou une distance à parcourir en pas de longueur fixe, et dont on ne pourra se sortir qu’en inventant la division. En inventant la division : concept, sens, algorithme … Et si le groupe d’élèves se dispute sur la méthode à utiliser, c’est mieux. Ici, apparaît un des éléments clés de la théorie, sa rotule, sa cheville ouvrière, comme on dit en français : le <conflit socio-cognitif>. En effet, s’il y a eu <conflit socio-cognitif> -je rappelle qu’il s’agit seulement de la dispute entre enfants qui ne sont pas d’accord- alors, la notion de preuve, la preuve elle-même quelquefois, et l’idée de la nécessité de la preuve se feront jour dans les petites têtes, en même temps que la division, son algorithme, son sens profond et certainement tout un tas de compétences transversales, dont je ne soupçonne même pas l’existence.

Le sens de la division … Laurent Lafforgue, grand mathématicien français -médaille Fields 2002- nous écrivait fort modestement il y a quelques jours : « Je m’interroge encore sur le sens de l’addition »

Si je me moque ainsi de ce qui se fait, chers collègues, c’est bien parce que je l’ai fait moi-même, en conscience, le mieux possible. Comme Georges Lopez, comme beaucoup d’entre vous sans doute.

Alors, qu’est-ce qui ne va pas?

Construire ses savoirs

Parce que, tout de même, il est bien vrai que 1′ « on construit soi-même ses savoirs ». Et le plus souvent en « faisant soi-même », donc par une activité individuelle. Individuelle, j’ai dit individuelle, mais pas autonome. L’autonomie est caractéristique de l’adulte. La différence entre un enfant et un adulte est l’autonomie. Un enfant ne se nourrit pas seul, ne se soigne pas seul, ne survit pas seul. Il n’est pas autonome. Lui donner un exercice de recherche autonome revient à supposer le problème éducatif résolu : l’autonomie est un but de l’école et de toute l’éducation. Elle n’est pas un moyen, ou alors, à petite dose, bien préparée..

Mais il n’en est pas moins vrai que moi-même, et vous aussi sans doute, je n’ai fini par savoir poser une vis dans le mur avec une perceuse qu’après l’avoir fait tout seul. J’ai construit mon savoir faire. Et les enfants n’auront vraiment acquis la reconnaissance du nom et de l’adjectif dans la phrase qu’après les avoir retrouvés eux-mêmes, seuls. Et pas en groupe, certainement pas en groupe, à chacun sa confrontation avec l’objet étudié, à chacun son chemin intellectuel, que fort heureusement, aucun maître ne domine…

Pour savoir diviser, il faut avoir divisé.
Pour savoir quelle opération utiliser, il faut avoir utilisé soi-même des opérations.
Pas découvert ou inventé soi-même; mais seulement, au début, utilisé à bon escient…
Nous avons là une confusion funeste entre découvrir et comprendre.

Félix Klein, mathématicien, (1829, 1925 -Théorie des groupes. Géométrie non Euclidienne …).

"Il ne faut pas toutefois se départir de cette prescription qu’une question mathématique ne doit pas être considérée comme complètement épuisée alors qu’elle n’est pas encore devenue intuitivement évidente ; découvrir au moyen de l’Analyse, c’est bien faire un pas très important, mais ce n’est faire que le premier pas."

Un puzzle

Pour mettre en évidence les différences entre deux façons de travailler, je vais prendre l’exemple d’un puzzle a construire, par un bébé de moins de deux ans.

Vous voudrez bien supposer avec moi, l’intérêt de savoir construire un puzzle.

Et je ne laisserai pas un théoricien pédagogique me décrire par le menu cet intérêt que nous supposons. II y a tant d’intérêts divers, qu’un spécialiste sans élèves réels risquerait d’en oublier un, plus nécessaire que les autres. Et ce seul oubli renverserait toute notre belle leçon de puzzle intelligemment préparée trop loin des enfants visés.

Nous sommes tombés d’accord sur le fait que c’est en faisant lui-même le puzzle que le petit saura faire des puzzles. C’est l’activité autonome. C’est la construction du savoir. Les « constructivistes » et les praticiens devraient donc procéder de la même façon.

Les constructivistes donnent au très petit élève un puzzle en vrac, de plusieurs pièces, ils l’observent et quelquefois l’aident… Ils « remédient ».

Les praticiens, les mères, les enseignants pragmatiques donnent d’abord au tout petit .. une pièce de puzzle, devant son trou : un ‘encastrement’. Quelquefois-même, la pièce est présentée dans le bon sens . Et le petit aura à la saisir, à l’observer, à la comparer, à comprendre le but du jeu, à orienter la pièce, à tenter de la glisser, à corriger le tir … Le lendemain, l’adulte proposera deux pièces et deux trous. Puis des pièces a l’envers; puis plusieurs pièces, puis des puzzles entiers, avec de plus en plus de pièces.

Recherche et découverte

Les constructivistes donnent des mots en vrac sans étudier les lettres; ils donnent des quantités en vrac, sans avoir montré les nombres et les opérations; ils donnent des phrases en vrac, sans avoir montré les différents mots. Car cette étude autonome de l’objet naturel et complexe est LE système pédagogique universel moderne, qui confond grossièrement « découvrir » et « comprendre ».

Les jeunes mamans, les enseignants de terrain, conduits par les rails de la réalité du comportement enfantin, construisent des « progressions » soigneuses et délicates. Ils les construisent d’autant mieux lorsqu’ils comprennent la véritable origine des difficultés rencontrées par les enfants, qui sont de fait leur vrai guide.

Cette progression, ces programmes de progrès représentent ce qui manque à la théorie moderne, et qui la renverse, la clé de voûte de tout enseignement conscient ou même naturel : la transmission progressive des connaissances, la transmission aux jeunes de la culture héritée.

Si le petit « construit lui-même ses savoirs », de façon absolue, il n’hérite plus de la culture de l’humanité que son père lui doit, que sa mère lui doit, que son pays lui doit. Les premiers pour faire de lui un humain, différent de l’animal par la culture transmise; le second, pour faire de la nation une civilisation historique et démocratique, par l’école.

Eviter la mécanisation ?

Que faut-il donc changer ?
Quels sont les progrès pédagogiques modernes à sauvegarder ?
Quel était, quelquefois, le gros écueil de l’enseignement du milieu du XXème siècle?

Outre le châtiment corporel encore trop fréquent, que l’école publique naissante s’était pourtant donné comme but d’éradiquer, le gros défaut de certains enseignements était le « mécanisme ». Je veux dire « la mécanisation » excessive d’une pratique. Il a pu arriver que quelques rares élèves aient réussi à lire mécaniquement sans comprendre. Sans doute quelques-uns calculaient-ils fort bien de tête ou avec le crayon, sans comprendre ce qu’ils faisaient !! Hum !! Tout ceci reste discutable. Mais je souscris à l’objectif : vive la compréhension devant la mécanisation pavlovienne. Seulement, il arrive que la mécanisation soit nécessaire à ce bel objectif qu’est la compréhension : la lecture, le calcul doivent devenir, à un moment, mécaniques … en gros, une grande partie du corpus élémentaire. La question de la mécanisation est bien complexe et quelquefois contradictoire en elle-même -je veux dire qu’une véritable compréhension entraîne en général une mécanisation a posteriori-, mais elle m’éloigne des conclusions pratiques auxquelles je veux arriver aujourd’hui.

Dans le but de la compréhension devant la mécanisation excessive, nous conservons donc l’activité, qui n’est autonome que dans l’esprit de l’élève, puisqu’elle doit être clairement inscrite dans une progression soigneuse, chargée de transmettre précisément la culture. L’activité n’est pas autonome, mais elle est individuelle.

La recherche individuelle après, plutôt qu’avant

Dans ce cadre, l’activité de découverte, ou de recherche a priori, portant sur un objet, une situation, les plus naturels possibles, n’est pas de mise. L’activité doit être individuelle et effective, mais elle ne peut plus être le début de la séance de travail. Elle en est la fin. Cela s’appelle un exercice d’application. Et la leçon, non pas pur discours magistral comme on pourrait le supposer, mais clair exposé des éléments nécessaires à la réussite de l’exercice individuel, retrouve ici sa place, qu’elle n’aurait pas dû perdre; la leçon est le moment de la transmission de la culture d’une civilisation à ses jeunes. Qui ne se l’approprieront qu’en faisant eux-mêmes, tous seuls, les exercices adéquats dont une partie seulement est autonome, réellement autonome, méticuleusement autonome, partie dont la proportion augmentera régulièrement au cours de la scolarité.

Les programmes

II y a donc deux progressions parallèles à maintenir dans un cursus.

L’une, comme expliqué plus haut, concerne les contenus enseignés. Elle est fondamentale; elle est issue des programmes qui représentent la culture que la nation a décidé de transmettre à ses descendants. Les programmes doivent être fixés, au nom de la nation, par ses sociétés savantes. Ils sont prévus pour permettre au dernier petit citoyen de les rejoindre, éventuellement, un jour, pour à son tour participer à l’élaboration des sciences. Nul ne peut se permettre de prédire qui sera celui-là, ni de quelle zone géographique ou sociale il viendra. De ce fait, la nation, par efficacité pragmatique, mais aussi par l’humanisme qui lui est nécessaire en tant d’autres domaines, doit toute la culture à tout le monde. De ce fait, une zone géographique à objectifs scolaires différents est en soi, un funeste crime social.

Les progressions, issues de ces programmes, doivent prendre en compte la réalité de l’intelligence enfantine, pour l’instant jamais vraiment décrite -sauf par Henri Wallon, le psychologue du début du XXème siècle. La prétendue « science de l’éducation » actuelle, issue du Piagetisme n’est pas une science. Ce n’est qu’un ensemble d’affirmations improuvées, ce n’est qu’une alchimie dogmatique et complexe, uniquement destinée à la défense idéologique d’un étrange lobby international.

Par exemple, la constitution d’une culture mathématique, telle qu’elle est actuellement proposée en France, est complètement fausse, contredisant à la fois la réalité enfantine et l’histoire des mathématiques. Il faut présenter les 4 opérations simultanément, très simplement, et surtout pas successivement, de façon à ce que le petit élève puisse en les comparant, savoir laquelle utiliser. Mais en grammaire, il faut étudier les mots un par un, par leur nature fixe, noms, adjectifs, adverbes …, avant de les considérer par leur fonction changeante, sujet, complément, épithète … Mais en lecture, il faut apprendre à lire et à écrire les lettres une à une, puis entraîner les élèves à lire automatiquement des syllabes artificielles. En règle générale, il faut donner soigneusement, faire répéter et retenir, et très vite écrire, les noms de tous les objets étudiés; et surtout pas tenter de percer le sens profond d’un objet sans nom, dont on aurait manipulé uniquement le ‘concept’, comme cela a été tenté en France, au plus profond de la crise obscurantiste. Il faut connaître par coeur les tables d’addition et de multiplication, à l’endroit et à l’envers. Il faut faire des dizaines d’opérations à la main avant de les faire à la calculette…. Il faut avoir une chronologie historique dans la tête; une idée de la géographie physique de son pays et du reste du monde, avant d’aborder la géographie humaine … Il faut, il faut … C’est un livre entier et très précis, chers collègues, que nous pourrions écrire ici.

L’autre progression concerne les exercices « archétypes », rituels, qui serviront d’escalier aux jeunes élèves certes, mais aussi de garde-fou aux jeunes enseignants. Les exercices « archétypes » revêtent en général une forme stable, assez fermement installée, bien qu’elle n’ait aucun intérêt pour elle-même, sinon de permettre l’expression d’un travail intellectuel, cette fois-ci, autonome. En fait, je préfère dire libre, plutôt qu’autonome. Travail intellectuel libre, à l’intérieur d’un forme imposée. Des lignes sur la feuille où s’écrira librement le nouveau roman.

Ces exercices archétypiques sont :

En mathématiques, les problèmes arithmétiques, dont la forme, très importante, doit évoluer progressivement au cours de la scolarité.
En grammaire, l’analyse grammaticale des mots un par un, qui doit, quelle que soit la forme qu’elle prendra dans un pays ou dans un autre, contenir la reconnaissance d’abord de la nature d’un mot, puis de sa fonction dans la phrase étudiée.
En écriture-lecture, la lecture à haute voix; l’écriture des lettres une à une, la dictée de syllabes puis de mots vrais. Jusqu’aux rédactions plus ambitieuses, bien plus tard, mais selon une progression précise …
En langue : la version et le thème, écrits et oraux.
En mathématiques secondaires, la démonstration, qui a complètement disparu des cursus français, est LE véritable but de l’enseignement; l’anti-mécanisme, l’autonomie intellectuelle. La progression des exercices de démonstration, parallèle à celle des contenus, est tellement importante qu’elle peut en devenir maîtresse.

– … mais la rédaction aussi, l’exposé, …… qui tous doivent être enseignés selon une progression pensée jusqu’à la forme que doivent prendre les étapes …

L’intérêt des choses

Demeure la question de l’intérêt des élèves pour les objets étudiés. Je n’ai pas le temps, mais elle est simple. Sur un terrain de football, on joue au football. C’est quelquefois difficile, fatigant, frustrant, dangereux, humide … mais on ne se pose pas la question de l’intérêt d’y être. Sur un terrain de foot, on joue au foot. Eh bien à l’école, on fait de la lecture, des dictées, de la grammaire et des problèmes.

Démontrer le théorème de Pythagore ou que deux triangles sont semblables est, en soi, une activité autonome, individuelle, intéressante, aussi grisante lorsqu’elle est bien menée et réussie, que n’importe quelle autre activité humaine.

Considérer la démonstration ou l’analyse grammaticale comme des activités ennuyeuses a priori, revient seulement à dénigrer les activités intellectuelles en elles-mêmes.

Lorsqu’une nation agit ainsi, elle court à sa fin.

Une question internationale (2006)

29 Novembre 2006

Marc LE BRIS, Instituteur, Directeur d’école

Conférence du "Centro régional de innovacion y formacion"
Direction Général de Ordenacion Academica
de la "Consejeria de educacion" de la Communidad de Madrid

sous la présidence de Xavier Gisbert da Cruz, director

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