L’auteur de « Comment le petit Français apprend à écrire », professeur américain, a consacré en 1912 une année scolaire à visiter de nombreuses classes françaises pour observer et analyser finement ce qui est alors l’enseignement du français dans les écoles, collèges, lycées. Il y cherche matière à améliorer l’enseignement de l’anglais aux « petits américains ». Il est introduit auprès du ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, qui lui ouvre l’accès à des recteurs et professeurs d’université qui l’adressent aux directeurs d’établissements. Il est clair que le choix se porte d’abord sur les établissements et les enseignants les meilleurs. Ce choix, que bien entendu il connaît, ne gêne pas l’auteur, puisqu’il cherche ce qui se fait de mieux pour le transposer dans son pays. Néanmoins, par sa connaissance du fonctionnement centralisé de l’enseignement et par ses multiples contacts, il se forme une idée de ce qui se passe dans l’ensemble des classes, ce qui lui permet de formuler, avec prudence, des remarques d’ordre général.  

L’auteur a accompli un important travail de documentation dans plusieurs écoles françaises

Dans les établissements et dans les classes, il accomplit un énorme travail de documentation en consultant et collectant des instructions, des documents des professeurs et des cahiers des élèves. Il assiste à de nombreux cours en prenant des notes. Parfois même, il demande l’autorisation de questionner directement les élèves. Tout cela, dans une ambiance favorable, car il aime la France, et bénéficie en retour de la sympathie de ses interlocuteurs. Ce travail vaste et minutieux est, pour l’essentiel, consacré à l’enseignement du français. RW Brown en a tiré la matière d’un livre à la fois bien documenté et très vivant, nous associant à ses étonnements et à ses propres réflexions.

Français apprend écrire

Traduit en français en 2004. Editions Hattemer.

Quelques conclusions fortes de l’auteur

  • Le goût des Français pour le bien parler et le bien écrire, goût développé tout au long du XIXe siècle.
  • La formation très exigeante des enseignants, leur culture
  • Le sérieux des enseignants et des élèves, l’enthousiasme de ceux qu’il a rencontrés, l’importance attachée à l’étude du français, le travail important demandé aux élèves.
  • L’aisance des relations entre élèves et enseignants, sans que jamais ces derniers ne se mettent au niveau des élèves.
  • La liberté laissée aux élèves de penser et de s’exprimer, dans le respect qu’ils doivent à leurs maîtres.

Quelques citations

« Il semble raisonnable de considérer que c’est l’instruction qui permet à des barbiers, des cordonniers, des garçons de course, des conducteurs d’autobus, des épiciers et des serveuses d’expliquer des usages grammaticaux et rhétoriques, et que c’est cette instruction qui a contribué à leur donner une conscience de la langue qui, dans une large mesure, leur permet de parler et d’écrire correctement. »

« Au lieu de donner simplement la structure des programmes et des cours, j’ai cherché à dévoiler la pratique quotidienne des enseignants – la pratique qui, après tout, façonne les habitudes d’esprit des élèves – et de suggérer le point de vue ou l’esprit de la vie éducative de la nation. »

« Il est extrêmement difficile de retranscrire par écrit l’esprit d’une leçon. Les notes de cours des professeurs, et les autres notes que j’ai pu me procurer me permettent toutefois d’indiquer ce qui s’est passé pendant la leçon. »

« Pour qu’un garçon puisse résister à l’influence néfaste qu’exerce sur lui le langage de la rue, il doit posséder une connaissance suffisante qui lui permette de renforcer les bonnes habitudes de langage qu’il contracte à l’école ou à la maison. »

« (Après un texte de 9 lignes extraites de La chèvre de M. Seguin). Le petit français âgé de 10 à 12 ans a développé une ouïe fine et une écriture rapide à tel point qu’il peut noter une dictée de ce genre avec une exactitude surprenante. »

« La dictée empêche l’élève de séparer la langue orale de la langue écrite. »

« De nos jours, l’opinion dominante est que l’élève doit avant toute chose être capable de penser avec vigueur, d’examiner ses pensées avec sûreté et de s’exprimer avec correction et clarté selon son tempérament et son caractère. »

« (En composition française) la question du sujet est d’importance capitale. Ces sujets sont conçus pour développer, dans l’ordre, les capacités de concentration et d’observation, l’imagination, les habitudes de réflexion. »

« Pour aider les élèves à écrire, les enseignants français suivent une pratique d’une manière si générale qu’elle doit être considérée comme une partie essentielle de leurs méthodes d’instruction. Il s’agit de la préparation du sujet en classe. »

« Quand le maître essaye d’imprimer une définition ou un principe dans l’esprit de l’élève, il commence par un exemple, explique ensuite la définition et termine par un autre exemple… Au cours de la leçon (l’enseignant) parvient toujours d’une manière assez fabuleuse à poser plusieurs questions à chaque élève … De par la culture très vaste qu’il possède, il parvient à donner à ses cours un caractère informel et propice à l’échange avec les élèves. »

« Lorsqu’il aborde l’étude systématique d’un texte, il donne de la vie et de la couleur au plan de l’oeuvre grâce à ces observations spontanées. (…) Je ne veux pas dire que tous les enseignants que l’on peut rencontrer en France se montrent à la hauteur de cet idéal ; mais on ne peut qu’admirer l’habileté de la plupart d’entre eux à instruire les élèves de cette manière fortuite. » (fortuite : improvisation du maître en rapport direct avec le sujet, pour renforcer l’intérêt des élèves. NDLR)

« Le maître doit donc non seulement posséder une bonne connaissance de son métier, mais également avoir un « sens pédagogique » pour déterminer si la réponse qu’appelle telle question doit tenir en une phrase ou bien faire l’objet de cinq à dix minutes d’explication. »

Un tel ouvrage peut-il nous éclairer aujourd’hui ?

Le plus simple serait de l’oublier et de se dire que :
  • tout y est faux, l’auteur a menti ou a été abusé ; on sait bien qu’à cette époque, les élèves étaient des esclaves passifs et muets, sous la domination de maîtres qui dispensaient un enseignement frontal
  • tout cela est impossible de nos jours, car nos élèves sont des mutants, originaux et créatifs mais fragiles, incapables de résister à de telles charges de travail – mais en revanche, grâce au numérique, capables de faire trois choses à la fois.
  • tout cela est inutile, puisque désormais tout le savoir du monde est accessible en deux clics de souris.

Quant à nous, nous voyons cette traduction publiée au bon moment, alors que de plus en plus de nos concitoyens doutent de notre système d’enseignement. Ils ne comprennent pas comment nous en sommes arrivés là, et ne voient pas ce qu’il faudrait faire. Car quarante ans de destruction progressive de la transmission du savoir font que beaucoup n’ont jamais vécu un enseignement simplement raisonnable.
Lorsqu’enfin nous aurons décidé de replacer notre enseignement au rang qu’il avait en 1912 – et même en 1960 – celui d’une école « où les professeurs enseignent et où les élèves apprennent » – cet ouvrage contribuera à restaurer ce que l’auteur a qualifié « esprit de la vie éducative de la nation », esprit d’ambition, d’exigence, d’enthousiasme, de liberté et d’optimisme. En effet, tout ce qui est décrit par R W Brown est possible – et même réalisé aujourd’hui dans certains établissements par des enseignants véritablement d’élite.

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